Origine de la fête de l’Epiphanie ?[1]
Du grec épiphanéia: «apparition»; de épiphainéin: «paraître ou briller sur». La Solennité de l’Epiphanie célèbre la manifestation de Jésus comme Messie. Par rapport à cette fête il faut distinguer la tradition d’orient et d’occident. Toutes les deux coïncident au fait de la manifestation du Seigneur, mais elles mettent l’accent sur des moments différents de la vie de Jésus.
Avant tout, il faut savoir qu’à l'origine, l'Épiphanie, fait partie du cycle de Noël et tire son fond et son sens des célébrations païennes de la Lumière. En effet, Noël, avant d'être un jour, est d'abord un cycle: Celui-ci atteint son apogée au jour marquant le solstice d'hiver, le 22 décembre. Cette nuit du solstice — la plus longue de l'année — annonce le rallongement des jours et — par extension — la renaissance de la Lumière censée être à l'origine de toutes choses. Puis la célébration se prolonge après le 25 décembre durant un nombre de jours hautement symbolique : 12 jours et 12 nuits. Le cycle prend fin le 6 janvier. C'est à ce moment que les jours commencent à s'allonger de façon sensible, que la promesse de la nuit solsticiale est tenue. On célèbre alors l'Épiphanie, la manifestation de la Lumière.
Voilà pourquoi la fête venue d’Orient a été fixée au 6 janvier: fête des lumières, fête de l’eau, elle est beaucoup plus la célébration de l’inauguration du ministère public du Christ, lors de son baptême au Jourdain, qu’une festivité des événements de l’enfance de Jésus. On l’appelle «Théophanie».
En Occident par contre, l’Epiphanie, fixée au 6 janvier ou au dimanche situé entre le 2 et le 8 janvier, est surtout la fête des Mages ou des «Rois». En effet, dans l’Église latine, l’adoration de Jésus par les rois mages devint peu à peu l’objet principal de la fête de l’Épiphanie. A partir du IVème siècle, l’Église d’occident célébra la naissance de Jésus le 25 décembre (Noël) et la manifestation aux païens en la personne des mages le 6 janvier. Sera le Pape Jule, qui fut sur le trône de S. Pierre depuis 337 jusqu’en 352 le premier qui ait appris à distinguer les Fêtes de la Nativité et de l’Épiphanie, et qui en ait réglé le jour.
Cependant les manifestations inaugurales de la vie publique, venues de l’orient, ne sont pas oubliées, puisque l’office de la fête parle des trois mystères de ce jour comme n’en faisant qu’un: l’adoration des Mages, le baptême de Jésus et les noces de Cana (cf. Antienne de Magnificat aux secondes Vêpres). Il est intéressant de lire ce que raconte la légende dorée de Jacques de Voragine: « L'Epiphanie du Seigneur est célèbre par quatre miracles, ce qui lui a fait donner quatre noms différents. En effet, aujourd'hui, les Mages adorent J.-C., Jean-Baptiste le Sauveur, J.-C. change l’eau en vin et il nourrit cinq mille hommes avec cinq pains. Jésus avait treize jours, lorsque, conduits par l’étoile, les Mages vinrent le trouver, d'où vient le nom de Epiphanie, epi, au-dessus, phanos, apparition, ou bien parce que l’étoile apparut d'en haut, ou bien parce que J.-C. lui-même a été montré aux Mages, comme le vrai Dieu, par une étoile vue dans les airs. Le même jour, après vingt-neuf ans, alors qu'il atteignait trente ans, parce qu'il avait vingt-neuf ans et treize jours; Jésus, dit saint Luc, avait alors environ trente ans commencés, ou bien, d'après Saint Bède, il avait trente ans accomplis, ce qui est aussi la croyance de l’Eglise romaine; alors, dis-je, il fut baptisé dans le Jourdain, et de là vient le nom de Théophanie, de Theos, Dieu et phanos apparition, parce que en ce moment la Trinité se manifesta: le Père dans la voix qui se fit entendre, le Fils dans la chair et le Saint-Esprit sous l’apparence d'une colombe. Le même jour, un an après, alors qu'il avait trente ou trente et un ans, il changea l’eau en vin: il apparut vrai Dieu. En ce même jour encore, un an après, comme il avait trente et un ou trente-deux ans et treize jours, il rassasia cinq mille hommes avec cinq pains, d'après Saint Bède… De là vient le nom de Phagiphanie de phagé manger, bouchée. Il y a doute si ce quatrième miracle a été opéré en ce jour, tant parce qu'on ne le trouve pas ainsi en l’original de Bède, tant parce qu'en saint Jean au lieu où il parle de ce prodige, il dit : « Or, le jour de Pâques était proche. » Cette quadruple apparition eut donc lieu aujourd'hui. La première par l’étoile sur la crèche ; la seconde par la voix du Père sur le fleuve du Jourdain ; la troisième par le changement de l’eau en vin au repas et la quatrième par la multiplication des pains dans le désert. Mais c'est principalement la première apparition que l’on célèbre aujourd'hui[2] ».
