PRESENTATION
A la suite de quelques conférences données aux jeunes catholiques de ma paroisse, je voudrais présenter dans ces pages trois articles qui concernent la réalité de l’avortement et sa juste compréhension. Les deux premiers articles, qui présentent l’avortement dans un aspect plutôt scientifique, ont été écrits par deux scientifiques de renommée et le troisième, visant plutôt à l’attitude de l’Eglise catholique par rapport à l’avortement et face aux personnes qui ont commis des avortements, a été écrit par moi-même dans le contexte du Jubilé de la Miséricorde.
Notre intention est celle de contribuer à construire la culture de la vie, à travers l’Évangile de la Vie et d’aider les jeunes garçons et jeunes filles, souvent manipulés par les medias et par la société elle-même à commettre ce crime abominable, à avoir le courage de défendre la vie humaine, don de Dieu, quoi qu’il en coute.
A tous ces jeunes nous leurs disons ce que disait aussi la future sainte Thérèse de Calcutta: « La vie est une chance, saisis-la. La vie est beauté, admire-la. La vie est béatitude, savoure-la. La vie est un rêve, fais-en une réalité. La vie est un défi, fais-lui face. La vie est un devoir, accomplis-le. La vie est un jeu, joue-le. La vie est précieuse, prends en soin. La vie est une richesse, conserve-la. La vie est amour, jouis-en. La vie est un mystère, perce-le. La vie est promesse, remplis-la. La vie est tristesse, surmonte-la. La vie est un hymne, chante-le. La vie est un combat, accepte-le. La vie est une tragédie, prends-la à bras-le-corps. La vie est une aventure, ose-la. La vie est bonheur, mérite-le. La vie est la vie, défends-la ».
P. Silvio Moreno, IVE
Tunis, 20 décembre 2015
EST-IL PERMIS D’AVORTER ?
Petite étude sous la forme d'une question théologique
Par STEPHEN LUTZ MD
Objections:
Il semble qu’il soit licite d’avorter pour les raisons suivantes.
1. La femme est maîtresse de son corps. Les femmes ont un droit de disposer de leur corps, c’est une revendication du féminisme contre toutes les formes de misogynie. Elles ont donc le droit d’avorter.
2. L’enfant n’a pas été désiré. Lorsqu’un enfant n’a pas été désiré, il risque d’être malheureux de souffrir toute sa vie. Afin d’éviter toutes ces souffrances, il faudrait mieux qu’il ne naisse pas.
3. Le viol. Lorsqu’un viol a eu lieu et que la victime se retrouve enceinte et que pour des raisons diverses (budget, volonté ...) et parfaitement acceptables, elle ne veut pas avoir d'enfant (qui serait perturbé le jour où il apprendrait les conditions de sa création), alors il est licite de la faire avorter le plus rapidement possible: à situations exceptionnelles, mesures exceptionnelles.
4. "Paternité responsable". Si la fécondation a lieu par accident (échec de la contraception), le couple peut retourner à son avantage le terme de l'Eglise de "paternité responsable" pour justifier que l'avortement est nécessaire par égard aux enfants déjà existants aux besoins desquels les parents ne pourraient plus subvenir efficacement si un nouvel enfant venait à naître. Beaucoup d’enfants conçus seront malheureux et n’auront pas une vie de qualité. L’avortement prévient ce problème et le résout.
5. Mauvais parents. Si les parents se savent incapables de bien assumer les rôles de père et de mère, il vaudrait mieux que la femme avorte s'il y a fécondation accidentelle pour ne pas laisser naître un enfant qui deviendrait assurément malheureux.
6. Malformation. Si, lors de la formation de l'embryon, on remarque une malformation qui aura pour effet absolument certain la naissance d'un enfant irrémédiablement handicapé ou anormal, il vaudrait mieux empêcher la naissance et faire avorter la mère par amour pour l'enfant, pour ne pas donner la vie à un être qui sera très probablement très malheureux et très seul du fait de son handicap. Cette solution semble la meilleure afin de lui épargner une vie indigne de l’homme.
7. Danger pour la vie de l'enfant et/ou de la mère. Si pour une raison quelconque les vies de l'enfant et/ou de la mère étaient à coup sûr menacées lors de l'accouchement, il vaudrait mieux ne pas prendre le risque de tuer soit la mère que son enfant soit carrément les deux! Cela peut devenir alors un choix entre une vie et une autre.
8. Mort du père. Si le père du futur enfant meurt durant la gestation, la mère peut vouloir ne pas donner naissance à un enfant qui n'a plus de père; cela pourrait être très préjudiciable à l'équilibre psychologique de l'enfant et ce serait par amour que la mère ne voudrait plus alors d'un enfant dont elle sait qu'il souffrira. S'il y a mort du futur père, la mère peut aussi se rendre compte de son incapacité financière (par exemple) à subvenir aux besoins d'un enfant que deux salaires auraient permis de bien faire vivre; elle peut alors vouloir avorter.
Sed contra (toutefois, contre ces raisons): Le Pape Jean Paul II écrit dans l’encyclique Evangelium vitae: «Avec l’autorité conférée par le Christ à Pierre et ses successeurs, (…) je déclare que l’avortement direct, c’est à dire voulu comme fin ou comme moyen, constitue toujours un désordre moral grave en tant que meurtre délibéré d’un être humain innocent». Cette doctrine est fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu écrite, elle est transmise par la Tradition de l’Eglise et enseignée par le Magistère ordinaire et universel» (n° 62)
Argumentation rationnelle: Il n’est jamais permis d’avorter. Cela apparaît dans le syllogisme suivant:
- Il n’est jamais permis de tuer un être innocent.
- Or l’enfant dans le sein de sa mère est un être innocent.
- Donc il n’est jamais permis de tuer l’enfant dans le sein de sa mère.
La « majeure » du syllogisme est évidente car tout homme a le droit à la vie. Ce droit est reconnu par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 (article 3) et même par la loi Veil qui dépénalise l’avortement en France: «La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie». (art. 1)! Ce droit est absolu et inaliénable; il ne fait qu’énoncer une exigence de toute société digne de ce nom: l’égalité absolue de tous les hommes quant à la vie. On peut même dire que ce droit est le premier car il fonde tous les autres droits; s’il n’est pas respecté tous les autres sont menacés. Supprimer à un être le droit à la vie revient en effet à supprimer le sujet du droit.
