1) Le quoi et le comment
En nous enseignant le "Notre Père" et la parabole de l’ami importun, Jésus nous dit :
a) quoi demander à Dieu pour être de plus en plus familier avec lui, pour vaincre le mal et obtenir tout ce que nous désirons. Mais il ne faut pas oublier que quand nous prions avec nos propres paroles, nous exprimons nos sentiments, nos désirs et nos besoins. En revanche, quand nous "utilisons" le "Notre Père", nous faisons nôtres les sentiments de Jésus pour son Père et pour nos frères.
b) comment le lui demander : avec l’insistance, la confiance et l’humilité qui attendent tout de la bonté toute-puissante de Dieu, avec qui on dialogue. Nous sommes aidés sur ce point, aujourd’hui, par la première lettre de la liturgie romaine, qui montre comment Abraham sait dialoguer avec le Seigneur, obtenant la pitié de Dieu pour la ville dans laquelle il habite.
Le colloque, le dialogue (Dieu t’écoute, tu peux lui parler, tu es son enfant), ce rapport mutuel est une caractéristique éminente du chrétien, qui est racheté et qui est entré dans la vie divine, comme fils adoptif, mais cependant toujours fils. L’esclave n’a pas le droit de parler, il doit seulement accepter la loi de son patron et obéir sans émettre d’objection. Dans le christianisme, l’homme est fils et non seulement il écoute Dieu mais il lui parle aussi ; l’homme est vraiment entré en communion avec l’Éternel, il peut s’adresser à lui et établir avec lui un rapport plus intime, un rapport de fils avec son père. Quand il s’adresse à Dieu par la prière du "Notre Père", il reconnaît donc un lien profond (le terme exact est "ontologique"), une union, une communion de sang.
Cette communion est réelle comme est réel le sang que le Christ a versé pour nous sur la Croix. Par cette communion sacrificielle, le Christ ressuscité élève l’humanité : nous sommes appelés là-haut selon le dessein de l’Amour. Il ne s’agit pas de vivre en aveugle mais avec les yeux de la foi et de l’espérance qui savent que le Seigneur vient de façon inattendue, non seulement à la fin de notre vie, mais maintenant, avec sa grâce, pour vivre avec nous, parfois en contradiction avec notre attitude déterminée par la déception, le découragement, les contrariétés, etc.
A ce sujet, nous pouvons nous sentir soutenus par les paroles du Card. Federico, archevêque de Milan, à la fin de son dialogue avec Don Abbondio : « Réapproprions-nous le temps : minuit est proche : l’Époux ne peut tarder ; gardons nos lampes allumées. Présentons à Dieu nos misérables cœurs, vides, parce qu’il lui plaît de les remplir de cette charité qui remédie au passé, qui assure l’avenir, qui craint et fait confiance, qui pleure et se réjouit, avec sagesse, qui devient en toute situation la vertu dont nous avons besoin » (Alessandro Manzoni, Les Fiancés [I promessi sposi], chap. XXVI).
2) Pourquoi prier ?
On peut donner différentes réponses. La plus importante, selon moi, est que la prière est nécessaire comme l’air à l’ensemble de notre vie. Il faut prier pour vivre et il faut respirer pour vivre. La prière est la respiration de l’âme, du cœur, et de tout notre être.
Au siècle dernier, un médecin athée célèbre, Alexis Carrel, s’est converti à Lourdes en assistant personnellement à un miracle : il vit guérir sous ses yeux un malade en phase terminale auquel il avait diagnostiqué un mal incurable. Il s’est converti. Plus tard, il a écrit un livre sur la prière, dans lequel il s’exprime ainsi : « Quand la prière est vraiment présente, son influence est comparable à celle d’une glande à sécrétion interne, comme la thyroïde ou les glandes surrénales, par exemple. Le sens du sacré est analogue à notre besoin d’oxygène et la prière est analogue à la respiration ».
Si nous feuilletons les pages des livres d’histoire de l’Église, nous y lisons combien la prière était vécue par les premiers moines en Orient, nous nous apercevons que le problème de la respiration est considéré comme fondamental. Saint Antoine Abbé avait l’habitude de saluer ses compagnons dans le désert en leur disant : « Respirez le Christ ! ».
Les premiers moines avaient inventé une formule de prière extrêmement brève : « Seigneur Jésus, aie pitié de moi, pêcheur », et la formule, répétée un nombre infini de fois, devait accompagner le rythme de la respiration.
Saint Jean Climaque enseignait : « Il faut que le souvenir de Jésus s’unisse intimement à ta respiration et tu connaîtras le secret de la paix intérieure ».
Dans ses Exercices spirituels, Saint Ignace de Loyola écrivait ceci : « Il faut fermer les yeux pour regarder Jésus dans son cœur et murmurer les paroles du "Notre Père, au rythme de sa respiration ».
Saint Padre Pio de Pietrelcina disait souvent : « La prière est le pain et la vie de l’âme, la respiration du cœur, une rencontre recueillie et prolongée avec Dieu ». Ce que souligne Padre Pio est très important : « la prière est une rencontre recueillie et prolongée »: « Recueillie », parce qu’on ne peut pas prier sans se préparer à la prière et si on est plein de tous ses problèmes, angoisses et préoccupations. « Prolongée », parce qu’on ne peut pas prier en quelques minutes. Il faut du temps pour entrer dans la prière ; malheureusement il arrive que quand nous commençons à prier, nous nous arrêtons là, nous devons partir et avec nous s’en va aussi la prière.
