LA PROPOSITION N. 52 DU SYNODE EXTRAORDINAIRE CONSACRÉ À LA FAMILLE
par le Cardinal Velasio De Paolis
La question de l'accès des divorcés remariés aux sacrements, en particulier celui de l’eucharistie, a fait l’objet de réflexions pendant le synode extraordinaire des évêques qui a eu lieu au mois d’octobre dernier. C’est à cette question que fait référence la proposition n° 52 de la "Relatio" finale, qui dit ceci :
"La réflexion a porté sur la possibilité, pour les divorcés remariés, d’accéder aux sacrements de la pénitence et de l’eucharistie. Plusieurs pères synodaux ont insisté pour maintenir la discipline actuelle, en vertu du rapport constitutif entre la participation à l’eucharistie et la communion avec l’Église et son enseignement sur le mariage indissoluble. D’autres se sont exprimés en faveur d’un accueil non généralisé au banquet eucharistique, dans certaines situations particulières et à des conditions bien précises, surtout quand il s’agit de cas irréversibles et liés à des obligations morales envers les enfants qui viendraient à subir des souffrances injustes. L’accès éventuel aux sacrements devrait être précédé d’un cheminement pénitentiel sous la responsabilité de l’évêque diocésain. La question doit encore être approfondie, en ayant bien présente la distinction entre la situation objective de péché et les circonstances atténuantes, étant donné que 'l’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées' par divers 'facteurs psychiques ou sociaux' (Catéchisme de l'Église Catholique, 1735".
1. Le sens de la proposition synodale
Cette proposition n’a pas recueilli un nombre suffisant d’adhésions, c’est-à-dire les deux tiers des voix, raison pour laquelle elle n’a pas été approuvée par le synode ; c’est pourqyoi elle ne devrait pas être considérée comme un texte synodal. Cependant il faut remarquer tout de suite qu’il est difficile d’évaluer la signification de ce vote. Le texte est composé de différentes parties, qui sont sans homogénéité et parfois contradictoires ; certaines d’entre elles ont des motivations inappropriées, ou pas tout à fait appropriées ou, tout au moins, incomplètes, pour ce qui est de leur rattachement aux sources doctrinales.
En effet la proposition commence par le rappel d’un fait : il y a eu une réflexion à propos de cette question. Elle fait ensuite référence à un groupe de pères qui sont favorables à la discipline actuelle et à d’autres pères qui sont favorables à un changement dans cette discipline. Le texte se poursuit en expliquant quels sont les points à propos desquels la discipline actuelle devrait être changée et en signalant également quelle serait la responsabilité qui devrait être confiée à l’évêque. Enfin elle se termine sur un avertissement et sur une invitation à réfléchir de manière plus approfondie, en suggérant même quelques éléments pour le faire. C’est pour cette raison que l’on ne sait pas très bien à quoi peut faire référence un vote éventuellement favorable ou défavorable à cette proposition.
2. Limites de la proposition
La proposition se présente avec une formulation limitée. Elle se réfère à une catégorie limitée de personnes qui vivent dans une situation d’union irrégulière : les divorcés remariés. Il s’agit d’une catégorie qui, d’après la proposition, mériterait de faire l’objet d’une attention particulière et exceptionnelle, motivée par les situations particulières dignes de considération que cette catégorie pourrait présenter, comme le texte l’explique effectivement tout de suite après.
Il n’est pas difficile de trouver dans ces propos quelques éléments significatifs de la proposition du cardinal Kasper. Mais nous avons déjà eu l’occasion d’étudier cette proposition et de vérifier qu’elle n’est soutenue par aucun argument valable. Du reste cette proposition avait déjà été portée à la connaissance de l'autorité compétente ; celle-ci l'avait étudiée et repoussée, parce qu’elle n’y avait pas trouvé d’éléments qui puissent la soustraire à une évaluation réalisée selon les principes doctrinaux contenus dans les documents de l’Église. Par conséquent, l'hypothèse avancée dans la proposition synodale avait déjà été étudiée et évaluée de manière explicite ; cela avait conduit à la conclusion qu’elle n’impliquait pas de principes exceptionnels mais qu’elle rentrait dans la catégorie des principes généraux, étant donné que, du point de vue de la gravité morale et en ce qui concerne l'accès à l'eucharistie, l'hypothèse avancée dans la proposition constitue, dans tous les cas, une violation grave de la morale conjugale et de la discipline de l’Église, qui ne peut pas permettre l'accès à l'eucharistie. Pour cette raison, les documents de l’Église ne font jamais de distinction entre les différentes catégories de personnes qui vivent ensemble en situation d’unions irrégulières : les diverses typologies de personnes qui cohabitent de manière irrégulière ne se distinguent pas les unes des autres en ce qui concerne la cohabitation conjugale et l'accès à l'eucharistie.
