OBSERVATIONS À PROPOS DE L'"INSTRUMENTUM LABORIS"
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Ce document présente de manière structurée et détaillée - à la lumière du Catéchisme de l’Église Catholique et, plus généralement, à celle du "depositum fidei" - des interrogations qu’a fait naître la "Relatio Synodi" du précédent Synode extraordinaire qui a, par la suite, été reprise et développée dans l’"Instrumentum laboris" destiné à la XIVe Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques.
À vrai dire, il est à peine nécessaire de faire remarquer à quel point l’"Instrumentum" va plus loin que la "Relatio" elle-même, dont il augmente la portée, en allant au-delà des intentions des Pères synodaux eux-mêmes. En effet, ce document a été rédigé en ayant soin d’y reprendre et d’y reformuler même les propositions qui, n’ayant pas été approuvées à une majorité qualifiée lors de la précédente session synodale extraordinaire, ne devaient pas et ne pouvaient pas être incluses dans le document final de ce synode et qui, pour cette raison, devaient être considérées comme rejetées.
Par conséquent, même là où l’"Instrumentum" semble se conformer à la Révélation et à la Tradition de l’Église, on se rend compte que la Vérité en est, en général, compromise, au point de rendre le document inacceptable dans son ensemble, ou alors il faudrait que son contenu soit proposé à nouveau et mis au vote à la fin de la prochaine assemblée synodale.
La pastorale n’est pas l’art du compromis et des concessions : elle est l’art de prendre soin des âmes dans la vérité. C’est pourquoi tous les Pères synodaux doivent tenir compte de l’avertissement du prophète Isaïe : “Malheur à ceux qui appellent le mal bien, et le bien mal, Qui changent les ténèbres en lumière, et la lumière en ténèbres, Qui changent l'amertume en douceur, et la douceur en amertume” (Isaïe 5, 20).
On remarquera, et ce n’est pas le point le moins important, que l’"Instrumentum" a été, dans une large mesure, vidé de sa signification théologique et dépassé, au point de vue canonique, par les deux Motu proprio du 15 août dernier, qui ont été rendus publics le 8 septembre suivant.
SOMMAIRE
1 – Observations relatives au § 122 (52)
A. – Une hypothèse incompatible avec le dogme
B. – Une utilisation inappropriée du Catéchisme de l’Église Catholique, dont sont tirés de manière erronée des arguments visant à étayer une forme d’éthique de la situation
C. – Un argument qui n’est pas ad rem
2 – Observations relatives aux §§ 124-125 (53)
Pas d’univocité du terme "Communion spirituelle" pour ceux qui sont dans la grâce de Dieu et pour ceux qui n’y sont pas.
3 – Observations relatives aux §§ 130-132 (55-56)
"Instrumentum laboris" et attention pastorale envers les personnes ayant des tendances homosexuelles : lacunes et silences
4 - Communion spirituelle et divorcés remariés
Étude plus approfondie à propos de la Communion spirituelle
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1 – OBSERVATIONS À PROPOS DU § 122 (52)
Préambule
La prochaine assemblée du Synode des Évêques veut traiter un grand nombre de problèmes concernant la famille. Cependant, en raison notamment du bruit médiatique et des grandes attentions dont le Pape a fait preuve envers les divorcés remariés, la prochaine session est, de fait, considérée comme le Synode de la Communion aux divorcés. L’un des thèmes qui seront abordés semble être, dans les faits et pour la plupart des gens, le thème du débat.
Chacun sait que, pour résoudre un problème, il est essentiel de le poser correctement. Malheureusement nous avons des raisons de penser que le document qui devrait fournir la manière correcte de poser la question – c’est-à-dire l'"Instrumentum laboris" – est au contraire trompeur et dangereux pour notre foi.
Nous présentons quelques observations à propos du paragraphe le plus problématique, celui qui concerne la question de l'accès à la Sainte Communion des personnes qui vivent "more uxorio" bien qu’elles ne soient pas mariées canoniquement l’une avec l’autre ; il s’agit du § 122, qui repropose le § 52 de la version définitive de la "Relatio finalis" de l'assemblée de 2014.