C’est à la mineure que les partisans de l’avortement s’attaquent. C’est cette vérité que nous allons nous attacher à prouver plus longuement. En effet, c’est une constante chez les hommes: à chaque fois qu’ils ont voulu exploiter leurs semblables ou les exterminer, ils ont mis en doute le caractère humain de ceux-ci. Dans l’antiquité, les esclaves étaient considérés comme des choses, au XVIe siècle les indiens comme des «bêtes à apparence humaine», ainsi que nous le rapporte Montaigne; et plus près de nous les nazis ont considérés les juifs comme des «non-hommes» des Unmemschen.
Or le caractère humain de l’embryon ne fait pas de doute. La science génétique moderne montre que dès le premier instant de la vie, se trouve déjà fixé le programme de ce que sera ce vivant. A la rencontre des gamètes mâles et femelles, tout le code génétique, c’est-à-dire, ce qui fait que cet être est un homme, et même cet homme dans sa particularité et non un autre, est présent.
Voici ce que déclarait devant la Commission du Sénat des Etats-Unis le professeur Jérôme Lejeune, membre de l’Institut et découvreur du gène de la trisomie: «Sitôt que les 23 chromosomes paternels sont réunis avec les 23 chromosomes maternels, toute l’information génétique, nécessaire pour exprimer toutes les qualités innées de l’individu nouveau, se trouve rassemblée. De même que l’introduction d’une mini-cassette dans un magnétophone permet la restitution d’une symphonie, de même le nouvel être commence à s’exprimer sitôt qu’il est conçu».
Et le Professeur Lejeune dit pour conclure: «La nature humaine de l’être humain, depuis sa conception jusqu’à sa vieillesse, n’est pas une hypothèse métaphysique, mais bien une évidence expérimentale».
Jérôme Lejeune, «Quand commence un être humain?», allocution prononcée le 23 avril 1981 devant la Commission du Sénat des Etats Unis. Cité en annexe du livre de Marc Dem, Lettre à Monsieur Quelconque sur les enfants artificiels, Dismas, Dion Valmont (Belgique), 1987, pp. 197-200.
Pour prendre un autre exemple, si je prends le risque d’injecter à un homme un produit que je sais être peut-être empoisonné, j’accepte implicitement que celui qui a reçu l’injection soit empoisonné. S’il meurt, je suis donc responsable de sa mort. J’ai commis un acte immoral. Le seul moyen d’échapper à cette responsabilité aurait été de ne pas lui injecter de ce produit… Si l’on refuse cette conséquence logique, alors la voie est ouverte et on pourra se permettre n’importe quoi.
A titre de comparaison, personne ne se demande en médecine vétérinaire si un embryon de vache est animé de vie féline ou canine. Il ne fait de doute pour personne que ce que la vache porte dans son utérus est un veau. De même, le produit de la procréation humaine est un être humain.
On peut arriver à la même conclusion en raisonnant par l’absurde. Notons tout d’abord qu’il est impossible de nier avec une certitude absolue que l’embryon soit un être humain. C’est une évidence. Le maximum que l’on puisse concéder est qu’il est douteux que l’embryon soit un être humain. Il se pourrait en effet qu’à un moment donné l’embryon humain qui était jusqu’à là un être potentiellement humain devienne réellement un homme. Remarquons déjà à ce stade qu’on se heurte à deux problèmes insolubles: si l’embryon humain n’est pas dès sa conception un être humain quand le sera-t-il effectivement? Par quel saut ontologique extraordinaire cela se produit-il ? Il est totalement impossible de morceler le processus physique enclenché pour y introduire une discontinuité et affirmer: «ça y est, c’est une personne» alors qu’avant cela n’en était pas une. Mais il y a plus.
En effet, dans ce cas, à chaque fois que l’on pratique un avortement, on accepte alors logiquement le principe que l’on tue peut-être un homme. Mais accepter ce principe, c’est accepter qu’il est licite de tuer un être humain, car en prenant le risque de tuer un homme, je prends le risque d’être homicide. Je remets en cause par voie de conséquence l’inviolabilité absolue de la vie humaine. Mis en forme, le raisonnement s’énonce alors de la façon suivante : Pour rendre licite l’avortement, il ne suffit pas de prouver que le foetus puisse ne pas être une personne, il faut pouvoir prouver avec certitude que cela n’en est pas une. En effet, dans le cas contraire, on prend le risque d’être homicide. Or il est impossible d’avoir la certitude métaphysique que le foetus n’est pas une personne humaine et la science nous incline même à penser le contraire. Donc il n’est jamais licite d’avorter.
Réponse aux objections
Principe général: Une intention bonne ne suffit pas à changer la valeur d’un acte. Ainsi on ne peut pas exécuter des innocents, pour sauver la Patrie. Sauver la Patrie est une fin bonne, mais cette fin ne justifie pas qu’on sacrifie un innocent: le droit à la vie humaine est inaliénable. Plus brièvement, la fin ne justifie pas les moyens. Or nous avons vu dans le corps de l’article, que l’avortement est toujours intrinsèquement mauvais parce que l’on tue un enfant. De même, les circonstances ne suffisent pas à changer la valeur d’un acte. Elles peuvent atténuer ou aggraver la responsabilité de celui qui le pose, mais en aucun cas elles ne peuvent faire que ce qui est mal devienne bien.
1. La femme est maîtresse de son corps. L’enfant non-né n’est pas un organe de sa mère, il est un être unique, distinct, avec son individualité génétique propre. La femme ne peut disposer de l’existence de cet être à sa guise comme le faisait le pater familias dans la société romaine. Refuser cela, c’est reconnaître l’esclave, système où un être humain peut devenir la propriété d’un autre.
