Dans cette première encyclique centrée sur la question écologique, 'Laudato si’, le pape François invite chacun « à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète ».
"La Croix" - 18/6/15 - 12 H 04
Dans l'encyclique Laudato si’ Le pape François s’adresse à « chaque personne qui habite cette planète ». Il se propose également « d’entrer en dialogue avec tous au sujet de notre maison commune » (n° 3). Il souligne ainsi que tout le monde devrait se sentir concerné par la problématique écologique qui interroge nos façons de vivre. Il fait aussi le parallèle avec l’encyclique Pacem in terris de Jean XXIII (1963) qui était adressée « aux fidèles de l’univers » tout entier tout en ajoutant : « ainsi qu’à tous les hommes de bonne volonté ». Jean XXIII écrivait alors que le monde était au bord d’une crise nucléaire, rappelle le pape François. Par cette référence, il semble suggérer que le monde d’aujourd’hui est au bord d’une catastrophe écologique et qu’il est donc urgent d’agir. Et à l’image de Jean XXIII qui « ne se contentait pas de rejeter une guerre, mais a voulu transmettre une proposition de paix », le pape François veut aussi avancer des pistes d’action.
La démarche du pape François est celle d’un discernement qu’il conduit au long des six chapitres que contient l’encyclique. Il commence par évaluer la situation actuelle, en se référant aux résultats disponibles de la recherche scientifique (chapitre 1). Il expose ensuite la tradition judéo-chrétienne pour mettre en évidence les motifs d’un engagement en faveur de l’environnement (chapitre 2). Il propose ensuite de dépasser l’observation des symptômes de la crise écologique pour en interpréter les causes profondes (chapitre 3). Il avance ensuite une proposition d’écologie intégrale, à la fois environnementale, économique et sociale (chapitre 4). Delà, il définit des pistes d’orientation et d’action (chapitre 5). Il termine son parcours en indiquent des ressources spirituelles qui peuvent permettre à l’humanité de changer (chapitre 6).
Le pape commence par expliquer que la réflexion philosophique et théologique a besoin de se confronter à la réalité pour ne pas donner l’impression de répéter la même chose et de rester dans l’abstraction. « Le christianisme lui-même, en se maintenant fidèle à son identité et au trésor de vérité qu’il a reçu de Jésus-Christ, se repense toujours et se réexprime dans le dialogue avec les nouvelles situations historiques, laissant apparaître ainsi son éternelle nouveauté » (n° 121).
Le diagnostic – « ce qui se passe dans notre maison » – est sombre : pollution et changement climatique, menace sur les ressources d’eau potable, perte de la biodiversité, détérioration de la qualité de la vie humaine et dégradation sociale…
« Nous n’avons jamais autant maltraité ni fait de mal à notre maison commune qu’en ces deux derniers siècles », écrit le pape François qui fustige un modèle de développement qui conduit à la dégradation de l’environnement. Ce qui se répercute immanquablement sur la vie des personnes, à commencer par les plus pauvres. Il défend la thèse selon laquelle « il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale » (n° 139).
« Ces situations provoquent les gémissements de sœur terre, qui se joignent au gémissement des abandonnés du monde, dans une clameur exigeant de nous une autre direction » (n° 53), écrit-il encore.
Il est frappant de noter le nombre de fois où le mot système – parfois qualifié de complexe – revient sous la plume du pape François : système mondial, système industriel, système climatique… Ceci a une conséquence logique : du fait de sa nature systémique, la crise écologique n’attend pas des éléments de réponse partielle. Il faut une approche intégrale de cette crise à la fois environnementale, économique, sociale, culturelle, qui embrasse aussi la question de la justice.
« Les possibilités de solution requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature » (n° 139). En d’autres termes, on ne peut se contenter de proposer « un remède technique à chaque problème environnemental qui surgit », car « c’est isoler des choses qui sont entrelacées dans la réalité, et c’est se cacher les vraies et plus profondes questions du système mondial » (n° 111). Ou encore : il convient d’admettre qu’« une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres » (n° 49).