Le texte en question, le § 122 (52) :
"122. (52) La réflexion a porté sur la possibilité pour les divorcés remariés d’accéder aux sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie. Plusieurs Pères synodaux ont insisté pour maintenir la discipline actuelle, en vertu du rapport constitutif entre la participation à l’Eucharistie et la communion avec l’Église et son enseignement sur le mariage indissoluble. D’autres se sont exprimés en faveur d’un accueil non généralisé au banquet eucharistique, dans certaines situations particulières et à des conditions bien précises, surtout quand il s’agit de cas irréversibles et liés à des obligations morales envers les enfants qui viendraient à subir des souffrances injustes. L’accès éventuel aux sacrements devrait être précédé d’un cheminement pénitentiel sous la responsabilité de l’évêque diocésain. La question doit encore être approfondie, en ayant bien présente à l’esprit la distinction entre la situation objective de péché et les circonstances atténuantes, étant donné que «l’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées» par divers «facteurs psychiques ou sociaux» (CEC, 1735)".
Il y a des raisons qui conduisent à considérer que le § 122 contient :
A. – Une hypothèse incompatible avec le dogme
B. – Une utilisation inappropriée du Catéchisme de l’Église Catholique, dont sont tirés de manière erronée des arguments visant à étayer une forme d’éthique de la situation.
C. – Un argument qui n’est pas "ad rem"
A. – Une hypothèse incompatible avec le dogme, au point qu’elle se présente comme un doute volontaire en matière de foi
“La réflexion a porté sur la possibilité pour les divorcés remariés d’accéder aux sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie”.
Cette réflexion est illicite et elle doit être considérée comme une forme du doute volontaire en matière de foi, sur la base de ce qu’a déclaré solennellement le Concile Vatican I : ”ceux qui ont reçu la foi sous le magistère de l’Église ne peuvent en aucun cas avoir un motif justifié de changer ou de douter de leur propre foi”. En pleine conformité avec toute la Tradition de l’Église, le Catéchisme de l’Église Catholique met également le doute au nombre des péchés contre la foi:
CCC 2088 : “Il y a diverses manières de pécher contre la foi. Le doute volontaire portant sur la foi néglige ou refuse de tenir pour vrai ce que Dieu a révélé et que l’Église propose de croire. […] S’il est délibérément cultivé, le doute peut conduire à l’aveuglement de l’esprit”.
Le fait que l’affirmation “les divorcés remariés civilement qui vivent ensemble 'more uxorio' ne peuvent pas accéder à la Communion Eucharistique” fasse partie de ce que l’Église propose de croire comme révélé – et qu’elle ne puisse donc plus être remise en discussion – est prouvé par:
Jean-Paul II, Exhort. apost. "Familiaris consortio", 22 novembre 1981, § 84 :
“L'Église, cependant, réaffirme sa discipline, fondée sur l'Écriture Sainte, selon laquelle elle ne peut admettre à la communion eucharistique les divorcés remariés. Ils se sont rendus eux-mêmes incapables d'y être admis car leur état et leur condition de vie est en contradiction objective avec la communion d'amour entre le Christ et l'Église, telle qu'elle s'exprime et est rendue présente dans l'Eucharistie”.
Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre aux Évêques de l'Église Catholique sur l’accès à la communion eucharistique de la part des fidèles divorcés-remariés, 14 septembre 1994 :
"5. La doctrine et la discipline de l'Église en la matière ont été amplement exposées durant la période postconciliaire dans l'Exhortation apostolique Familiaris consortio. L'Exhortation rappelle, entre autres, aux pasteurs que, par amour de la vérité, ils sont tenus de bien discerner les diverses situations ; elle les exhorte à encourager la participation des divorcés remariés à divers moments de la vie de l'Église. En même temps, elle rappelle la pratique constante et universelle, "fondée sur la Sainte Écriture, de ne pas admettre à la Communion eucharistique les divorcés remariés" (Exhort. apost. Familiaris consortio, n° 84 : AAS 74 (1982) 185), en indiquant les motifs. La structure de l'exhortation et la teneur de ses paroles font comprendre clairement que cette pratique, présentée comme obligatoire, ne peut être changée sur la base des différentes situations.
"6. Le fidèle qui vit habituellement "more uxorio" avec une personne qui n'est pas sa femme légitime ou son mari légitime, ne peut accéder à la communion eucharistique. Si ce fidèle jugeait possible de le faire, les pasteurs et les confesseurs auraient, étant donné la gravité de la matière ainsi que les exigences du bien spirituel de la personne (Cf. 1 Cor 11,27-29) et du bien commun de l'Église, le grave devoir de l'avertir qu'un tel jugement de conscience est en opposition patente avec la doctrine de l'Église (Cf. Code de Droit Canonique, canon 978 § 2). Ils doivent aussi rappeler cette doctrine dans l'enseignement qu’ils donnent à tous les fidèles qui leur sont confiés".