2. L’enfant n’a pas été désiré. Il n’existe aucun critère pour dire si un enfant désiré sera heureux et si un enfant non désiré sera malheureux. Il existe des enfants non prévus qui sont aimés et des enfants désirés qui ne le sont pas: les bourreaux d’enfants désirent avoir des enfants. La psychologie montre en outre que la mère passe souvent au cours de sa grossesse de la contrariété à l’acceptation, et de l’acceptation à l’amour. Nous ne pouvons pas figer le désir au moment du début de la grossesse car il mûrit et progresse. Nous n’avons pas été tous désirés ; mais nous sommes sûrs d’avoir été accueillis. Enfin, l’enfant n’est pas un objet de consommation, c’est une personne. Ce n’est pas une vidéo ou une voiture, si «ça» plaît, on le prend; sinon on avorte.
3. Le viol. On ne remédie pas à une injustice en commettant une injustice plus grave encore; on ne répare pas le mal en commettant le mal. Par ailleurs, on assiste ces dernières années à une augmentation du nombre de viols. La libéralisation de l’avortement crée une mentalité de violence où le plus fort a le droit pour lui et où le plus faible ne peut résister au plus fort. Par-là elle conduit à banaliser le viol en exposant davantage encore les femmes à l’emprise phallocratique des hommes. Enfin, il est malhonnête de se servir de situations extrêmes pour banaliser l’avortement. A partir de quelques situations contraignantes, tout devient soudainement permis.
4. "Paternité responsable". Les partisans de l’avortement ont l’habitude de dire que la prévention à l’avortement se fait par la contraception. Or l’habitude contraceptive engendre la mentalité abortive: en cas d’échec de la contraception, on recourt plus facilement à l’avortement. Les faits sont d’ailleurs là pour en témoigner, 25 ans après la loi Weil, le nombre d’avortements n’a pas diminué et a même augmenté. Par ailleurs, dire qu’à partir du moment où les parents sont trop pauvres les enfants n’auront pas une vie de qualité, revient à soutenir que la vie ne vaut la peine d’être vécue qu’à partir d’un seuil de qualité. C’est une proposition monstrueuse et inacceptable, car on soutient le subjectivisme intégral. Quelle est cette qualité de vie ? Où se situe le bonheur ? Faut-il préférer le magnétoscope à l’accueil de l’enfant? Le bonheur de l’un ne fait pas le bonheur de l’autre: Pierre sait sourire là où Paul pense au suicide. Enfin, notre société n’a jamais été aussi riche. Il faudrait donc penser à une politique familiale qui donne au couple ayant de nombreux enfants le minimum de biens matériels indispensables pour assurer une existence digne.
5. Mauvais parents. Personne ne peut prévoir ce que sera le bonheur d’un enfant. S’il est légitime de tuer un être humain parce qu’il risque d’être malheureux, alors il est aussi légitime de tuer ceux qui, dorment et sont déjà malheureux. Personne n’ose soutenir cette conséquence pourtant rigoureuse.
6. Malformation. Si l’on admet que l’on peut éliminer tous les non-désirés (les handicapés, les trisomiques, les malades mentaux), la société humaine se détruit. Si l’on n’admet pas la présence des autres avec leurs différences, la vie en société devient infernale. Face à un handicapé, quelle est la solution la plus humaine? Le supprimer ou l’aider à mener la meilleure existence compte tenu de ses capacités? L’enfant atteint d’une malformation est pourtant membre de l’espèce humaine. Si on l’élimine en raison de sa malformation, on éliminera ceux qui n’ont pas la couleur de peau ou le sexe espéré.
7. Danger pour la vie de l'enfant et/ou de la mère. Ainsi que nous l’avons dit tout au début, la fin ne justifie pas les moyens. Le principe de la solution est simple: on ne choisit pas. On ne peut pas sacrifier une vie innocente à une autre. Ce que l’on doit vouloir, c’est sauver les deux. Il peut arriver cependant que, ayant fait tout ce qui est humainement possible, on aboutisse à une conséquence non voulue: la mort. Il peut arriver aussi qu’en voulant soigner la mère d’un cancer, cela entraîne une conséquence malheureuse, non voulue, non désirée. Mais nous sommes là dans le cas d’un acte qui à un double effet : l’un positif (la guérison du cancer), l’autre négatif (la mort de l’enfant). Cela est licite, car on ne veut pas dans ce cas l’effet négatif, on s’y résigne, on le désire pas, on le tolère.
8. Mort du père. Cette objection revient aux précédentes (n° 2, 4 et 6). On identifie indûment la vie humaine et la qualité de la vie humaine. Bien sûr, il est préférable qu’un enfant ait un père ou puisse avoir le minimum vital, mais en aucun cas le fait qu’il n’ait pas de père, ne donne le droit de le tuer. Vie humaine et qualité de vie ne sont pas à mettre sur le même plan. Pour prendre un exemple, on ne peut pas mettre sur le même plan la démocratie et la qualité (ou les défauts) de la démocratie. Les défauts de la démocratie, il faut les combattre, mais le pire moyen de les combattre serait de détruire la démocratie.
L’EMBRYON EST-IL UNE PERSONNE HUMAINE ?
Par PASCAL IDE
Docteur en Médecine, en Philosophie et en Théologie
Avec le développement de la Procréation Médicalement Assistée (PMA), la pratique du diagnostic préimplantatoire s’est généralisée et la demande des chercheurs à pouvoir utiliser pour l’expérimentation une partie des embryons créés in vitro n’a cessé de croître. En effet, dès le 6 novembre 1998, James Thomson et ses collaborateurs publiaient un article dans la revue Science annonçant qu’ils avaient réussi l’extraction et la mise en culture des cellules souches humaines embryonnaires. Doit-on encore parler d’embryon avant l’implantation dans l’utérus?
Les arguments contraires
Précisons l’argumentation interdisant à l’embryon préimplantatoire le droit d’être une personne.
1. La personne est un individu, donc, étymologiquement, un être indivisible. Or, l’embryon peut se séparer, du moins jusqu’à quinze jours, comme le montre l’existence des jumeaux issus de la même cellule initiale, dit jumeaux homozygotes. Donc, l’embryon n’est pas une personne humaine : on ne peut parler de celle-ci que si la possibilité d’apparition d’une gémellité vraie est dépassée.