Les mages
Les mages avaient été qualifiés du titre de roi dès le IIIème siècle, mais c’est seulement au XIIème que cette royauté des mages est reconnue par la liturgie et l’iconographie. Considérés comme saints, leurs reliques arrivèrent au XIIème à la cathédrale de Cologne. Selon une tradition venant du VIIème siècle, les mages dont parle l’Évangile seraient des rois: les rois mages. Ils étaient au nombre de trois: Melchior, Gaspard et Balthazar. C’est les noms qu’on leur a donnés au VIème siècle. Le chiffre 3 est très symbolique, il symbolise d’abord les 3 continents : Asie, Afrique et Europe (qui étaient les seuls connus à l’époque). C’est aussi l’image des trois fils de Noé : Sem, Cham et Japhet. Le chiffre 3 représente aussi le nombre de cadeaux qui selon l’Évangile étaient au nombre de 3: l’or, l’encens et la myrrhe. Le chiffre 3 figure enfin les trois âges de la vie. Melchior est présenté avec une longue barbe et il est le plus âgé des trois. Il offrit l’or. Gaspar est le plus jeune des trois et il donna l’encens. Balthazar est barbu sans être âgé et il fit l’offrande de la myrrhe. On leur attribua au XVIème siècle une couleur de peau distincte pour chacun : blanche, noire et jaune.
Signification de cette fête
L’exemple des Rois.
Dans son homélie de l’Epiphanie[3], le pape Benoît XVI a évoqué les rois mages : «Pour l’Eglise croyante et priante, les mages d’Orient… personnifient le monde des peuples, l’Eglise des gentils, les hommes qui à travers tous les siècles se mettent en marche vers l’Enfant de Bethléem, honorent en lui le Fils de Dieu et se prosternent devant lui ». Le pape nous invite, à partir de l’histoire racontée par Matthieu, à nous faire une certaine idée du type d’hommes qu’ont dû être ceux qui, en suivant le signe de l’étoile, se sont mis en route pour aller trouver ce Roi qui aurait fondé un nouveau type de royauté, non seulement pour Israël, mais aussi pour l’humanité entière. Posons-nous la question : « Quel genre d’hommes ceux-ci étaient-ils donc? » Et, à partir d’eux, demandons-nous aussi si, malgré la différence d’époque et de missions, nous pouvons nous aussi les imiter… je crois que les caractéristiques de ces sages, nous concernent à nous tous les chrétiens.
Benoit XVI disait : «Les hommes qui partirent alors vers l’inconnu étaient, en tout cas, des hommes au cœur inquiet. Ils étaient à la recherche de la réalité la plus grande. Ils étaient peut-être des hommes instruits qui avaient une grande connaissance des astres et qui probablement disposaient aussi d’une formation philosophique. Mais, ils ne voulaient pas seulement savoir beaucoup de choses. Ils voulaient savoir surtout l’essentiel. Ils voulaient savoir comment on peut réussir à être une personne humaine. Ils voulaient reconnaître la vérité sur nous, sur Dieu et sur le monde. Leur pèlerinage extérieur était une expression de leur cheminement intérieur, du pèlerinage intérieur de leur cœur. En définitive, ils étaient des chercheurs de Dieu».
1° Hommes tournés vers Dieu, hommes de foi.
« Mais avec cela, nous arrivons à la question: comment doit être un homme mature dans l’Eglise de Jésus Christ? Nous pouvons dire: il doit être avant tout un homme dont l’intérêt est tourné vers Dieu, car c’est seulement alors qu’il s’intéresse vraiment aussi aux hommes ». C’est cela que nous comprenons quand nous disons qu’un homme doit être d’abord un homme de foi. Car la foi n’est pas autre chose que le fait d’être intérieurement touché par Dieu, une condition qui nous conduit sur le chemin de la vie. La foi nous introduit dans un état où nous sommes pris par l’inquiétude de Dieu et fait de nous des pèlerins qui sont intérieurement en marche vers le vrai Roi du monde et vers sa promesse de justice, de vérité et d’amour. Le pèlerinage intérieur de la foi vers Dieu s’effectue surtout dans la prière. Saint Augustin a dit un jour que la prière, en dernière analyse, ne serait autre chose que l’actualisation et la radicalisation de notre désir de Dieu. Comme pèlerin de Dieu, l’homme doit être d’abord un homme qui prie. Il doit vivre être dans un contact intérieur avec Dieu; son âme doit être largement ouverte vers Dieu. Il doit porter à Dieu ses difficultés et celles des autres, comme aussi ses joies et celles des autres.
2° Hommes de courage et d’humilité
« Revenons aux mages d’Orient. Ceux-ci étaient aussi et surtout des hommes qui avaient du courage, le courage et l’humilité de la foi. Il fallait du courage pour accueillir le signe de l’étoile comme un ordre de partir, pour sortir, vers l’inconnu, l’incertain, sur des chemins où il y avait de multiples dangers en embuscade. Nous pouvons imaginer que la décision de ces hommes a suscité la dérision: la plaisanterie des réalistes qui pouvaient seulement se moquer des rêveries de ces hommes. Celui qui partait sur des promesses aussi incertaines, risquant tout, ne pouvait apparaître que ridicule. Mais pour ces hommes touchés intérieurement par Dieu, le chemin selon les indications divines était plus important que l’opinion des gens. La recherche de la vérité était pour eux plus importante que la dérision du monde, apparemment intelligent».