Conseil pontifical pour les textes législatifs, Déclaration relative à l'admissibilité des divorcés remariés à la sainte communion, 24 juin 2000 :
“Le Code de droit canonique établit que «les excommuniés et les interdits, après l’infliction ou la déclaration de la peine, et ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste, ne seront pas admis à la sainte communion» (canon 915). Ces dernières années, quelques auteurs ont soutenu, s’appuyant sur divers raisonnements, que ce canon ne concernait pas les divorcés remariés. […]
"Face à ce prétendu contraste entre la discipline du Code de 1983 et les enseignements constants de l’Église en la matière, ce Conseil Pontifical, d’accord avec la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et avec la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, déclare ce qui suit :
"1. La prohibition que fait ledit canon, par nature, dérive de la loi divine et transcende le contexte des lois ecclésiastiques positives : celles-ci ne peuvent introduire de changements législatifs qui s’opposent à la doctrine de l’Église. Le texte de l’Écriture auquel se réfère sans cesse la tradition ecclésiale est celui de Saint Paul : «C’est pourquoi quiconque mange le pain ou boit le calice du Seigneur indignement, se rend coupable envers le corps et le sang du Seigneur. Que chacun s’examine donc soi-même et mange ensuite de ce pain et boive de ce calice ; car celui qui mange et boit sans reconnaître le corps du Seigneur, mange et boit sa propre condamnation» (1 Cor 11, 27-29. Cf. Concile de Trente, Décret relatif au sacrement de l’Eucharistie : DH 1646-1647, 1661)".
Le Catéchisme de l’Église Catholique, lui aussi, “réaffirme la pratique constante et universelle, «fondée sur la Sainte Écriture, de ne pas admettre à la Communion eucharistique les divorcés remariés»” et “les enseignements constants de l’Église en la matière” :
CEC 1650 : «Nombreux sont aujourd’hui, dans bien des pays, les catholiques qui ont recours au divorce selon les lois civiles et qui contractent civilement une nouvelle union. L’Église maintient, par fidélité à la parole de Jésus Christ ("Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère à l’égard de la première ; et si une femme répudie son mari et en épouse un autre, elle commet un adultère" : Mc 10, 11-12), qu’elle ne peut reconnaître comme valide une nouvelle union, si le premier mariage l’était. Si les divorcés sont remariés civilement, ils se trouvent dans une situation qui contrevient objectivement à la loi de Dieu. Dès lors ils ne peuvent pas accéder à la communion eucharistique, aussi longtemps que persiste cette situation. Pour la même raison ils ne peuvent pas exercer certaines responsabilités ecclésiales. La réconciliation par le sacrement de pénitence ne peut être accordée qu’à ceux qui se sont repentis d’avoir violé le signe de l’Alliance et de la fidélité au Christ, et se sont engagés à vivre dans une continence complète».
Conclusions du § A.
Le § 122 de l’"Instrumentum laboris" admet la possibilité de ce qui, pour un catholique, est tout à fait impossible. L’accès des divorcés remariés à la communion sacramentelle est présenté comme une possibilité légitime, alors que, au contraire, cette possibilité a déjà été définie comme illicite par le magistère antérieur (FC, CdF 1994, CEC, C. Pont. Textes Législatifs) ; elle est présentée comme une possibilité non seulement tout à fait théorique (en raisonnant “per impossibile”) mais réelle, alors que, au contraire, l’unique possibilité réelle pour un catholique en cohérence avec la Vérité révélée est d’affirmer l’impossibilité pour les divorcés remariés d’accéder de manière licite à la communion sacramentelle. La question est présentée comme étant ouverte au point de vue théologique, alors qu’elle est déjà close aux points de vue doctrinal et pastoral (Ibidem) ; elle est présentée comme si l’on partait de rien en ce qui concerne le magistère antérieur, alors que, au contraire, le magistère antérieur s’est prononcé avec tellement d’autorité que les discussions à ce sujet ne sont plus admises (Ibidem).
Si quelqu’un s’obstinait à vouloir rediscuter ce qui est donné à croire comme révélé par l’Église, en formulant des hypothèses qui sont incompatibles avec le dogme, il inciterait les fidèles à un doute volontaire en matière de foi.