2. Un individu vivant achevé est un organisme différencié composé de multiples organes et systèmes ordonnés à une ou plusieurs fonctions. Or, jusqu’au stade de la morula, c’est-à-dire 4 à 5 jours après la fécondation, les blastomères (les cellules composant l’embryon) sont totipotents, c’est-à-dire peuvent générer les cellules des trois feuillets embryonnaires, donc conduire à tous les types de cellules différenciées présentes dans l’organisme, ainsi que les tissus extra-embryonnaires, y compris le placenta. C’est pourquoi les besoins du diagnostic préimplantatoire conduisent à extraire de l’embryon primitif des blastomères sans nuire apparemment à son développement. Donc, au commencement, nous ne sommes pas en présence d’un individu pleinement constitué, a fortiori d’une personne humaine. Ne faudrait-il donc pas voir l’embryon précoce comme une masse, un groupe de cellules, certes, génétiquement humaines, certes en contact, mais sans organisation, autrement dit comme une juxtaposition de cellules individuelles distinctes?
A cet argumentaire se joignent certains glissements lexicaux qui sont autant de manipulations du langage, visant à transformer la pensée. Certains proposent de parler de «pré-embryon» et non pas d’embryon tant qu’il n’y a pas eu implantation. Certains dissocient conception et fécondation: l’ouvrage Obstetric-Gynecologic Terminology, publié par l’American College of Obstetrics and Gynecology en 1972, définit le terme conception comme «l’implantation du blastocyste» et la grossesse comme «l’état d’une femme suivant la conception et jusqu’au terme de la gestation», ce qui en exclut la période allant de la fécondation à l’implantation utérine. Les arguments s’opposant à la personnalisation de l’embryon préimplantatoire sont fondés sur la critique de son individualité; et cette critique s’appuie sur la prétendue autonomie des cellules composant l’embryon les premiers jours suivant la fécondation. Qu’en est-il ?
Que nous enseignent les sciences biologiques ?
Je retiendrai cinq constats aujourd’hui bien établis.
1. Lors de la pénétration de l’ovule par le spermatozoïde, il se produit deux séries successives de réactions: une inversion de la polarité électrique de la membrane ovulaire et une libération de granulations sous-corticales qui inactivent les récepteurs spermatiques. Conséquence: non seulement le zygote devient réfractaire à la pénétration de tout autre spermatozoïde, mais, ainsi verrouillé, il constitue une identité totalement nouvelle.
2. Le contact entre les différentes cellules composant l’embryon commence dès le stade deux blastomères où on observe des ponts entre cytoplasmes. Ce contact ne va cesser de s’accroître. Malgré la totipotentialité de ses cellules, l’embryon se différencie très précocement: entre le troisième et le quatrième cycle de division. De plus, un phénomène de compaction a pour effet d’augmenter les surfaces de contact entre cellules et donc d’accroître les possibilités d’échange intercellulaires d’ions et de molécules.
3. Par la fécondation, le zygote est constitué d’un génome (les chromosomes) original et complet. D’emblée opérationnel, il déploie ses activités immédiatement, pleinement, et continûment jusqu’à la mort, sans nouvel apport génétique. Les sciences nous montrent donc que, dès la conception, l’embryon n’est pas seulement une réalité en puissance, mais constitue une individualité distincte de toute autre, unique et dynamique.
4. Pendant longtemps, en génétique moléculaire a régné le postulat du «tout génétique»: le génome du zygote est très rapidement activé dans son ensemble; les cellules qui composent l’embryon préimplantatoire possédant le même message génétique, se multiplient de manière uniforme jusqu’à ce qu’intervienne la différentiation; cette perspective exclusivement génétique favorise donc l’identification de l’embryon avec une masse indifférenciée de cellules. Or, l’on sait aujourd’hui que la clef du développement embryonnaire réside non dans les gènes mais dans une régulation venant de mécanismes non génétiques, pour cela qualifiés de épigénétiques (produisant en particulier la méthylation et la déméthylation de l’ADN, qui est la molécule porteuse de notre information génétique). Et la régulation épigénétique fait appel non pas à la séquence de l’ADN, donc à la cellule isolée, mais à l’organisme entier, donc au tout qu’est l’embryon préimplantatoire, lui-même en connexion avec son environnement: l’on sait que le nouvel individu humain est en relation avec sa mère, au point que l’on parle de «dialogue foeto-maternel».
5. Lors de la fécondation, les génomes mâle et femelle qui se fusionnent dans le zygote (l’oeuf fécondé) sont transcriptionnellement inactifs; l’embryon emploie les composants maternels de l’ovocyte pour commencer son développement. Puis, à l’étape 4-8 cellules chez l’homme, s’opère l’activation du génome du zygote, ce qu’on appelle la «transition mère-zygote». Autrement dit, très tôt, au stade préimplantatoire, l’embryon prend le contrôle de son développement et l’oriente.
Ces différentes données scientifiques plaident toutes en faveur d’une forte individualité de l’embryon dès après la fécondation.
Pour la philosophie, qu’est-ce qu’une personne humaine ?
Si capitales soient ces données, il n’appartient pas aux sciences de répondre à la question posée, car il n’est pas de leur compétence, mais de celle de la Philosophie, de dire ce qu’est une personne humaine. Retenons une définition de bon sens: la personne est un individu humain, un individu appartenant à la nature humaine. Nous venons de voir que le zygote, puis l’embryon préimplantatoire, est un individu autonome, contrôlant son dynamisme de croissance. Ajoutons un élément dépassant ce stade primitif et englobant tout le développement embryonnaire: celui-ci est un processus continu (c’est une succession ininterrompue d’événements reliés l’un à l’autre sans nulle rupture) et graduel (c’est un passage de formes simples à des formes toujours plus complexes).
Entre la conception et la mort, il ne se produit aucun changement radical au sein du vivant humain. Les dénominations visant à différencier des étapes au sein de cet unique processus peuvent être pédagogiques, mais sont illégitimes si elles visent à séparer un stade humain d’un prétendu stade non-humain (par exemple en parlant de «pré-embryon»). Par ailleurs, ce zygote est bien de nature humaine. Il est le fruit de deux gamètes (ovule et spermatozoïde) humains. De plus, il possède toutes les caractéristiques, par exemple, génétiques, communes à tous les individus humains. Par conséquent, cet individu humain, comment ne serait-il pas une personne humaine?