De plus, les conditions en vertu desquelles on demanderait que les divorcés remariés bénéficient d’une considération particulière peuvent être trouvées chez toutes les personnes qui vivent dans des situations irrégulières. Et, dans certains cas, la situation pourrait même s’aggraver : on pourrait y voir une récompense et une invitation à établir de nouveaux liens.
On peut d’ailleurs ajouter une remarque supplémentaire. La proposition, lorsqu’elle restreint l'hypothèse à une catégorie de personnes spécifique, reconnaît par là même la valeur doctrinale et normative des documents par lesquels l’Église établit les règles en la matière. Et, étant donné que la proposition invite à approfondir la question, cela fait naître une certaine perplexité en ce qui concerne la proposition elle-même. Sur quoi peut donc porter cet approfondissement ? Pas sur la valeur doctrinale et normative des documents, mais sur la possible exception qui est contenue dans la proposition. Et d’où peut naître le doute si ce n’est pas du fait que la proposition contient en elle-même une exception aux deux conditions qui sont essentielles pour accéder à l’eucharistie, à partir du moment où l’on constate l’existence d’une violation grave de la loi morale naturelle et d’une situation personnelle qui ne convient pas pour avoir accès à l'eucharistie ?
En effet, on constate que sont également présentes, dans cette catégorie que constituent les divorcés remariés, les deux conditions qui empêchent l'accès à l'eucharistie, ce qui a comme résultat que l'autorité ecclésiastique ne peut pas agir autrement qu’elle ne le fait, étant donné que cette autorité ne peut pas disposer de la loi naturelle et divine : le respect de la loi naturelle du mariage et la nécessité de la grâce sanctifiante.
Les situations qui sont décrites pourraient ne pas permettre la séparation de deux personnes qui vivent ensemble dans le cadre d’une union irrégulière, mais ne demandent pas nécessairement la vie commune "more uxorio" et l’état permanent de péché.
3. Discipline, doctrine ou magistère ?
On constate que la rédaction du texte de la proposition fait naître des équivoques. Il y est question de la "discipline actuelle" et d’une possible modification de celle-ci, mais cela suscite un doute, qui rend nécessaire un approfondissement. En réalité, la réglementation en vigueur n’est pas seulement une "discipline actuelle", comme s’il s’agissait d’une norme simplement ecclésiastique et non pas de normes divines, sanctionnées par le magistère, avec des motivations doctrinales et magistérielles qui concernent les fondements mêmes de la vie chrétienne, de la morale conjugale, du sens et du respect de l'eucharistie et de la validité du sacrement de pénitence. Nous nous trouvons face à une discipline qui est fondée sur le droit divin. On ne souligne pas suffisamment le fait que les documents de l’Église, dans ce domaine, n’imposent pas d’obligations provenant de l'autorité, mais qu’ils affirment que l'autorité ecclésiastique ne peut pas agir autrement, parce que cette "discipline" ne peut pas être modifiée dans ses éléments essentiels. L’Église ne peut pas agir autrement. Elle ne peut modifier ni la loi naturelle ni le respect de la nature de l'eucharistie, parce que ce qui est en question, c’est la volonté divine.
Dans la mesure où elle prévoit la possibilité de permettre aux divorcés remariés d’accéder à la communion eucharistique, la proposition constitue, de fait, un changement doctrinal. Et cela contrairement au fait que ses partisans affirment qu’ils ne veulent pas modifier la doctrine. D'autre part, la doctrine, de par sa nature même, n’est pas modifiable si elle est l’objet du magistère authentique de l’Église. Avant de parler et de discuter d’une éventuelle modification de la discipline qui est actuellement en vigueur, il est nécessaire de réfléchir à la nature de cette discipline. Lorsque l’on étudie cette question il faudrait, en premier lieu, réfléchir à cette doctrine et à son degré de fermeté ; il est nécessaire de bien étudier ce qui peut être modifié et ce qui ne peut pas l’être. Le doute a été insinué dans la proposition elle-même lorsqu’elle demande un approfondissement, qui doit être doctrinal et préalable à toute décision.