B. – Utilisation inappropriée du Catéchisme de l’Église Catholique, dont sont tirés de manière erronée des arguments visant à étayer une forme d’éthique de la situation
"La question doit encore être approfondie, en ayant bien présente à l’esprit la distinction entre la situation objective de péché et les circonstances atténuantes, étant donné que «l’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées» par divers «facteurs psychiques ou sociaux» (CEC, 1735)".
Ces dernières lignes du § 122 de l’"Instrumentum laboris" renvoient au § 1735 du Catéchisme de l’Église Catholique pour étayer "la distinction entre situation objective de péché et circonstances atténuantes", en vue d’une éventuelle admission des "divorcés remariés" aux sacrements. Que dit, en réalité, le § 1735 du Catéchisme ? Lisons-le dans son intégralité :
“L’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées par l’ignorance, l’inadvertance, la violence, la crainte, les habitudes, les affections immodérées et d’autres facteurs psychiques ou sociaux".
Et maintenant essayons d’expliquer ce texte : imaginons le cas d’une pauvre jeune femme, vivant en Inde ou en Chine, qui est stérilisée parce qu’elle a subi des pressions, ou celui d’une jeune femme d’aujourd’hui, en Italie, qui est incitée à avorter par ses parents et par son fiancé... Dans ces cas-là, l’imputabilité est certainement diminuée ou annulée : non pas directement (simpliciter) à cause des tristes circonstances, mais en raison du caractère imparfait de l'acte : pour donner lieu à un jugement moral, un acte – un acte humain, pour être plus précis – doit avoir été commis librement et consciemment.
Aujourd’hui, même en Italie, en raison de la mauvaise éducation que l’on reçoit dès l’école maternelle, une jeune femme peut très bien ne pas se rendre compte que l’avortement est un homicide : de plus, elle pourrait être psychologiquement fragile et ne pas avoir la force de caractère nécessaire pour résister à tout et à tous. Il est clair que sa responsabilité morale est atténuée.
Prenons un autre cas : celui d’un divorcé, remarié civilement, qui a retrouvé la foi après la mise en place de sa nouvelle vie : supposons qu’il ait été abandonné par son épouse, qu’il se soit remarié en ayant l’idée erronée de constituer une nouvelle famille, et qu’il ne puisse plus retourner auprès de sa première épouse, la seule vraie (peut-être celle-ci vit-elle avec un autre homme et a-t-elle des enfants de lui). Ce frère, bien qu’il prie et participe activement à la vie de sa paroisse, bien qu’il soit apprécié par son curé et par tous les fidèles, bien qu’il soit conscient de son état de péché et qu’il ne s’obstine pas à vouloir le justifier, vit more uxorio avec la femme qu’il a épousée civilement, parce qu’il ne parvient pas à vivre avec elle comme frère et sœur. Dans ce cas-là, la décision de s’unir à la nouvelle épouse est un acte parfaitement libre et conscient, auquel ce qui est indiqué dans le § 1735 du Catéchisme de l’Église Catholique ne peut absolument pas s’appliquer.
En effet le Catéchisme lui-même enseigne, au § 1754 :
"Les circonstances ne peuvent en elles-mêmes modifier la qualité morale des actes eux-mêmes ; elles ne peuvent rendre ni bonne, ni juste une action en elle-même mauvaise".
Et dans l’encyclique "Veritatis splendor", Jean-Paul II affirmait, au § 115 :
"En fait, c'est la première fois que le Magistère de l'Église fait un exposé d'une certaine ampleur sur les éléments fondamentaux de cette doctrine et qu'il présente les raisons du discernement pastoral qu'il est nécessaire d'avoir dans des situations pratiques et des conditions culturelles complexes et parfois critiques.
"À la lumière de la Révélation et de l'enseignement constant de l'Église, spécialement de celui du Concile Vatican II, j'ai rappelé brièvement les traits essentiels de la liberté, les valeurs fondamentales liées à la dignité de la personne et à la vérité de ses actes, de manière à ce que l'on puisse reconnaître, dans l'obéissance à la loi morale, une grâce et un signe de notre adoption dans le Fils unique (cf. Ep 1, 4-6). En particulier, la présente encyclique offre des évaluations en ce qui concerne certaines tendances contemporaines de la théologie morale. Je vous en fais part maintenant, obéissant à la parole du Seigneur qui a confié à Pierre la charge d'affermir ses frères (cf. Lc 22, 32), pour éclairer et faciliter notre commun discernement.