La réponse aux objections
Répondons à présent brièvement aux deux arguments avancés en début:
1. Le premier confond indivision et indivisibilité: un individu se caractérise par son individualité (en acte), non par son indivisibilité (en puissance). De plus, on se représente l’apparition des jumeaux monozygotes comme une séparation de l’embryon en deux. Or, le plus souvent, il s’agit plutôt du détachement d’un blastomère à partir de plusieurs autres. Donc, ce n’est pas un embryon qui en devient deux, mais l’un qui provient de l’autre. Si l’on tient absolument à une image, il faudrait peut-être faire appel au riche symbole biblique de la naissance d’Eve à partir d’une partie d’Adam (le côté, métaphore du coeur, est un fragment prégnant de la totalité).
2. La totipotentialité peut s’interpréter de deux manières opposées: ou comme une indétermination indifférenciée, ou comme une réserve mise au service du bien de l’embryon. La découverte récente de la présence de cellules totipotentes chez l’adulte (ce qu’on appelle des cellules-souches) est en faveur de la seconde hypothèse: elles servent à réparer les organes malades; par exemple une équipe suédoise a montré que des cellules-souches nerveuses ont pu former des coeurs normaux.
De tout temps, l’homme a été impressionné par l’extraordinaire développement qui se déroule entre la fécondation et la naissance. Mais aujourd’hui, les sciences nous interdisent d’y voir seulement un passage de puissance à acte: déjà au point de départ, le zygote est un être extraordinairement organisé et actif, autrement dit un être en acte. Il est non pas une personne potentielle, mais une personne avec un potentiel.
Par P. SILVIO MORENO, IVE
Le 1er septembre 2015 le pape François a envoyé une lettre à Mgr Rino Fisichella sur quelques points particuliers à vivre pendant le jubilé de la miséricorde qui commencera dans quelques semaines.
Les indications du pape François font référence à la façon dont les prisonniers pourront obtenir les indulgences ; au pardon du péché de l’avortement et la licéité et validité des confessions chez les prêtres de la Fraternité Saint Pie X.
L’éclaircissement que nous présentons aujourd’hui touche particulièrement le deuxième point : le pardon de l’avortement. Tout en remerciant le pape François pour son souci pastoral et sa charité envers les personnes blessées, en plus de cette importante possibilité de confessions qui a été donnée aux fidèles, nous croyons cependant que ce texte amène à la confusion (peut-être pour certains prêtres) et ne dit pas ce qui est nécessaire pour que les fidèles comprennent toute la réalité de l’avortement. La réaction publique confirme cette affirmation.
Certes, nous savons que l’intention est la meilleure : le salut des âmes. Mais nous pensons que, toujours guidés par la même motivation, il faut bien expliquer aux fidèles les arguments et les raisons de telles décisions. Je suis conscient aussi que nous ne pouvons pas rentrer non plus dans tous les détails canoniques de la question, surtout s’il s’agit d’une action pastorale directe envers les fidèles, mais nous devons au moins donner à ceux-ci une vision qui inclut les aspects principaux de la question. La bonne formation des fidèles doit toujours être une grande préoccupation pastorale.
Voici ce que dit le texte: « L’un des graves problèmes de notre temps est sans aucun doute le changement du rapport à la vie. Une mentalité très répandue a désormais fait perdre la sensibilité personnelle et sociale adéquate à l’égard de l’accueil d’une vie nouvelle. Le drame de l’avortement est vécu par certains avec une conscience superficielle, qui semble ne pas se rendre compte du mal très grave qu’un tel acte comporte. Beaucoup d’autres, en revanche, bien que vivant ce moment comme un échec, considèrent ne pas avoir d’autres voies à parcourir. Je pense, en particulier, à toutes les femmes qui ont eu recours à l’avortement. Je connais bien les conditionnements qui les ont conduites à cette décision. Je sais qu’il s’agit d’un drame existentiel et moral. J’ai rencontré de nombreuses femmes qui portaient dans leur cœur la cicatrice de ce choix difficile et douloureux. Ce qui a eu lieu est profondément injuste; pourtant, seule sa compréhension dans sa vérité peut permettre de ne pas perdre l’espérance. Le pardon de Dieu à quiconque s’est repenti ne peut être nié, en particulier lorsqu’avec un cœur sincère, cette personne s’approche du Sacrement de la Confession pour obtenir la réconciliation avec le Père. C’est également pour cette raison que j’ai décidé, nonobstant toute chose contraire, d’accorder à tous les prêtres, pour l’Année jubilaire, la faculté d’absoudre du péché d’avortement tous ceux qui l’ont provoqué et qui, le cœur repenti, en demandent pardon. Que les prêtres se préparent à cette tâche importante en sachant unir des paroles d’authentique accueil à une réflexion qui aide à comprendre le péché commis, et indiquer un itinéraire de conversion authentique pour pouvoir obtenir le pardon véritable et généreux du Père qui renouvelle tout par sa présence ».
Dans ce remarquable texte nous surlignons tout simplement la dernière partie par laquelle le pape accorde la faculté de pardonner le péché de l’avortement à tous les prêtres pendant une année.
Nous viennent à l’esprit une série des questions : s’il y a une concession particulière à tous les prêtres de pardonner l’avortement pendant le jubilé est-ce parce qu’en temps normal ils ne peuvent pas le pardonner ? C’est un péché particulier ? Alors qui peut le pardonner normalement ? Pourquoi ?
Voyons tout d’abord la sanction et le péché d’avortement : l’avortement est un péché mortel grave contre le cinquième commandement : « Tu ne tueras pas » (Exode 20,13). « Dieu seul est le Maître de la vie, de son commencement à son terme : personne, en aucune circonstance, ne peut revendiquer pour soi le droit de détruire directement un être humain innocent »[1]. La personne tuée par avortement a exactement le même droit à la vie que l’avorteur, ou celui qui coopère à l’avortement, ou le politicien qui légifère sur le « droit » de tuer. Parler du droit que l’on a sur son propre corps pour justifier l’avortement relève de la sophistique. Il n’y a pas un seul corps, mais deux, pas une seule personne, mais deux, et avec chacune un droit égal à la vie. C’est pourquoi l’Église appelle l’avortement un « crime abominable »[2]. Le crime d’avortement est presque toujours un péché en chaîne. Un groupe de personnes partage la culpabilité : l’avorteur, les assistants, le personnel de bureau, la direction de l’hôpital, les propagandistes et les politiciens responsables – et tous ceux qui demeurent passifs alors qu’ils devraient parler, agir ou prier.