La situation est urgente. Pourtant, les choses évoluent très lentement, observe le pape. Il reconnaît le chemin parcouru par le mouvement écologique depuis plusieurs décennies et salue tous ceux qui y sont engagés. Dans le même temps, il constate que les efforts pour trouver des solutions concrètes à la crise environnementale débouchent souvent sur des échecs « non seulement à cause de l’opposition des puissants, mais aussi par manque d’intérêt de la part des autres ». « Les attitudes qui obstruent les chemins de solutions, même parmi les croyants, vont de la négation du problème jusqu’à l’indifférence, la résignation facile, ou la confiance aveugle dans les solutions techniques » (n° 14), note-t-il.
Sa critique est particulièrement sévère à l’égard de la communauté internationale, faible dans sa réaction politique : « La soumission de la politique à la technologie et aux finances se révèle dans l’échec des Sommets mondiaux sur l’environnement. Il y a trop d’intérêts particuliers, et très facilement l’intérêt économique arrive à prévaloir sur le bien commun et à manipuler l’information pour ne pas voir affectés ses projets. (…) L’alliance entre l’économie et la technologie finit par laisser de côté ce qui ne fait pas partie de leurs intérêts immédiats. Ainsi, on peut seulement s’attendre à quelques déclarations superficielles, quelques actions philanthropiques isolées, voire des efforts pour montrer une sensibilité envers l’environnement, quand, en réalité, toute tentative des organisations sociales pour modifier les choses sera vue comme une gêne provoquée par des utopistes romantiques ou comme un obstacle à contourner » (n° 54). À quelques mois de la conférence sur le climat (Cop 21) à Paris, ces mots veulent mettre la communauté internationale devant ses responsabilités.
Il dénonce avec la même force la volonté des pays riches d’imposer aux pays pauvres un contrôle des naissances au motif que la croissance démographique serait incompatible avec le développement. Cet argument, pour le pape, ne fait en réalité que masquer l’égoïsme des riches : « Accuser l’augmentation de la population et non le consumérisme extrême et sélectif de certains est une façon de ne pas affronter les problèmes. On prétend légitimer ainsi le modèle de distribution actuel où une minorité se croit le droit de consommer dans une proportion qu’il serait impossible de généraliser, parce que la planète ne pourrait même pas contenir les déchets d’une telle consommation. »
En dépit de tous ces obstacles, le pape n’est pas résigné. « Le défi urgent de sauvegarder notre maison commune inclut la préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral, car nous savons que les choses peuvent changer », écrit-il dans son introduction (n° 13). Les raisons de sa confiance, il les trouve dans l’histoire sainte. Comme dans l’épisode de l’arche de Noé, lorsque Dieu « a donné à l’humanité la possibilité d’un nouveau commencement. Il suffit d’un être humain bon pour qu’il y ait de l’espérance ! » (n° 71) ou plus tard dans l’exil à Babylone (n° 74). « L’espérance, écrit-il, nous invite à reconnaître qu’il y a toujours une voie de sortie, que nous pouvons toujours repréciser le cap, que nous pouvons toujours faire quelque chose pour résoudre les problèmes » (n° 61).
Plus loin, il exprime encore cette espérance en observant que « tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer, au-delà de tous les conditionnements mentaux et sociaux qu’on leur impose. Ils sont capables de se regarder eux-mêmes avec honnêteté, de révéler au grand jour leur propre dégoût et d’initier de nouveaux chemins vers la vraie liberté » (n° 205).
Il est un mot qui revient souvent dans l’encyclique, et notamment dans le chapitre qui propose des lignes d’orientation et d’action : celui de dialogue. « J’adresse une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète », écrit le pape dans son introduction (n° 14). « La gravité de la crise écologique exige que tous nous pensions au bien commun et avancions sur un chemin de dialogue qui demande patience, ascèse et générosité, nous souvenant toujours que’la réalité est supérieure à l’idée’» (n° 201).