"Chacun de nous sait l'importance de la doctrine qui constitue l'essentiel de l'enseignement de la présente encyclique et qui est rappelée aujourd'hui avec l'autorité du Successeur de Pierre. Chacun de nous peut mesurer la gravité de ce qui est en cause, non seulement pour les individus, mais encore pour la société entière, avec la réaffirmation de l'universalité et de l'immutabilité des commandements moraux, et en particulier de ceux qui proscrivent toujours et sans exception les actes intrinsèquement mauvais".
Conclusions du § B.
Ce que dit saint Jean-Paul II est sans équivoque : avec son autorité de successeur de Pierre, il réaffirme l'universalité et l'immutabilité des commandements moraux, en particulier de ceux qui interdisent en toutes circonstances et sans exception les actes intrinsèquement mauvais. De plus il réfute la séparation artificielle et fausse établie par ceux qui affirment qu’ils laissent sans changements la doctrine immuable, mais qui ensuite veulent concilier l'inconciliable, autrement dit ceux qui se comportent, au point de vue de la pastorale, d’une manière qui n’est pas cohérente avec la doctrine elle-même.
En effet le souverain pontife lui-même n’a pas écrit l'encyclique comme un exercice de spéculation intellectuelle sans lien avec le monde, mais il a voulu proposer les raisons du discernement pastoral nécessaire dans des situations concrètes et culturelles complexes et parfois critiques.
Un divorcé remarié, tel que celui qui a été décrit dans l’exemple que l’on vient de citer (cas qui n’est absolument pas rare), doit certainement être aimé, suivi, accompagné vers sa conversion complète et c’est seulement alors qu’il pourra recevoir la sainte Eucharistie. Cette conversion doit être annoncée comme réellement possible avec l’aide de la grâce, avec la patience et la miséricorde de Dieu, sans contrevenir à une vérité indiscutable de notre foi, selon laquelle on ne peut pas recevoir la sainte Communion si on est en état de péché mortel.
C. – Un argument qui n’est pas "ad rem"
"… cas irréversibles et liés à des obligations morales envers les enfants qui viendraient à subir des souffrances injustes".
Le fait d’être admis aux Sacrements n’a rien à voir avec les situations irréversibles, dans lesquelles il n’est plus possible de reconstituer le premier et véritable mariage.
Dans ces situations, la principale obligation morale que les divorcés remariés ont envers leurs enfants est de vivre dans la grâce de Dieu, afin de pouvoir mieux les éduquer ; le fait de les admettre ou de ne pas les admettre aux sacrements n’a rien à voir avec leurs obligations envers leurs enfants. À moins que l’on ne veuille nier que, au contraire, l’Église “avec une ferme confiance croit que même ceux qui se sont éloignés du commandement du Seigneur et qui continuent de vivre dans cet état pourront obtenir de Dieu la grâce de la conversion et du salut, s'ils persévèrent dans la prière, la pénitence et la charité” (Familiaris consortio, 84).
[…]
3 – "INSTRUMENTUM LABORIS" ET ATTENTION PORTÉE AUX PERSONNES AYANT DES TENDANCES HOMOSEXUELLES : LACUNES ET SILENCES
L'attention pastorale portée aux personnes ayant des tendances homosexuelles n’est certainement pas une nouveauté dans le magistère de l’Église. L'"Instrumentum laboris", par rapport à la "Relatio finalis" de 2014, met fin à la lacune la plus grave de ce dernier document, en portant davantage d’attention aux familles qui comprennent des personnes homosexuelles (familles presque complètement oubliées dans la "Relatio"). Une recommandation, même juste, d’éviter les discriminations injustes envers les personnes ayant des tendances homosexuelles, en faisant à peine allusion à leurs familles, est presque un "off-topic", dans un synode consacré à la famille.
Dans la rédaction de l'"Instrumentum laboris", d’une part il y a un paragraphe (le § 131) qui a été ajouté et qui recommande de porter attention à ces noyaux familiaux, mais d’autre part il n’y a pas trace d’indications importantes et fondamentales qui aient été réaffirmées par le Magistère ordinaire à ce sujet.
Nous considérons que, dans un synode consacré à la famille, traiter le problème de l’homosexualité en se bornant à dire qu’ il ne faut pas traiter mal les homosexuels et qu’il ne faut pas laisser leurs familles seules, constitue un péché par omission.