Donc puisque le péché de l’avortement est un péché grave, il est censuré avec une pénalité de la part de l’Eglise : il s’agit de l’excommunication «latae sententiae» (excommunication dans laquelle on tombe automatiquement une fois le péché commis) : Canon 1398 : Qui procure un avortement, si l'effet s'en suit, encourt l'excommunication latae sententiae. Et cette sanction peut être remise seulement, selon le c. 1355 § 2, par l’ordinaire, leurs délégués et tous les évêques dans l’acte de la confession : « Peut remettre la peine latae sententiae prévue par la loi mais non encore déclarée, si elle n'a pas été réservée au Siège Apostolique, l'Ordinaire pour ses propres sujets et ceux qui se trouvent sur son territoire ou qui y auraient commis le délit; tout Évêque peut aussi la remettre, mais dans l'acte de la confession sacramentelle » (c. 1355 § 2).
Dans le code de droit canonique promulgué le 25 janvier 1983, le législateur ecclésiastique condamne l'avortement et le punit avec fermeté au même titre que l'homicide (c. 1397). La raison essentielle est que l’embryon est reconnu comme un être humain.
L'auteur de l'avortement donc peut être un individu ou plusieurs individus qui ont coopéré (c. l329). Il s'agit ici de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) ; c'est-à-dire que l'avortement est directement recherché et résulte de la libre intervention de l'homme. Les co-auteurs du délit et les complices nécessaires ont tous la même responsabilité objective et l'action gravement peccamineuse est imputable à chacun d'eux :
• ceux qui ont conseillé l'avortement,
• les infirmiers, médecins, pharmaciens, herboristes qui ont vendu les médicaments,
• tous ceux, parents ou amis qui ont concouru effectivement à l'opération... Les co-auteurs et complices nécessaires encourent la même peine que l'auteur principal.
Donc le crime d'avortement public ou occulte entraîne automatiquement la peine d'excommunication «latae sententiae» sur tout avorteur et toute avorteuse baptisée, clercs ou laïcs (c. 1398), aussi bien l'auteur principal que les coopérateurs positifs nécessaires à l’action.
L'excommunié est privé de certains biens spirituels ou de biens matériels. Par exemple : interdiction de recevoir les sacrements et sacramentaux. Pour un clerc, interdiction d'exercer tout pouvoir ou office d'ordre ou de gouvernement. L'excommunication a un rôle médicinal; elle veut amener le coupable à regretter son délit et à réparer les torts commis et le scandale.
Mais pour tomber dans une sanction canonique latae sentetiae il y a certaines conditions :
1. Etre validement baptisé dans l’Église catholique.
2. Avoir accompli l’état canonique pour être sujet de ce type de sanctions (pour excommunication latae sententiae) : 18 ans.
3. Qu’existe l’imputabilité pour le péché grave : donc matière grave et l’avoir commis avec pleine conscience et pleine volonté.
4. Que le sujet connaisse l’existence de la sanction pour ce péché particulier; pas forcement qu’il sache comme s’appelle la sanction ou ce qu’elle signifie, mais au moins qu’il sache que l’Eglise censure avec une forte pénalité ce type de péché.
Par contre le canon 1323 dit : « N'est punissable d'aucune peine la personne qui, lorsqu'elle a violé une loi ou un précepte:
1. N'avait pas encore seize ans accomplis (ou 18 ans pour le cas d’excommunication latae sententiae);
2. Ignorait, sans faute de sa part, qu'elle violait une loi ou un précepte; quant à l'inadvertance et l'erreur, elles sont comparées à l'ignorance;
3. A agi sous la contrainte d'une violence physique ou à la suite d'une circonstance fortuite qu'elle n'a pas pu prévoir, ou bien, si elle l'a prévue, à laquelle elle n'a pas pu s'opposer;
4. A agi forcée par une crainte grave, même si elle ne l'était que relativement, ou bien poussée par la nécessité, ou pour éviter un grave inconvénient, à moins cependant que l'acte ne soit intrinsèquement mauvais ou qu'il ne porte préjudice aux âmes;
5. A agi en état de légitime défense contre un agresseur qui l'attaquait injustement, elle-même ou une autre personne, tout en gardant la modération requise;
6. Etait privée de l'usage de la raison.
3. Avortement et pardon miséricordieux
Il y a un détail qui est très important pour bien comprendre cette décision du pape François: il s’agit donc d’un péché grave pénalisé ou censuré par l’Eglise et réservé uniquement à l’autorité de l’Eglise (dans ce cas aux évêques et à leurs délégués). C’est ici le noyau de la question.
Afin de bien comprendre la question il faut préciser quelques aspects[3] :
1. Une chose est le péché et une autre chose bien différente est la sanction canonique due pour un péché grave. Dans l’Eglise, il existe quelques péchés qui par leur gravité sont punis canoniquement (par la loi de l’Eglise).
2. Une chose est la faculté d’absoudre les péchés et une autre chose bien différente est la faculté d’absoudre les sanctions (punitions) canoniques. En effet, la rémission de la sanction canonique implique de la part de celui qui la remet, le pouvoir du gouvernement exécutif. La rémission de la sanction est un acte du gouvernement exécutif (la loi de l’Eglise). Ce pouvoir, en soi-même, doit être exercé dans le for externe, donc auront le pouvoir de remettre une sanction dans le for externe, selon la norme du droit, ceux qui ont reçu le pouvoir du gouvernement (le code de droit canonique assigne cette fonction à l’évêque, c. 1355 et bien sûr au Saint-Siège). Mais puisque la règle suprême de la loi de l’Eglise est la « salus animarum », le droit prévoit dans quelques cas particuliers, que ceux qui n’ont pas ce pouvoir puissent cependant pardonner une sanction déterminée, dans le for interne sacramentel (c’est-à-dire dans la confession) : le chanoine pénitencier, le chapelain, tous les prêtres en cas de danger de mort, le confesseur dans le cas urgent (expliqué dans le c. 1357).
