Cyprien, Évêque et martyr de Carthage[1]
14 septembre 258
Selon l’expression de Paul Ponceaux, Saint Cyprien fut « l’une des plus belles figures d’Évêque que présente l’histoire du christianisme".
Quelques notes sur sa vie
Sa vie peut s’esquisser dans la mesure où nous la connaissons. Il se convertit au christianisme peu avant 249. Sa lettre ad Donatum explique les motifs de sa conversion. En effet, ce petit traité est tout ensemble une apologie du christianisme et une confession de vie. Il conserve en outre quelques traits de la physionomie humaine et littéraire du Cyprien rhéteur d’avant la conversion.
Devenue évêque vers 249, alors qu’il était encore néophyte, il gouverna l’Eglise de Carthage pendant dix ans. Les premières lettres de son recueil, le montrent penché sur des problèmes pastoraux, pour la solution desquels les évêques voisins avaient sollicités ses lumières. Ses réponses sont claires, fermes, mais en même temps nuancés et empreintes de bonté.
Le début et la fin de son épiscopat furent en quelque sorte marqués par les deux persécutions de Dèce (250) et de Valérien (257-259). Pendant la première (qui fit quelques martyrs et de nombreux apostats), il s’était caché, pour continuer à diriger depuis sa retraite son Eglise désemparée, réconfortant les prisonniers, maintenant la discipline, réparant les brèches, encourageant les frères demeurés fidèles. Aussitôt la paix revenue, au concile du printemps 251, en accord avec l’Eglise de Rome, il régla le problème des apostats.
Par les conciles bisannuels qui se tenaient à Carthage au printemps et à l’automne, l’évêque de la métropole exerçait, de fait et moralement, une grande autorité morale sur toute l’Eglise d’Afrique. On a pu parler de lui comme du pape d’Afrique. Même d’Espagne, des Gaules, de Cappadoce, on venait lui demander conseil et on se rangeait volontiers à son avis. Avec Rome, la collaboration de cet homme exceptionnel fut particulièrement fructueuse pendant la persécution de Dèce et sous les pontificats de Corneille et de Lucius, alors que l’intransigeance de Cyprien sur la nécessité de rebaptiser hérétiques et schismatiques provoqua de sérieuses difficultés avec le pape Etienne.
En même temps que ce ministère pastoral, l’évêque de Carthage déploya une intense activité littéraire : en témoignent d’abord un recueil de 81 lettres, dont 59 écrites de sa main, les autres étant de ses correspondants et de lettres synodales ; plus une demi-douzaine de traité de circonstance, apologétiques et disciplinaires. Marqué comme Tertullien et Augustin par la solide discipline des rhéteurs, il fut le premier écrivain chrétien à renoncer à toute rhétorique, même si elle revient inconsciemment sous sa plume. Sa pensée s’est dépouillée de toute réminiscence profane : il ne cite que la Bible. Son discours se limite à la seule question à traiter : aucun hors-d’œuvre ne vient l’agrémenter, aucune digression l’interrompre. Ce dépouillement de la pensée était pour lui une forme d’ascèse. Ses qualités et même ses défauts ont fait de lui un écrivain chrétien à la fois cicéronien et africain, parfaitement capable de se faire entendre de ses contemporains et compatriotes.
Ce n’était pas son style qui lui avait conquis leur admiration. C’étaient sa rectitude de pensée, la fermeté de son enseignement, qui révélait tout aussi bien sa grandeur d’âme, son élévation de caractère, sa générosité et son dévouement envers les autres, sa fidélité à son engagement chrétien et ses devoirs de pasteur. Les évêques condamnes aux mines de Numidie louent en lui ces qualités. Son prestige avait vivement impressionné et son exemple entrainé les martyrs de la persécution de Valérien. Les Passions africaines de l’époque en ont conservé plusieurs témoignages. Son propre martyre fut la conclusion naturelle d’une vie exemplaire.