Voici le texte en question:
"L’attention pastorale envers les personnes ayant une tendance homosexuelle
"130. (55) Dans certaines familles, des personnes ont une orientation homosexuelle. À cet égard, nous nous sommes interrogés sur l’attention pastorale à adopter face à ces situations, en nous référant à l’enseignement de l’Église : «Il n'y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille». Néanmoins, les hommes et les femmes ayant des tendances homosexuelles doivent être accueillis avec respect et délicatesse. «À leur égard, on évitera toute marque de discrimination injuste» (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Considérations à propos des projets de reconnaissance juridique des unions entre personnes homosexuelles, 4).
"131. Il est réaffirmé que chaque personne, indépendamment de sa tendance sexuelle, doit être respectée dans sa dignité et accueillie avec sensibilité et délicatesse, aussi bien dans l’Église que dans la société. Il serait souhaitable que les projets pastoraux diocésains réservent une attention spécifique à l’accompagnement des familles où vivent des personnes ayant une tendance homosexuelle et à ces mêmes personnes.
"132. (56) Il est totalement inacceptable que les Pasteurs de l’Église subissent des pressions en ce domaine et que les organismes internationaux subordonnent leurs aides financières aux pays pauvres à l’introduction de lois qui instituent le “mariage” entre des personnes du même sexe".
Il nous semble que le texte ci-dessus peut faire l’objet des observations que nous formulons ci-dessous.
Lacunes et silences
Étant donné que nous sommes saintement exhortés à nous mettre dans la “situation d’un hôpital de campagne qui convient si bien à l’annonce de la miséricorde de Dieu”, il est opportun de rappeler que, dans tout hôpital qui se respecte, les médecins accomplissent leur devoir quand : 1) ils diagnostiquent la maladie, 2) ils administrent les soins, 3) ils suivent le patient jusqu’à sa guérison ; de plus l’Église, “connaissant les dangers d'une épidémie de peste”, tout en “se consacrant à la guérison de ceux qui en sont atteints”, “cherche à protéger à la fois elle-même et les autres de cette infection”.
Réduire l’œuvre de l’Église (ou ne rien dire de tout le reste) au fait d’accueillir les personnes ayant des tendances homosexuelles avec “respect et délicatesse” peut être assimilé tout au plus – pour rester dans la métaphore de l’hôpital de campagne – à des soins palliatifs.
De plus, se borner à rappeler que toute marque de discrimination injuste doit être évitée, sans rien dire d’autre, peut donner l’impression que l’on s’aligne sur la propagande anti-«homophobie», dont nous savons très bien qu’il s’agit d’un moyen détourné d’introduire dans les législations des normes funestes et dans les consciences l’acceptation de la théorie du "genre".
La Congrégation pour la Doctrine de la Foi faisait sagement observer, en 1986, qu’“une des tactiques utilisées consiste à affirmer, d'un ton de protestation, que toute critique ou réserve à l'égard des personnes homosexuelles, de leur activité et de leur style de vie, est purement et simplement une forme de discrimination injuste”.
Lorsque l’on parle de discrimination injuste envers les personnes homosexuelles, il est donc opportun d’expliquer également, de manière claire, ce qu’est vraiment la discrimination injuste et ce qu’est, au contraire, la nécessaire dénonciation du mal.
C’est la même Congrégation qui rappelait également que “l'éloignement par rapport à l'enseignement de l'Église ou le silence à son sujet n'est, dans un effort de prise en charge pastorale, ni la marque d'un vrai sens de la responsabilité ni celle d'un véritable ministère pastoral. Seul ce qui est vrai peut finalement être pastoral”.
1 – Nous considérons qu’il faut diagnostiquer clairement la maladie, comme l’a fait, par exemple, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, en 2003 ; voyons comment la question de la discrimination injuste est traitée dans un contexte très clair :
“Les actes homosexuels, en effet, «ferment l'acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d'une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir d'approbation en aucun cas» (Catéchisme de l’Église Catholique, n° 2357).
"Dans l'Écriture Sainte, les relations homosexuelles «sont condamnées comme des dépravations graves... (cf. Rm 1, 24-27 ; 1 Cor 6, 10 ; 1 Tm 1, 10). Ce jugement de l'Écriture ne permet pas de conclure que tous ceux qui souffrent de cette anomalie en sont personnellement responsables, mais il confirme que les actes d'homosexualité sont intrinsèquement désordonnés» (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration 'Persona humana', 29 décembre 1975, n° 8).