Comment ne pas penser, dans une telle situation, à la vie d’un chrétien à notre époque? L’humilité de la foi, du fait de croire ensemble avec la foi de l’Eglise de tous les temps, se trouvera à maintes reprises en conflit avec l’intelligence dominante de ce monde. Celui qui vit et annonce la foi de l’Eglise, sur de nombreux points n’est pas conforme aux opinions dominantes justement aussi à notre époque. L’agnosticisme et l’athéisme aujourd’hui largement dominant a ses dogmes et est extrêmement intolérant à l’égard de tout ce qui le met en question et met en question ses critères. Par conséquent, le courage de contredire les orientations dominantes est aujourd’hui particulièrement urgent pour un chrétien. Il doit être valeureux. Le courage de demeurer fermement dans la vérité est inévitablement demandé à ceux que le Seigneur envoie comme des agneaux au milieu des loups. Naturellement, nous ne provoquons pas, mais bien au contraire nous invitons chacun à entrer dans la joie de la vérité qui indique la route. L’approbation des opinions dominantes, toutefois, n’est pas le critère auquel nous nous soumettons. Le critère c’est Lui seul: le Seigneur. Si nous défendons sa cause, grâce à Dieu, nous gagnerons toujours de nouveau des personnes pour le chemin de l’Evangile.
3° Hommes qui illuminent, des constellations de Dieu.
« Les mages ont suivi l’étoile, et ainsi ils sont parvenus jusqu’à Jésus, jusqu’à la grande lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. Comme pèlerins de la foi, les mages sont devenus eux-mêmes des étoiles qui brillent dans le ciel de l’histoire et nous indiquent la route ». Nous aussi nous devons devenir des vraies constellations de Dieu, qui éclairent les nuits de ce monde. Saint Paul, dans la Lettre aux Philippiens, a dit à ses fidèles qu’ils doivent resplendir comme des astres dans le monde. Si vous vivez avec le Christ, liés à nouveau à lui dans les sacrements, alors vous aussi vous deviendrez des sages. Alors vous deviendrez des astres qui précèdent les hommes et leur indiquent le juste chemin de la vie.
La manifestation de Jésus-Christ.
Par la Solennité de l'Epiphanie, la Liturgie de l'Eglise nous rappelle finalement, que le Salut en Jésus-Christ est universel. A la suite des Mages d'Orient qui ont historiquement manifesté leur adoration au Dieu-incarné, nous devons à notre tour exposer avec charité à ceux qui ne croit pas encore, notre foi et notre adoration au Christ, unique Sauveur et Médiateur de l'humanité, car « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la Vérité » (1 Timothée 2, 4). La toute dernière note doctrinale de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, «Dominus Iesu», nous rappelle ce grave devoir d'évangélisation en ces temps de relativisme: « A travers l'Église, le Christ veut rejoindre toutes les époques, tous les lieux et tous les milieux de la société, et atteindre chacun, pour que tous deviennent un seul troupeau sous un seul Pasteur (Jean 10, 16)». «Allez dans le monde entier, proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui refusera de croire sera condamné » (Marc 16, 15-16). « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile !» (1 Co 9, 16). En cette nouvelle année 2015, par l'intercession des Rois mages, demandons à Dieu de nouvelles grâces pour pouvoir manifester son fils au monde. Le véritable amour pour les autres se manifeste en plénitude dans l'annonce de l'Unicité et de l'Universalité Salvifique du Christ et de Son Eglise! «Caritas Christi urget nos !» (2 Co 5, 14).
Dans la légende dorée, Saint Bernard dit: «Que faites-vous? Vous adorez un enfant à la mamelle dans une vile étable? Est-ce que c'est un Dieu? Que faites-vous? Vous lui offrez de l’or? Est-ce donc un Roi ? Où donc est sa cour, où est son trône, où sont les courtisans de ce roi? Est-ce que la cour, c'est l’étable? Le trône la crèche, les courtisans de ce roi, Joseph et Marie Ils sont devenus insensés, pour devenir sensés».
P. Silvio Moreno, IVE
[1] CF. Dictionnaire universel françois et latin, dit de Trévoux, 6e édition (1771), notice « Épiphanie », page 793.
Cf. Ambroise Guillois, Les Saints Évangiles des Dimanches et principales fêtes de l'année, Le Mans, 1840. Depuis qu'on célèbre, d'une manière particulière, chacun des trois mystères dont nous venons de parler, on a laissé l'adoration des Mages au jour même de l'Épiphanie, qui pour cela est appelé le jour des Rois.
Cf. Le site de la conférence des évêques de France, voix « épiphanie ».
[3] Je suivrais ici librement et avec une légère adaptation, la dernière homélie du Pape émérite Benoît XVI pour la fête de l’épiphanie le 6 janvier 2013.