« VENEZ ET VOYEZ »
LA VOCATION SACERDOTALE[1]
La vocation sacerdotale: certainement un mystère de Dieu, mais aussi un chemin de paix, de joie, de sanctification: le Père Salvatore Mellone, 38 ans, malade d’un cancer à l’œsophage et en fasse terminale, ordonné diacre et prêtre le jeudi 16 avril de 2015, à Barletta (Italie), avec permission spéciale de la Congrégation pour le clergé et après un appel téléphonique du pape François, a qui est allé sa première bénédiction, a confessée sa « joie » avant sa première messe, célébrée à son domicile en disant: «J’ai depuis toujours une grande joie, mais ces jours-ci, d’une manière particulière, cette joie augmente encore plus. On sent beaucoup la responsabilité parce que, quand même, le ministère sacerdotal nous appelle à être de vrais témoins du Christ, mais de toutes façons, tant qu’on a la joie, tant qu’il y a cette grande force de miséricorde qui t’arrive de Dieu, ce témoignage te rend heureux. Juste avant ma première messe, j’ai vraiment une grande sérénité, une grande paix, qui me permet d’embrasser un peu tout le monde et qui me donne de vivre – je peux le dire très humblement – la béatitude et la vraie joie»[2].
Parlons de cette vocation qui donne la joie et le bonheur au P. Salvatore et aux prêtres du monde entier.
Pour délimiter le sujet, il faut d’abord préciser le vocabulaire. Par le baptême, en effet, tout chrétien a vocation à la sainteté. Ce n’est pas de cela que nous allons parler. Nous ne parlerons pas non plus du sens du mot vocation dans le langage courant qui va depuis le choix d’un métier ou d’un style de vie par une inspiration personnelle, jusqu’à des emplois totalement profanes. Nous cherchons à cerner cet appel que Dieu adresse à certains de se mettre au service du Royaume dans le ministère presbytéral ou bien dans un sens plus large à la vie consacrée.
I – Approche biblique
Ancien testament: Dans l’Ancien Testament, les récits de vocation sont nombreux et difficiles à réduire à un schéma unique. Avant de les analyser, chacun avec sa richesse propre, on peut donner comme synthèse la certitude suivant : Tout au long de l’AT, des personnages sont interpellés par Dieu dans une démarche incommunicable qui les distingue de l’ensemble du peuple (A. Légasse).
¤ À l’origine du peuple de l’Alliance, il y a Moïse. Le livre de l’Exode prend soin de nous donner son enfance pour souligner l’importance de son rôle, mais l’affaire se noue au moment du Buisson ardent (Exode 3). L’appel commence par un signe extérieur, le buisson qui brûle sans se consumer, mais c’est dans le dialogue avec Dieu que tout se joue.
¤ L’appel du jeune Samuel, en 1 Samuel 3. On y remarquera l’appel direct de Dieu, mais pas tout de suite identifié, le rôle du prêtre Éli pour aider à ce discernement, l’invitation à une totale disponibilité : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute », enfin son rôle futur de premier prophète : « La parole de Samuel fut pour tout Israël comme la parole de Dieu » (4,1).
¤ La vocation d’Isaïe: prêtre du temple de Jérusalem, Isaïe, sans doute au cours de son service liturgique, est saisi par cette radicale différence du Dieu de l’Alliance, qu’il qualifie de trois fois saint, qui contraste avec sa propre expérience de pécheur, qu’il localise sur ses lèvres, lui qui va être qualifié pour parler au nom du Saint d’Israël. La mission est présente dans cette vision, et la réponse est positive: « Qui enverrai-je, qui sera notre messager ? — moi, je serai ton messager, envoie-moi».
¤ Le contraste est appuyé avec la vocation de Jérémie: « La parole du Seigneur me fut adressée en ces termes: Avant même de te former dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant même que tu viennes au jour, je t’ai consacré ; j’ai fait de toi un prophète pour les peuples. Et je dis: « Oh ! Seigneur mon Dieu ! Vois donc: je ne sais pas parler, car je ne suis qu’un enfant ! » Le Seigneur reprit: Ne dis pas: « Je ne suis qu’un enfant ! » Tu iras vers tous ceux à qui je t’enverrai, tu diras tout ce que je t’ordonnerai. Ne les crains pas, car je suis avec toi pour te délivrer, déclare le Seigneur. Alors le Seigneur étendit la main, il me toucha la bouche ; et me dit: Ainsi, je mets en ta bouche mes paroles. Sache que je te donne aujourd’hui autorité sur les peuples et les royaumes, pour arracher et abattre, pour démolir et détruire, pour bâtir et planter ». (1,1…10)
Si on peut risquer une synthèse, nous dirons que les éléments suivants sont toujours présents:
- une initiative divine, dans des cadres variés, liturgiques ou individuels,
- un appel qui n’est pas tributaire des talents personnels. Ce qui permet à certains d’oser se dérober.
- l’appel est toujours lié à un envoi : pas de vocation sans mission - la vocation d’un individu est en lien avec la vocation du peuple, soit parce qu’il doit remettre le peuple en accord avec son Dieu et sa vocation de peuple de Dieu, soit parce qu’il doit participer au rôle sacerdotal du peuple, être le témoin de Dieu pour les autres peuples.