"Le même jugement moral se retrouve chez beaucoup d'écrivains ecclésiastiques des premiers siècles (Cf. par exemple saint Polycarpe, Lettre aux Philippiens, V, 3 ; saint Justin, Première Apologie, 27, 1-4 ; Athénagoras, Supplique au sujet des chrétiens, 34) et a unanimement été accepté par la Tradition catholique.
"Néanmoins, selon l'enseignement de l'Église, les hommes et les femmes ayant des tendances homosexuelles «doivent être accueillis avec respect, compassion, délicatesse. À leur égard, on évitera toute marque de discrimination injuste» (Catéchisme de l’Église Catholique, n° 2358 ; cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre sur la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles, 1er octobre 1986, n° 10). Ces personnes sont en outre appelées comme les autres chrétiens à vivre la chasteté (Cf. Catéchisme de l’Église Catholique, n° 2359 ; Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre sur la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles, 1er octobre 1986, n° 12). Mais l'inclination homosexuelle est «objectivement désordonnée» (Catéchisme de l’Église Catholique, n° 2358) et les pratiques homosexuelles sont des «péchés gravement contraires à la chasteté» (Ibid., n° 2396)”.
De plus il faut admettre la possibilité du péché de la part de personnes ayant des tendances homosexuelles, en n’excluant pas la confession en tant qu’aide surnaturelle parfois nécessaire :
“De toute façon, on doit éviter la supposition, injustifiée et dégradante, que le comportement homosexuel des personnes homosexuelles est toujours et absolument compulsif, et dès lors irresponsable. En réalité, il faut aussi reconnaître à ceux qui ont une tendance homosexuelle la liberté fondamentale qui caractérise la personne humaine et lui confère sa dignité particulière. En raison de cette liberté, comme en tout renoncement au mal, l'effort humain, éclairé et soutenu par la grâce de Dieu, pourra leur permettre d'éviter l'activité homosexuelle”.
L’amour se manifeste aussi en dévoilant la fausseté de certaines perspectives de bonheur :
“Comme dans tout désordre moral, l'activité homosexuelle entrave la réalisation et la satisfaction personnelle, parce qu'elle est contraire à la Sagesse créatrice de Dieu. En rejetant des opinions erronées concernant l'homosexualité, l'Église ne limite pas, mais défend plutôt la liberté et la dignité de la personne entendues d'une façon réaliste et authentique”.
2 - En deuxième lieu il est nécessaire de prescrire le traitement :
a) en prévenant les infections de l’esprit du monde…
“… Ainsi ceux qui se trouvent dans cette condition devraient-ils faire l'objet d'une sollicitude pastorale particulière, afin qu'ils ne soient pas enclins à croire que l'actualisation de cette tendance dans les relations homosexuelles est une option moralement acceptable”.
“[L'Église] s'inquiète sincèrement aussi de tous ceux qui ne se sentent pas représentés par les mouvements en faveur de l'homosexualité, comme de ceux qui pourraient être tentés de croire à leur propagande trompeuse”.
b) … en recourant également aux sciences humaines : le traitement prescrit ne doit pas être uniquement à caractère moral : de même que l’Église, afin de favoriser la bonne pratique du mariage, soutient la création de centres de consultations où sont enseignées les méthodes naturelles, de même il est opportun que l’Église favorise toutes les formes de soutien psychologique qui ont été proposées au cours de ces dernières années, avec un succès encourageant :
“En particulier, les Évêques auront à cœur de soutenir par les moyens à leur disposition le développement de formes spécialisées de pastorale des personnes homosexuelles, ce qui peut comporter, tout en restant dans la pleine fidélité à la doctrine catholique, la contribution des sciences psychologiques, sociologiques et médicales”.
c) … et en inspirant l’espérance : il est également nécessaire d’accompagner les personnes qui ont des tendances homosexuelles dans un itinéraire culturel visant à démasquer toutes les théories homosexualistes (telles que la théorie du "genre") et les slogans comme "on naît homosexuel" ; ce slogan assoupit la conscience des personnes qui veulent rester dans l’homosexualité et il ôte l’espérance à ceux qui voudraient en sortir.
