LES BEATITUDES ET LA MATURITE HUMAINE (I)

LES BEATITUDES ET LA MATURITE HUMAINE (I)

Introduction

Nous connaissons tous des hommes et des femmes, en particulier des jeunes, qui veulent vivre selon ce qu’ils croient, poursuivre leurs rêves et atteindre leurs objectifs... combien de fois avons-nous vu cela en Tunisie par exemple, et qui pour une raison ou une autre sont incapables de le faire. Ce genre de personnes ne peuvent donner suite à leurs propres décisions et poursuivre leurs propres objectifs. Elles commencent des études mais n’étudient pas, ne vont pas en cours... se marient peut être, puis divorcent, obtiennent un emploi... mais le perdent... ont de grands projets et les abandonnent. Elles finissent frustrées et mécontentes d’elles-mêmes enchaînant les échecs moraux, financiers, et parfois familiaux. Pourquoi cela se produit-il dans la vie de certains de nos jeunes? La cause sous-jacente est souvent un simple manque de maturité humaine.

Qu’est-ce que la maturité humaine ?

La maturité humaine consiste en la cohérence fondamentale entre ce que nous sommes et ce que nous devons être. La preuve la plus convaincante de notre maturité est notre fidélité et notre responsabilité dans l’accomplissement de nos engagements et nos obligations à la lumière de la foi et de la volonté divine. La maturité ne vient pas du jour au lendemain, tout comme on n’apprend pas à exécuter une grande symphonie du jour au lendemain. Chaque faculté doit être à sa place et le péché originel ayant tout mis sens dessus dessous, remettre de l’ordre exige un effort réel. La maturité humaine implique l’ordre et l’harmonie de nombreux éléments intérieurs. Cet ordre et harmonie a été enseigné de façons extraordinaire par Jésus au cours de sa vie, en particulier au sermon de la montagne.

Pour cela, je voudrais vous proposer, chers jeunes, en ces jours de méditation et silence, à la lumière de ce sermon de la Montagne, quelques-unes des principales caractéristiques de la personne mature selon la pensée de notre Seigneur.

1. La maturité à la lumière des béatitudes[1]

Pour notre réflexion et méditation. Mt 5, 3-12: « Voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés ».

Les béatitudes constituent la porte du sermon de la montagne. Elles sont le  distinctif du Christianisme, parce qu’elles souligneront ce qui est le propre de la religion chrétienne, et qui va la distinguer des autres religions. C’est peut être la raison pour laquelle elles ont été le sujet préféré des commentaires de nombreux exégètes, prêcheurs et théologiens. Pour saint Thomas d’Aquin, elles sont l’expression des actes les plus parfaits opérés par les vertus humaines perfectionnées par les dons de l’Esprit Saint. En d’autres mots, elles sont le sommet du travail surnaturel dans la vie du chrétien, ou bien le point d’arrivée dans la recherche de la maturité chrétienne. Il est évident que l’on arrivera au port désiré lorsqu’on aura bien déterminé la direction vers ce port.

Les béatitudes nous donnent ces orientions nécessaires par lesquelles nous devons avancer sur le chemin de la maturation. Chacune des béatitudes fait allusion à une attitude ou conduite propre et essentielle pour arriver à la maturité. Celui qui marche d’un pas ferme dans ces huit sentiers, marche vers sa  maturation personnelle. Selon le degré atteint dans chacune de ces dispositions psychologiques et spirituelles, on pourra mesurer où on en est dans la maturité humaine, par contre, celui qui manque d’une de ces attitudes  souffre d’immaturité.

Elles ne sont pas, donc, des qualités de caractère optionnelles, sinon indispensables. Elles sont huit caractéristiques à la base de la maturité, qui reflètent la relation de la personne avec les éléments de base de la vie, à savoir: le monde matériel (1), les passions (2), les échecs moraux (3), la sainteté (4), la misère et la souffrance des autres (5), la sphère affective et sexuelle (6), le ressentiment et les divisions entre les hommes (7) et le mystère de la souffrance (8). Les formules que Jésus-Christ emploie pour les béatitudes nous aident à examiner les pensées de notre cœur et la conduite que nous devons avoir devant certaines situations. Dans l’aspect spirituel, elles découvrent notre appartenance à l’un des deux possibles pilotes de l’âme, Dieu ou le monde.