Le dialogue est la voie obligée en vue de réponses intégrales que personne ne possède : dialogue entre science et religion « qui proposent des approches différentes de la réalité » et qui peut être fécond pour toutes les deux (n° 62) ; entre foi et raison (n° 63) ; entre croyants de différentes traditions et confessions religieuses (n° 64) ; entre le langage scientifique et technique et le langage populaire (n° 143) ; entre politique et économie (n° 189) ; entre disciplines (n° 197) et entre sciences (n° 201) ; entre les différents mouvements écologistes, « où les luttes idéologiques ne manquent pas » (n° 201)...
Le pape insiste également sur la qualité et la transparence du dialogue dans les processus de négociations au niveau international en vue de l’obtention d’un consensus (n° 165). « La prévision de l’impact sur l’environnement des initiatives et des projets requiert des processus politiques transparents et soumis au dialogue, alors que la corruption, qui cache le véritable impact environnemental d’un projet en échange de faveurs, conduit habituellement à des accords fallacieux au sujet desquels on évite information et large débat » (n° 182).
Dialoguer, en fin de compte, c’est refuser les postures idéologiques et la défense des intérêts particuliers. Dans l’encyclique, le pape montre l’exemple. Il ne fait pas que la promotion du dialogue. Il le met aussi en œuvre, par exemple quand il laisse les données scientifiques interroger la foi chrétienne.
Dans son dernier chapitre, le pape François indique le type de changement dont l’humanité a besoin pour faire face au défi de l’heure. Il invite d’abord à « miser sur un autre style de vie » dans un monde où « le marché tend à créer un mécanisme consumériste compulsif pour placer ses produits » (n° 203). Ce qui suppose de dépasser l’individualisme (n° 208).
Le pape François souligne aussi l’importance du défi éducatif qui ne doit pas seulement créer une « citoyenneté écologique », mais doit aussi cultiver « de solides vertus », condition du « don de soi dans un engagement écologique » (n° 211). Cette éducation environnementale peut même être un chemin vers Dieu en nous disposant « à faire ce saut vers le Mystère, à partir duquel une éthique écologique acquiert son sens le plus profond » (n° 210).
Aucun geste ne peut être tenu pour anodin. Tous les efforts - « éviter l’usage de matière plastique et de papier, réduire la consommation d’eau, trier les déchets, cuisiner seulement ce que l’on pourra raisonnablement manger, traiter avec attention les autres êtres vivants, utiliser les transports publics ou partager le même véhicule entre plusieurs personnes, planter des arbres, éteindre les lumières inutiles » (n° 211) - peuvent contribuer à changer le monde en permettant au bien de se répandre dans la société (n° 212).
L’encyclique se termine par « quelques lignes d’une spiritualité écologique », tirées de l’Évangile et de l’expérience chrétienne, et susceptibles de nourrir l’engagement chrétien : « Il ne sera pas possible, en effet, de s’engager dans de grandes choses seulement avec des doctrines, sans une mystique qui nous anime », affirme le pape (n° 216). Il invite à emprunter un chemin de conversion qui doit conduire à un renouvellement de nos relations avec le monde qui nous entoure, avec autrui et avec Dieu.
Il propose de faire ce chemin en compagnie de François d’Assise, Thérèse de Lisieux, Bonaventure, Jean de la Croix, des saints qui nous révèlent le sens le plus profond d’une écologie intégrale : « Une écologie intégrale implique de consacrer un peu de temps à retrouver l’harmonie sereine avec la création, à réfléchir sur notre style de vie et sur nos idéaux, à contempler le Créateur, qui vit parmi nous et dans ce qui nous entoure, dont la présence ’ne doit pas être fabriquée, mais découverte, dévoilée’ (Evangelii gaudium, n° 71) » (n° 225). Le pape François cite aussi, en note, un mystique soufi (n° 233).
À noter aussi la finale de l’encyclique, avec deux prières : « Une prière pour notre terre » proposée en partage à tous ceux qui croient « en un Dieu Créateur Tout-Puissant » et une « prière chrétienne avec la création », pour que « nous sachions assumer les engagements que nous propose l’Évangile de Jésus, en faveur de la création » (n° 246).
Dominique Greiner