3 – En troisième lieu, il faut suivre le patient jusqu’à sa guérison, c’est-à-dire jusqu’à la vie de grâce et à la sainteté elle-même ; toute chose, abstraction faite de la foi, qui est appelée malaise, est – pour le croyant – une occasion providentielle de se sanctifier: "Diligentibus Deum, omnia cooperantur in bonum" [Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu] (Rm 8, 28). Sur ce point aussi, nous ne trouvons pas de formulation meilleure que celle de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi :
“Que doit faire, dès lors, une personne homosexuelle qui cherche à suivre le Seigneur ? Fondamentalement, ces personnes sont appelées à réaliser la volonté de Dieu dans leur vie, en unissant au sacrifice de la croix du Seigneur les souffrances et les difficultés qu'elles peuvent éprouver du fait de leur condition. Pour le croyant, la croix est un sacrifice fécond puisque de cette mort surgissent la vie et la rédemption. Même si on peut prévoir la dérision dont sera l'objet, chez certains, cette invitation à porter la croix et à comprendre de cette manière la souffrance du chrétien, il convient de se rappeler que telle est la voie du salut pour tous ceux qui suivent le Christ.
"En réalité ce n'est là rien d'autre que l'enseignement de l'Apôtre saint Paul quand, s'adressant aux Galates, il leur dit que l'Esprit produit dans la vie du fidèle : "amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi" et plus loin il ajoute : "Ceux qui sont au Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs" (Ga 5, 22. 24).
"Néanmoins il est facile de mal comprendre cette invitation, en la considérant seulement comme un effort inutile de renoncement à soi. La croix est un renoncement à soi, mais dans l'abandon à la volonté de Dieu lui-même qui de la mort fait surgir la vie et rend ceux qui mettent leur confiance en lui capables de pratiquer la vertu au lieu du vice.
"Pour célébrer en vérité le Mystère Pascal, il est nécessaire de laisser celui-ci s'imprimer dans le tissu de la vie quotidienne. Refuser le sacrifice de sa propre volonté dans l'obéissance à la volonté du Seigneur, c'est en réalité faire obstacle au salut. De même que la Croix est au cœur de la manifestation de l'amour rédempteur de Dieu pour nous en Jésus, la façon dont des hommes et des femmes homosexuels se conforment au sacrifice du Seigneur par le renoncement à soi constituera pour eux une source de don de soi qui les sauvera d'une forme de vie risquant constamment de les détruire.
"Les personnes homosexuelles sont appelées, comme tout chrétien, à vivre la chasteté. Si elles s'attachent assidûment à comprendre la nature de l'appel personnel de Dieu à leur égard, elles seront en état de célébrer plus fidèlement le sacrement de pénitence et de recevoir la grâce du Seigneur qui y est généreusement offerte, pour pouvoir, en le suivant, se convertir plus pleinement”.
4 - Enfin chercher à se protéger et à protéger les autres de cette infection :
“La conscience morale exige d'être, en chaque occasion, témoin de la vérité morale intégrale à laquelle sont contraires aussi bien l'approbation des relations homosexuelles que la discrimination injuste vis-à-vis des personnes homosexuelles. Seront donc utiles des interventions discrètes et prudentes, dont le contenu pourrait, par exemple, être le suivant : clarifier l'usage instrumental ou idéologique que l'on peut faire de cette tolérance ; affirmer clairement le caractère immoral de ce type d'union ; rappeler à l'État la nécessité de contenir le phénomène dans des limites qui ne mettent pas en danger le tissu de la moralité publique et surtout de ne pas exposer les jeunes générations à une conception erronée de la sexualité et du mariage qui les priverait des défenses nécessaires et qui contribuerait, en outre, à la diffusion du phénomène lui-même”.
Conclusions
Le rappel du thème de l’aide à apporter aux familles qui ont des enfants à tendances homosexuelles donne l’occasion de se demander pourquoi ce thème est mentionné, plutôt que celui de l’aide face à d’autres difficultés qui sont beaucoup plus répandues dans les familles ; de plus la thématique est formulée de telle sorte que l’on glisse du problème de la famille à celui des personnes homosexuelles tout-court, "off topic" par rapport au véritable objet du synode.
De plus, même si le paragraphe en question doit se limiter quantitativement à quelques lignes, il omet de rappeler les véritables problématiques liées à la pastorale des personnes homosexuelles ; ce silence est d’autant plus coupable que l’idéologie du "genre" progresse actuellement de manière inquiétante.
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