Son martyre
Le martyre de Cyprien est connu par deux textes contemporains, les Actes dits proconsulaires et la Vie écrite par le diacre Pontius. Celle-ci ressortit au genre du panégyrique plutôt que de l’histoire et contient peu de détails concrets, sauf précisément sur la mort de l’évêque. Les Actes proconsulaires sont, au contraire, un document précieux, conservent l’écho direct des audiences au cours desquelles il fut condamné, en exécution des décrets de Valérien, à l’exil en 257, à la mort en 258. Ils appartiennent à ce genre littéraire des comptes rendus l’audience, pris à la volée par des sténographes chrétiens, et lis en forme en vue de la lecture liturgique. Ce texte est un des meilleurs spécimens de la littérature hagiographique africaine.
« Sous le quatrième consulat de Valérien et le troisième de Gallien, trois jours avant les Calendes de septembre (30 août), à Carthage, dans la salle d’audience, le proconsul Paternus dit à l’évêque Cyprien : « Nos très saints empereurs Valérien et Gallien ont daigné me faire savoir par courrier que ceux qui ne pratiquent pas la religion romaine sont néanmoins tenus de prendre part à ses cérémonies. J’ai donc ouvert une enquête à ton sujet. Qu’as-tu à me déclarer ? »
L’évêque Cyprien : « Je suis chrétien et évêque. Je ne connais pas d’autre Dieu que le Dieu unique et véritable, qui a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent. Ce Dieu, nous le servons, nous les chrétiens, nous le prions jour et nuit, pour nous, pour tous les hommes et pour le propre salut des empereurs.
Paternus : « Persévères-tu dans ta croyance ? »
Cyprien : « Une croyance juste, qui connaît Dieu, est immuable.»
Paternus : « Tu es donc prêt à l’exil, selon l’arrêté de Valérien et Gallien ? Tu partiras à Curubis »
Cyprien : « Je pars. »
Paternus : « Le courrier qu’ils m’ont envoyé ne concernait pas seulement les évêques, mais aussi les prêtres. Je te prie donc de me donner les noms des prêtres domiciliés dans notre ville. »
Cyprien : « Vos lois ont assez de sagesse et de tenue pour condamner les délateurs. Aussi ne révélerai-je pas l’identité de ces prêtres. Vous les trouverez bien dans leurs cités. »
Paternus : « Aujourd’hui même, je les fais rechercher dans notre ville. »
Cyprien : « Notre règle interdit que l’on se livre soi-même aux autorités ; à toi aussi, sans doute, ce zèle semblerait de mauvais aloi. Ils ne vont donc pas se dénoncer les premiers. Mais, en les cherchant, tu les trouveras.
Paternus : « Oui, je les trouverai. L’édit impérial défend aussi que l’on tienne des assemblées en quelque lieu que ce soit et que l’on pénètre dans les cimetières. Qui enfreindra cette saine mesure sera puni de mort.
Cyprien : « Exécute les ordres que tu as reçus. »
Alors le proconsul Paternus fit déporter le bienheureux évêque Cyprien, qui demeura longtemps en exil.
Cependant, le proconsul Galère Maxime succéda au proconsul Aspasius Paternus. Le nouveau venu rappela l’évêque de son bannissement et demanda à ce qu’il comparût devant lui. Le saint martyr Cyprien, l’élu de Dieu, revint donc de la ville de Curubis, où l’avait envoyé le proconsul précédent, Aspasius Paternus, et un rescrit sacré l’autorisa à séjourner sur ses terres. Là, il s’attendait tous les jours à une nouvelle arrestation, dont un songe l’avait averti. C’est donc dans cette retraite que le jour des Ides se septembre (13 septembre), sous les consulats de Tuscus et Bassus, deux officiers firent irruption. L’un était l’écuyer d’état-major du proconsul Galère Maxime, le successeur d’Aspasius Paternus, l’autre, écuyer de cavalerie, servait dans le même état-major. Ils le firent monter dans leur char, le placèrent entre eux deux, et le conduisirent à Sexti,où le proconsul Galère Maxime s’était retiré pour des raisons de santé.