Nous pouvons également nous demander s’il est de la compétence d’un synode des évêques de traiter une question telle que celle-ci : la valeur de la doctrine et de la discipline actuellement en vigueur dans l’Église, qui se sont formées au cours des siècles et qui sont sanctionnées par des interventions du magistère suprême de l’Église. Par ailleurs, qui est compétent pour modifier le magistère d’autres papes ? Cela constituerait un précédent dangereux. D'autre part, les nouveautés qui seraient introduites au cas où le texte de la proposition serait approuvé seraient d’une gravité inouïe :
a) la possibilité d’admettre à la communion eucharistique, avec l’approbation explicite de l’Église, une personne qui est en état de péché mortel, avec risque de sacrilège et de profanation de l'eucharistie ;
b) en agissant de cette façon, on met en discussion le principe général de la nécessité d’être en état de grâce sanctifiante pour pouvoir accéder à la communion eucharistique, en particulier maintenant qu’a été introduite ou qu’est en cours d’introduction dans l’Église une généralisation de l’accès à l’eucharistie sans qu’il y ait eu au préalable une confession sacramentelle, même lorsque l’on a conscience d’être en état de péché grave, avec toutes les conséquences néfastes que comporte cette pratique ;
c) admettre à la communion eucharistique un fidèle qui cohabite "more uxorio" signifierait que l’on met également en discussion la morale sexuelle, fondée en particulier sur le sixième commandement ;
d) de plus, en agissant de cette manière, on donnerait de l’importance au concubinage ou à d’autres liens, ce qui, de fait, affaiblirait le principe de l’indissolubilité du mariage.
4. Les motivations présentées pour que soit maintenue la discipline qui est actuellement en vigueur
En ce qui concerne ce point, la proposition affirme ce qui suit : "Plusieurs pères synodaux ont insisté pour maintenir la discipline actuelle, en vertu du rapport constitutif entre la participation à l’eucharistie et la communion avec l’Église et son enseignement sur le mariage indissoluble".
Ce texte n’est pas très clair et, en tout cas, il est insuffisant parce qu’il ne met pas l’accent sur la problématique qui est en cause. Il ne s’agit pas uniquement de mesures disciplinaires qu’il faudrait prendre en accord avec la majorité, mais également d’une doctrine et d’un magistère qui sont indisponibles, ce qui va certainement au-delà des compétences d’un synode extraordinaire des évêques. En réalité, des questions doctrinales d’une extrême importance sont impliquées dans ce problème, des questions auxquelles nous avons fait référence. Il est nécessaire de préciser que la raison première de l’interdiction d’accéder à l'eucharistie est, simplement, la situation dans laquelle se trouve une personne divorcée qui cohabite maritalement avec quelqu’un d’autre : il s’agit là, objectivement, d’une situation de péché grave. Le fait que cette situation ait été provoquée par un divorce ou par un éventuel nouveau lien civil n’a pas d’importance quant à la situation morale qui exclut l'eucharistie : se trouver dans un état permanent de violation de la norme morale de l’Église.
5. Approfondissements
La proposition affirme ce qui suit : "La question doit encore être approfondie, en ayant bien présente à l’esprit la distinction entre la situation objective de péché et les circonstances atténuantes, étant donné que 'L’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées' par divers 'facteurs psychiques ou sociaux' (Catéchisme de l'Église Catholique, 1735)".
Le texte affirme la nécessité d’un approfondissement et cela à un seul point de vue qui est assez faible. En effet, il cite le Catéchisme de l’Église Catholique, avec lequel il n’est pas possible de ne pas être d'accord. Le problème est de savoir dans quelle mesure ce paragraphe du Catéchisme de l’Église Catholique a des répercussions sur la problématique qui est traitée ici. La première source de la moralité est objective. Et c’est de la moralité objective qu’il est question ici.