C’est-à-dire que l’Eglise donne aux prêtres exceptionnellement et dans un cas particulier le pouvoir de gouvernement afin d’absoudre la sanction dans le for interne (la confession). Mais cette faculté ne lui vient pas par la faculté de confesser. Par contre la rémission normale des péchés que l’on fait dans une confession vient de la faculté de confesser donnée par l’ordination sacerdotale. Voilà pourquoi un prêtre peut toujours pardonner un péché, mais ne peut pas toujours absoudre une sanction canonique.
3. Donc si un fidèle se retrouve avec un péché grave sanctionné par l’Eglise, c’est cette sanction qui l’empêche de recevoir le sacrement de la confession et interdit indirectement au confesseur de l’administrer. Il faudrait alors que le prêtre puisse tout d’abord enlever la sanction afin de pouvoir par la suite pardonner le péché. Mais cela ne peut pas toujours se faire sauf en deux cas particulier : le danger de mort ou le cas urgent : Can. 1357 - § 1. Restant sauves les dispositions des cann. 508 et 976, le confesseur peut remettre au for interne sacramentel la censure latae sententiae non déclarée d'excommunication ou d'interdit, s'il est dur au pénitent de demeurer dans un état de péché grave pendant le temps nécessaire pour que le Supérieur compétent y pourvoie.
§ 2. En accordant la remise, le confesseur imposera au pénitent, sous peine de retomber sous le coup de la censure, l'obligation de recourir dans le délai d'un mois au Supérieur compétent ou à un prêtre pourvu de faculté, et de se conformer à ce que celui-ci ordonnera; en attendant il lui imposera une pénitence convenable et, dans la mesure où cela est urgent, réparation du scandale et du dommage; le recours peut être aussi fait par le confesseur, sans mention de nom.
Donc pour bien comprendre les paroles du pape François, le pape donne aux prêtres, pour cette année jubilaire, non la possibilité de pardonner « le péché d’avortement » parce que cela vient de la faculté de confesser, mais il leur donne le pouvoir du gouvernement afin d’absoudre la sanction du péché de l’avortement sans besoin de faire recours à l’autorité compétente après la confession. C’est-à-dire que par disposition pontificale et pendant une année, les prêtres auront la faculté ordinaire pour absoudre la « sanction » du péché de l’avortement. Le Cardinal Velasio de Paolis affirme dans le journal la Nazione : « Il est normal, à l'occasion d'un Jubilé, qui plus est sur la miséricorde, que l'Eglise (...) lève tous les obstacles pour permettre l'absolution d'un péché très grave comme l'avortement ».
Conclusion : Dans la normalité, le confesseur qui se trouve avec un pénitent qui a commis un péché d’avortement, après s’être informé si le pénitent est vraiment sanctionné (et donc qu’il accomplit toutes les conditions pour l’excommunication) procédera, si la personne se trouve dans un cas urgent, à l’absolution immédiate puis déposera obligatoirement (par lui-même ou par le pénitent), le recours à l’autorité compétente (dans ce cas l’évêque) dans le mois suivant afin qu’il donne la pénitence adéquate.
Si par contre, le pénitent ne remplit pas les conditions, il ne tombe pas dans l’excommunication. Cela peut arriver très fréquemment surtout parce que la personne ignore totalement que l’Eglise sanctionne avec une pénalité tel péché (dans 80% des cas assistés, au moins en Afrique, les personnes ignorent complétement une telle sanction). Dans ce cas le confesseur pourra pardonner le péché comme d’habitude en insistant sur la gravité de ce péché, en donnant une pénitence adéquate et en invitant le pénitent à la réparation du scandale et du dommage. Pour cela il n’a pas besoin d’une permission spéciale.
Pour cette année jubilaire donc l’unique différence est celle de pouvoir absoudre la sanction d’excommunication dans les cas vérifiés et cela par tous les prêtres du monde et sans rien faire par la suite (recours à l’autorité compétente).
4. Avortement, accompagnement et guérison[4]
Dans ce tipe de phénomène il y a deux constatations : toutes les personnes qui viennent se confesser d’avortement sont conscientes de ce qu’elles ont fait (dans le sens de la gravité du péché) et plusieurs parmi elles se sentent aussi blessées par ce qu’elles ont fait. Nous constatons aussi que souvent nous ne trouvons pas de malice du côté de la personne, mais nous voyons par contre un manque de discernement et de volonté devant cette situation et surtout un manque de relation maternelle entre la mère et le fils. Pour beaucoup d’entre elles il n’y a pas encore la conscience de la maternité, elles ne sentent pas forcement que cette créature est leur enfant, qu’il leur appartient et qu’elles ont le droit et l’obligation de le défendre.
Donc dans la confession il faut autant que possible les aider à soigner intérieurement (on peut aussi être toujours disponible pour un colloque en dehors de la confession pour mieux accompagner la personne blessée), pour cela il faudrait par exemple :
Le pansée de Saint Jean Paul II peut nous aider : « Je voudrais adresser une pensée spéciale à vous, femmes qui avez eu recours à l'avortement. L'Eglise sait combien de conditionnements ont pu peser sur votre décision, et elle ne doute pas que, dans bien des cas, cette décision a été douloureuse, et même dramatique. Il est probable que la blessure de votre âme n'est pas encore refermée. En réalité, ce qui s'est produit a été et demeure profondément injuste. Mais ne vous laissez pas aller au découragement et ne renoncez pas à l'espérance. Sachez plutôt comprendre ce qui s'est passé et interprétez-le en vérité. Si vous ne l'avez pas encore fait, ouvrez-vous avec humilité et avec confiance au repentir: le Père de toute miséricorde vous attend pour vous offrir son pardon et sa paix dans le sacrement de la réconciliation. C’est à ce même Père et à sa miséricorde qu’avec espérance vous pouvez confier votre enfant. Avec l'aide des conseils et de la présence de personnes amies compétentes, vous pourrez faire partie des défenseurs les plus convaincants du droit de tous à la vie par votre témoignage douloureux. Dans votre engagement pour la vie, éventuellement couronné par la naissance de nouvelles créatures et exercé par l'accueil et l'attention envers ceux qui ont le plus besoin d'une présence chaleureuse, vous travaillerez à instaurer une nouvelle manière de considérer la vie de l'homme »[5].