(I) « Heureux les pauvres de cœur », on pourrait dire autrement : « bienheureux ceux qui sont détachés ». Cette béatitude « sonde » la maturité de notre rapport avec les biens créés, extérieurs (matériels) et intérieurs (psychologiques et spirituels). La pauvreté d’esprit implique la liberté face aux biens de ce monde, face à l’avoir ou au manque (ce que saint Ignace de Loyola a définit comme « indifférence »[2]). Mais elle suppose aussi une certaine « méfiance » (et même, jusqu’à certain point, « éloignement ») des solutions que promettent les réalités de ce monde, autrement dit, il s’agit de reconnaître qu’elles ne peuvent pas résoudre totalement nos problèmes, et encore moins satisfaire nos besoins spirituels ; c’est seulement Dieu qui peut répondre aux exigences de notre âme. Vivre cette béatitude requiert, finalement, l’attitude spirituelle du véritable pauvre: l’humilité (le « pauvre », dans le sens biblique, est celui qui reconnaît qu’il a besoin de Dieu, dépend de Lui et qu’il reçoit tout de Lui). L’expression la plus évidente et la plus importante du pauvre est le détachement de soi, qu’on peut appeler « un sain oubli de soi » (parce qu’il existe aussi un « oubli de soi » qui est de caractère mauvais[3]).

De cette attitude découlent d’innombrables biens qui portent notre caractère vers un véritable épanouissement ; parmi eux nous pouvons nommer par exemple une grande sérénité devant les difficultés d’ordre matériel, la paix de l’âme face aux situations économiques un peu difficiles, comme aussi notre confiance mise uniquement en Dieu. En même temps, l’humilité, condition du véritable pauvre, comme on l’a déjà dit, grandit dans le réalisme, l’oubli de soi et un grand pouvoir devant Dieu  (« La prière du pauvre traverse les nuées ; tant qu'elle n'a pas atteint son but, il demeure inconsolable. Il ne s'arrête pas avant que le Très-Haut ait jeté les yeux sur lui » dit le Livre de Ben Sirach le Sage, 35,17-18)

Par contre, l’absence de cette attitude est visible dans un caractère anxieux toujours à la recherche avide des choses ce monde. Dans l’ordre matériel, ce manque devient évident dans des comportements vicieux qui s’expriment par l’avidité et l’attachement aux richesses. Il produit impatience, angoisse, méfiance et inquiétude. Dans l’ordre spirituel, ils s’expriment par l’égoïsme et le fait de vivre replié sur soi-même.

En effet, le manque de cet « oubli de soi » est au centre de tous les comportements d’ordre neuropsychiatriques ; dans le  groupe « Neurotics Anonymous » -inspiré dans la méthodologie d’« Alcooliques Anonymes »- il est affirmé que ce genre de comportement trouve son origine dans un égoïsme inné de la personne, qui lui empêche avoir la capacité d’aimer »

Si nous voulons examiner notre cœur sur cet aspect particulier, nous devrions nous demander : suis-je attaché à quelque chose ou bien à une personne?, quelles sont mes peurs? (car elles dénotent mes attachements) Quelles conséquences ont provoqué soit en moi, soit chez les autres, l’attachement ou la confiance dans les choses de ce monde? Je pense toujours à moi? Je me mets toujours au centre, faisant tourner toutes les choses autour de moi, autour de mes inclinations ou bien de mes inquiétudes? Suis-je le critère définitif de mes jugements?

Lorsqu’on découvre que l’on n’est pas réellement indépendant par rapport aux choses créées, il va falloir travailler, non seulement dans l’esprit de pauvreté, mais aussi et surtout dans l’oubli de soi, parce que le combat contre « l’obsession de soi-même » est à la base de tout itinéraire spirituel, et aussi de tout traitement psychologique duquel on attend de bons résultats. Cela exigera de travailler aussi pour acquérir l’humilité et la confiance en Dieu.

(II) « Heureux les doux », c'est-à-dire : Heureux ceux qui soumettent leurs passions ». Doux est celui qui domine sa colère, ses réactions violentes, celui qui est capable de pardonner. Cette béatitude implique la sujétion de la passion de la colère, c'est-à-dire « domestiquer » son propre cœur, comme on le fait avec un animal impulsif et capricieux. Cela suppose la vertu de l’humilité (en fait, le mot grec utilisé dans cette béatitude que l’on traduit par mansuétude, équivaut aussi à celui d’humilité).

D’elle découlent des nombreux biens : la paix de l’âme qui émane du repos des passions, une grande forteresse spirituelle, parce que la personne qui sait se gouverner gagne à son service toute l’énergie qu’épuiseraient ses passions incontrôlées ; elle rend une certaine attraction pour les âmes qui vivent cette béatitude, parce que, selon le dicton, « l’on attrape plus de mouche avec une bouchée de miel qu'avec un tonneau de vinaigre », c’est ainsi que beaucoup de saints pour posséder cette béatitude avaient le don d’attirer les âmes vers eux, tels comme Saint François de Sales, Saint Jean Bosco, Saint François d’Assise, etc.

Par contre le manque de cette attitude caractérise une certaine immaturité qui rend l’esprit amer, nous fait devenir insupportable aux autres et à nous-mêmes ; rend notre psychologie esclave d’une passion qui finit par nous épuiser ; cause l’isolement de la personne, rendant difficile tout rapport avec elle, et pour cela, elle finit par être abandonnée ou au moins, évitée ; ce manque fait naître et grandir aussi le ressentiment, exagère les fautes d’autrui et engendre violence, haine, rancune, vengeance, divisions, etc.