Galère Maxime préféra remettre au lendemain son entrevue avec Cyprien. Le bienheureux évêque fut alors emmené chez l’officier qui était l’écuyer d’état-major de l’illustre Galère Maxime, et qui le reçut sous son toit dans un quartier appelé Saturne, entre la rue de Vénus et la rue Salutaire. Tout le peuple de ses frères vint s’attrouper à cet endroit. Quand Cyprien s’en aperçut, il ordonna que l’on mît les jeunes filles en sécurité car la foule était massée dans la rue, devant la porte de l’officier, son hôte.
Le lendemain, dix-huitième jour des calendes d’octobre (14 septembre), au matin, l’ordre du proconsul Galère Maxime avait produit son effet : Sexti regorgeait de monde. Le proconsul ordonna que Cyprien comparût devant lui, à l’atrium Sauciolum, où il siégeait. On introduisit le prisonnier.
Proconsul Galère Maxime : « Est-ce toi, Thacius Cyprianus ? »
Evêque Cyprien : « C’est moi. »
Galère Maxime : « C’est bien toi qui te fais appeler père par ces bandes d’impies ? »
Cyprien : « C’est moi. »
Galère Maxime : « Nos très saints empereurs te somment de participer aux sacrifices. »
Cyprien : « Je n’en ferai rien. »
Galère Maxime : « Prends garde à toi. »
Cyprien : « Exécute les ordres que tu as reçus. Dans une affaire aussi simple, tu n’as pas à hésiter. »
Galère Maxime délibéra avec son conseil et rendit, mais à contrecœur, la sentence : « Depuis longtemps tu professes des opinions sacrilèges, tu as rassemblé autour de toi des groupes de conspirateurs criminels, et tu t’es fait l’ennemi des dieux romains et de leurs cultes sacrés. Les pieux et très saints empereurs Valérien et Gallien, nos Augustes, et Valérien, le très noble César, n’ont pas pu te ramener à l’observance de nos cérémonies. La preuve est faite que tu es l’instigateur et le porte-parole d’actions particulièrement répréhensibles. Tu serviras donc d’exemple à ceux que tu as pris pour complices de ton crime : ton sang sera versé, conformément à la loi. »
Il lut ensuite le verdict sur ses tablettes : « Thascius Cyprianus périra par l’épée. Tel est notre jugement. » L’évêque Cyprien dit : « Grâces soient à Dieu ! »
Après cette sentence, le peuple des frères s’écriait : « Qu’on nous décapite avec lui ! » Il s’ensuivit parmi eux une grande agitation, et en foule ils escortèrent le saint.
Cyprien fut conduit dans un champ très près de Sexti. Là il se dépouilla de son manteau de bure, mit genoux à terre et d’abîma dans la prière. Puis il enleva sa dalmatique et la remit aux gardes. Debout, en tunique de lin, il attendit le bourreau. Quand celui-ci fut arrivé, le martyr ordonna à ses frères de lui verser vingt-cinq pièces d’or. Et déjà les chrétiens plaçaient devant lui des linges et des toiles de lin. Puis le bienheureux Cyprien se banda lui-même les yeux et, comme il ne pouvait se lier tout seul les mains, il se fit aider par le prêtre Julien et le sous-diacre Julien. Alors le bienheureux Cyprien souffrit sa passion.
Son corps fut emporté non loin de là, pour le soustraire à la curiosité des païens. La nuit venue, on vint le prendre, à la lueur des cierges et des torches, et on l’emporta&, au milieu des prières et en grand triomphe, au cimetière du proconsul Macrobius Candidatus, situé sur la route de Mappala, près des piscines.
Le proconsul Galère Maxime mourut peu de jours après.
Le bienheureux Cyprien fut martyrisé le dix-huitième jour des calendes d’octobre (14 septembre), sous les empereurs Valérien et Gallien, ou plutôt sous le règne de notre Seigneur Jésus-Christ à qui sont honneur et gloire aux siècles des siècles. Amen »[2].