Soyons sûrs que l’Église ne condamne pas les personnes mais les actes. La mission de l’Eglise, c’est de prêcher la Vérité dans la charité pour sauver les âmes. Elle invite donc toutes les mamans (ainsi que les responsables implicites et explicites de tel acte) à demander avec insistance la Miséricorde du Seigneur. Seule la Miséricorde Infinie de Notre Seigneur Dieu peut mettre fin aux forces du mal. C'est dans une telle perspective que le Pape Jean-Paul II affirme de façon claire et sans ambages: « Aucune circonstance, aucune finalité, aucune loi au monde ne pourra jamais rendre licite un acte qui est intrinsèquement illicite, parce que contraire à la loi de Dieu, écrite dans le cœur de tout homme, discernable par la raison elle-même et proclamée par l'Eglise»[6].
L’exemple d’une maman extraordinaire puisse nous aider à bien comprendre la valeur de la vie humaine. A l’automne 1961, alors que Jeanne Beretta Molla est toute à la joie d’une nouvelle maternité, un médecin lui diagnostique un fibrome à l’utérus. Jeanne, elle-même médecin, prend très vite conscience des risques qu’elle encourt. Trois solutions s'offrent à elle:
– l'ablation du fibrome et de l'utérus contenant l'enfant: cette intervention sauvera très certainement la vie de la maman ; mais l'enfant mourra, et elle ne pourra plus en avoir d'autre;
– l'ablation du fibrome et l'avortement provoqué: la mère aura la vie sauve et pourra éventuellement avoir d'autres enfants plus tard ; mais cette solution est contraire à la loi de Dieu;
–l'ablation du fibrome seulement, en tentant de ne pas interrompre la maternité en cours: seule cette troisième possibilité laisse la vie à l'enfant ; mais elle expose celle de la mère à un très grave danger.
Elle refuse avec fermeté les deux premières solutions, prête à tout pour sauver son enfant au péril de sa vie. « Qu'on ne se préoccupe pas pour moi, pourvu que tout aille bien pour le bébé !» dit-elle avec force à son entourage avant son opération. «Oui, j'ai tant prié ces jours-ci, confie-t-elle au prêtre venu l'encourager. Avec foi et espérance, je me suis confiée au Seigneur, même en face de cette terrible parole de la science médicale : ou la vie de la mère ou celle de l'enfant. J'ai confiance en Dieu, oui ; maintenant à mon tour d'accomplir mon devoir de mère. Je renouvelle au Seigneur l'offrande de ma vie. Je suis prête à tout, pourvu qu'on sauve mon enfant».
L’intervention chirurgicale réussit, mais affaiblit la mère. Sans que le sourire disparaisse de son visage, Jeanne passe les derniers mois de sa grossesse dans la prière et l'abandon à la volonté de Dieu, à travers de grandes douleurs physiques et morales. Et le samedi Saint 21 avril 1962, naît une petite Jeanne-Emmanuelle en parfaite santé. Mais l’état de la maman se dégrade, suite à des hémorragies et à une infection généralisée. Au bout d’une semaine de terribles souffrances, véritable chemin de croix, Jeanne reçoit avec ferveur les derniers sacrements. En présence de son mari, qui a approuvé son choix, et répétant dans son agonie « Jésus je t’aime », Jeanne rend son âme à Dieu. Elle avait 39 ans. Son enterrement est une grande manifestation unanime de profonde émotion, de foi et de prière. Tous ceux qu’elle avait connus, soignés, soutenus ont voulu témoigner leur reconnaissance et leur amour pour cette femme à la fois simple et « extra-ordinaire ».
Par sa profonde éducation chrétienne reçue tout au long de son enfance, par ses années passées au service des autres, et à travers la sainteté de son mariage, toute son existence a préparé Jeanne Beretta-Molla à ce sacrifice ultime : le don de sa propre vie pour l’enfant à naître. C’est à la fois un hymne à l’amour : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime », ainsi qu’un chant pour la beauté de la vie, et pour la défense des tout-petits dans le sein de leur mère.
En la béatifiant puis la canonisant, le pape Jean-Paul II nous montre que nous sommes tous appelés à la sainteté, quel que soit notre état de vie, pour peu que nous vivions dans la Charité avec le désir de progresser. Faisons nôtres ces paroles qu’il prononça dans son homélie, le jour de la canonisation : « Gianna Beretta Molla fut une simple messagère de l'amour divin, mais elle le fut de façon profondément significative. Quelques jours avant son mariage, dans une lettre à son futur mari, elle écrivait: "L'amour est le plus beau sentiment que le Seigneur ait placé dans l'âme des hommes". A l'exemple du Christ, qui "ayant aimé les siens... les aima jusqu'à la fin" (Jn 13, 1), cette sainte mère de famille resta héroïquement fidèle à l'engagement pris le jour de son mariage. Le sacrifice extrême qui scella sa vie, témoigne que seul celui qui a le courage de se donner totalement à Dieu et à ses frères se réalise lui-même. Puisse notre époque redécouvrir, à travers l'exemple de Gianna Beretta Molla, la beauté pure, chaste et féconde de l'amour conjugal, vécu comme une réponse à l'appel divin! »[7].
[1] Congrégation pour la doctrine de la foi, Donum vitae, n. 5.
[2] Concile Vatican II, Gaudium et Spes, n. 51.
[3] Cf. Je suivrais les idées presentées par le P. Miguel Fuentes en Rivestitevi di sentimenti di misericordia ; manuale per la preparazione all’esercizio del ministerio della Penitenza, Roma, 2014, p. 108-122.
[4] On peut visiter le site « La Vigne de Rachel » préparé pour aider les prêtes à rencontrer et accompagner les personnes blessées par le péché de l’avortement. http://vignadirachele.org/risorse/misericordia.html
[5] Saint Jean Paul II, Evangelium Vitae, n. 99.
[6] Ibid.
[7] Cf. Saint Jean Paul II, homélie pour la canonisation de Sainte Jeanne Beretta Molla, 16 mai 2004.