Celui qui désire examiner la région de son cœur qu’on appelle « appétit irascible », devra se demander : je découvre mes ressentiments ou mes colères? Je méprise les autres avec mes paroles, gestes ou attitudes? Je me laisse souvent posséder par le désir de vengeance, ou dans mes comportements je suis agressif ou violent? Ai-je des réactions intempestives,  desquelles je me repens après? Ai-je du mal à demander pardon ou à m’excuser pour mes comportements? Je donne facilement et avec promptitude le pardon?

Ceux qui pensent cultiver cet aspect spirituel, devront se discipliner dans l’autocontrôle et dans la maitrise des passions (tout spécialement, la peur et la tristesse); et aussi, il faut mettre en pratique l’art d’apprendre à pardonner et la vertu essentielle de l’humilité.

(III) «Heureux ceux qui pleurent», ce qui veut dire «heureux ceux qui prennent conscience de ses fautes et de ses péchés et cherchent à se corriger, et à  réparer les maux commis».

Cette dimension spirituelle inclut trois étapes caractéristiques essentielles pour la maturité humaine. La première: la capacité de reconnaitre ses propres fautes, erreurs et péchés, mesurant notre responsabilité pour chacun d’eux. Une telle acceptation doit être pourtant, équilibrée et réaliste, parce que la conscience du péché no doit jamais se confondre avec un certain sens pathologique du péché, par lequel une personne a tendance à ne pas se sentir pardonnée, bien qu’elle ait reçu le pardon de Dieu ou du prochain offensé. La deuxième : il s’agit de pouvoir se repentir de ces actes. Et la troisième : l’intention de demander pardon et de réparer les lésions et les offenses causées (dans la mesure du possible).

De là découlent des biens considérables comme la capacité habituelle de se corriger et de progresser dans la vie, malgré les fautes commises ; le fait de se réconcilier avec Dieu et le prochain ; la paix de l’âme (comme le Seigneur le dit en quelque sorte, en concluant cette béatitude, « ils seront consolés »).

Par contre, l’immaturité sur ce plan, entraîne d’importantes difficultés parmi lesquelles on peut souligner une terrible note négative pour l’âme : le manque de douleur pour le péché, qui peut aller jusqu’à devenir un cas pathologique ; précisément on appelle « psychopathe » la personne impassible devant la douleur et la souffrance que lui-même inflige aux autres ; ou encore, le manque de regret ou d’empathie peut conduire à des attitudes d’ordre sadique.

En plus, l’immaturité renferme l’âme sur elle-même et la met contre Dieu ; la fait imiter le principale aspect psychologique de damnés de l’enfer, c'est-à-dire le manque de repentir par les maux commis. Elle produit désolation et désespoir. Elle crée donc un faux sens de la douleur, et de là se suivent des grands maux, comme par exemple, le poids lourd qui signifie charger avec ses fautes (qui devient une maladie d’ordre psychique), l’incapacité de se pardonner soi-même ou bien la tendance de revenir sur les erreurs passées sur lesquelles Dieu a déjà versé sa miséricorde.

Un bon examen de notre cœur sur cela devrait commencer par des questions comme celles-ci: Quelle est mon attitude affective par rapport à mes péchés ? Quel sens de la responsabilité j’ai de mes actes? Je comprends qu’en plus de me repentir je dois “réparer”, dans la mesure de mes possibilités, les erreurs commises ? Cela je le fais avec sérénité ou bien j’ai un sens de culpabilité démesuré ? Suis-je conscient de la souffrance provoquée chez les autres? J’évite faire souffrir à mon prochain ou sa douleur devient indifférente à moi ?, etc.

Dans le cas de découvrir certaines conduites anormales, on devrait travailler sur le sens du péché, l’humilité du cœur et l’oubli de soi. Et si existe un sentiment pathologique de culpabilité, l’effort devra faire accent surtout en acquérir le véritable sens du péché et la capacité de pardonner.

 


[1] R.P. Miguel Fuentes, « La madurez segùn Jesucristo ; el hombre a la luz del sermon de la montaña» de la collection Virtus n. 13. Traduction littérale faite par le R.P. Luis Martinez, IVE

[2] Pour saint Ignace, l’Indifférence est une attitude intérieure de détachement et de disponibilité totale en toutes choses entre les mains de Dieu, autrement dit ne pas pour une chose plutôt qu’une autre, tant que la volonté divine n’est pas manifestée.

[3] On met en pratique cet « oubli de soi » lorsque la personne sort d’elle-même pour aller à la recherche d’un idéal ou le bien d’autrui. Tandis que celui qui ne vit pas ce sain oubli de soi risque d’aboutir dans la mauvaise façon de l’oubli de soi, celle de s’évader de lui-même, comme c’est le cas d’un alcoolique, de celui qui tombe dans le vice des drogues ou bien dans d’autres vices.

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