3) Suggestions de Saint Ignace de Loyola sur « Comment prier »
Dans le livre des Exercices spirituels, Saint Ignace de Loyola indique différentes manières de prier. Parmi celles-ci, il y a les fameuses « trois manières de prier » (Saint Ignace de Loyola, Exercices spirituels, nn. 238-260), adaptées à tous.
Première manière de prier : C’est un examen de conscience médité, qui aide à mieux connaître ses inclinaisons personnelles au péché, mais aussi à progresser dans la connaissance des fondements chrétiens et des dons de Dieu.
En quoi cela consiste-t-il ?
• Au début, un temps de recueillement, pour entrer plus consciemment dans la prière
• Une prière préparatoire, pour demander la possibilité de bien vivre ce moment, de connaître mes erreurs et la force de me corriger
• Le pas suivant consiste à examiner la matière, divisée en quatre parties : les dix commandements, les sept péchés capitaux, les trois facultés humaines (mémoire, intelligence, volonté) et les cinq sens du corps. Combien de temps ? Au moins une demi-heure.
• Je conclus par un dialogue familier avec le Seigneur, demandant et remerciant.
Cette première manière se prête à de nombreuses utilisations pratiques, parce que la liste de la matière n’est pas contraignante. Par exemple, elle permet aux personnes engagées dans la vie religieuse et consacrée de vérifier la signification de leurs règles et de leurs vœux et leur fidélité à ceux-ci. Cela peut servir aussi de préparation plus approfondie pour la confession.
Deuxième manière de prier
C’est une méditation simple sur les prières dites traditionnelles, pour en redécouvrir la profondeur et le goût.
Comment fait-on ?
• Là aussi, un temps de recueillement initial pour entrer plus consciemment dans la prière
• Une prière préparatoire pour demander la possibilité de bien vivre ce temps, d’apprécier et de goûter la profondeur intrinsèque de ces prières
• Je choisis une prière parmi les plus habituelles (ex. le "Notre Père", le "Je vous salue Marie", le "Je crois en Dieu") je m’arrête sur chaque mot, en découvrant que des images, des significations, des souvenirs personnels y sont liés. Je peux m’arrêter une demi-heure, mais pas plus d’une heure. Si le temps n’est pas suffisant pour épuiser le sujet, il peut être repris un autre jour : par exemple, je m’arrête pendant tout le temps de ma prière sur le mot "Père", qui est lié à Dieu Créateur, mais qui me fait aussi penser à mon père naturel. Et ainsi naissent, à partir de ces considérations, des pensées, des affections du cœur, des désirs, parfois aussi des tristesses.
• Un dialogue personnel avec la personne à laquelle s’adressait la prière (ex. Dieu le Père, Marie ou Jésus), pour demander ce dont je sens que j’ai le plus besoin. Le but est de traduire en intentions concrètes les affections et les désirs qui jaillissent de ma prière, qui est toujours liée à la vie de chacun de nous.
Deux précisions :
Les prières dites traditionnelles parlent de Jésus, du Père, de Marie, de l’Esprit-Saint, etc. Dès le début je garde à l’esprit la personne qui est décrite dans la prièreAutre point important et très pratique quant à l’attitude du corps : fixer les yeux sur un point ou les fermer, pour éviter que l’œil, en captant des images externes, ne provoque des distractions et des interférences.
L’exercice peut s’étendre à d’autres prières liturgiques, comme les psaumes et les prières eucharistiques de la messe, et peut être utile surtout pour ceux qui sont tenus à la récitation ordinaire du psautier de la liturgie des heures et à la célébration quotidienne de l’Eucharistie, en particulier dans les périodes d’aridité. Mais tout bon Chrétien qui a le désir d’aller au-delà de l’apparente simplicité des prières traditionnelles peut s’en servir pour approfondir et enrichir la valeur de chaque mot.
Troisième manière de prier
On tend vers une prière qui se détache de plus en plus de la pensée pour impliquer principalement le cœur. Elle est liée à la prière précédente, dans la mesure où elles ont en commun les mêmes actes préparatoires et la même matière. L’élément caractéristique de la troisième manière, par rapport à la seconde, est la manière de procéder.
Pourquoi ?
• Après la préparation et après avoir choisi la prière, j’utilise le rythme respiratoire. C’est-à-dire qu’à chaque respiration, j’unis un mot du "Notre Père" ou d’une autre prière que j’ai choisie. Cela rappelle les méthodes orientales, mais je ne cherche pas, ici, la pacification intérieure mais plutôt des pensées, des sentiments et des affections liés à ce mot, sans avoir besoin de faire un effort mental, même minimal (comme c’était le cas dans la seconde manière).
• Je parcours donc la prière, mot à mot, selon mon rythme respiratoire. À chaque respiration un mot, auquel s’uniront sans effort et de façon immédiate des sentiments, des pensées, des souvenirs, tout cela dans l’espace d’une respiration. L’acquisition d’un rythme respiratoire régulier et lent permet une immersion plus profonde dans le mystère, sans qu’il soit nécessaire de s’arrêter longuement sur les mots.
• Une particularité, par rapport aux deux autres manières, est l’absence d’indications sur le dialogue final, non pas parce que ce n’est pas important, mais parce que, au fond, cet exercice est en soi comme un long colloque.
Cette manière de prier peut être utilisée de façons multiples dans les divers champs de l’oraison. En effet, outre qu’elle favorise une meilleure intériorisation des prières traditionnelles et évite qu’elles ne deviennent des formules mécaniques, elle peut être d’une grande utilité dans la récitation de la liturgie des Heures. Unir son rythme respiratoire au psaume permet de donner du relief aux différents versets, surtout les plus expressifs, et d’en goûter la profondeur, en particulier quand, en raison de l’aridité ou de difficultés, la prière devient une routine.