Nouveau Testament : Les appels dans les Évangiles nous sont familiers. On les trouve en Marc 1,16-20, Matthieu 4,18-22 et Luc 5,1-11. Ils ont en commun l’initiative de Jésus. Marc y insiste en disant ceux qu’il voulait et aussi en précisant qu’il les fit « Douze ». La mission est présente tant par le jeu de mots sur pêcheurs d’hommes que par l’envoi pour expérimenter avec joie la mission, ce qui se fera plus tard. La mention pour être avec lui revient plusieurs fois. Il faut faire aussi place aux appels qui n’ont pas eu de suite (Luc 9,57-62), scènes où se mêlent les initiatives soit de Jésus soit des individus qui veulent le suivre, mais qui ont en commun l’évasion devant les exigences du Seigneur. Il faut compléter ce bref tableau par deux phrases capitales : la radicalité du renoncement : Nous qui avons tout quitté pour te suivre (Matthieu 19,27) et la nécessaire participation à la Passion : Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire ? (Matthieu 20,22). Une page importante à lire sera celle de la vocation d’André et Pierre.
Voici donc quelques éléments de synthèse :
-appel profondément individuel, lié à une expérience très forte (pêche miraculeuse, mission réussie),
-lien avec la personne du Christ, connaissance de lui.
-abandon des biens et des activités antérieurs. Un autre aspect rejoint ce que nous avons constaté dans l’AT, l’appel individuel n’empêche pas le lien avec un groupe, un collège où s’exercera la mission.
II – Textes récents du Magistère
1) La controverse Lahitton-Branchereau et la constitution « Sedes sapientiae » de Pie Xll en 1956. Le différend était le suivant: Qu’est-ce qui constitue la vocation? L’appel intérieur, l’attrait, ou l’appel de l’Église?[3]
Louis Branchereau (1896) privilégiait les signes personnels et subjectifs de la vocation, en particulier l’attrait, mettant au second plan l’intention droite et les aptitudes (idonéité en termes techniques), à tel point que l’appel de l’évêque, apparaissait comme un appendice sans importance.
Lahitton (1909) réagit très fort contre ces positions. Il valorise l’appel de l’Évêque, allant jusqu’au bout de la phrase du Catéchisme du Concile de Trente : Sont appelés par Dieu ceux qui sont appelés par les ministres légitimes de l’Église. Le débat fut passionné et on demanda l’arbitrage de Rome. Pie X le fit par une commission cardinalice qui ne désapprouvait pas Lahitton. La controverse prit fin avec une première réponse de Pie Xll en Sedes Sapientiae qui apparut comme une vision équilibrée et définitive du problème : il y a deux éléments dans la vocation, l’aspect divin, intérieur, fruit de la grâce, accompagné des dons naturels et surnaturels nécessaires, l’aspect ecclésiastique, indispensable, mais non suffisant, qui est celui de l’appel de l’Église.
2) Le Concile Vatican II va compléter cet’ idée de Pie XII et parlera plusieurs fois de la vocation sacerdotale, mais surtout dans le décret Optatam totius sur la formation des prêtres. Nous retiendrons de ce décret un texte qui est comme une définition de la vocation : « Action de la divine Providence qui accorde les dons voulus aux hommes choisis par Dieu pour participer au sacerdoce hiérarchique du Christ, et qui charge les ministres légitimes de l’Église d’appeler ainsi que de consacrer par le sceau du Saint-Esprit au culte de Dieu et au service de l’Église, les candidats ayant faits leurs preuves, et dont la capacité est reconnue et qui – en toute liberté et avec une intention droite – demandent à exercer une si haute mission. (§ 2)
De cette définition de la vocation par l’Optatam totius nous pouvons affirmer trois vérités essentielles pour la vocation:
-La vocation de chaque prêtre existe dans l’Église et pour l’Église: c’est par elle que s’accomplit cette vocation. Il s’ensuit que tout prêtre reçoit la vocation du Seigneur, par l’intermédiaire de l’Église comme un don gracieux, un charisme.
-Il appartient à l’évêque ou au supérieur compétent non seulement de soumettre à l’examen l’aptitude et la vocation du candidat, mais aussi de la reconnaître. Une telle intervention de l’Église fait partie de la vocation au ministère presbytéral comme tel.
-Le candidat au presbytérat doit recevoir la vocation sans imposer ses propres conditions personnelles, culturelles, ni traditionnelles, mais en acceptant les normes et les conditions posées par l’Église elle-même, selon sa propre responsabilité. (Décret sur l’apostolat des laïcs § 3)
3) Un autre décret, Presbyterorum ordinis, revient sur la nécessité du dialogue pour l’apparition de la vocation, vie de prière et de confiance en Dieu pour découvrir sa volonté (§ 11). Enfin le Concile souligne la place d’une histoire, d’un devenir, dans la maturation de la vocation, même après l’ordination, sans pour autant renoncer à l’aspect définitif de l’état sacerdotal.
4) Finalement, le dernier texte magistériel d’importance est l’exhortation apostolique de Saint Jean-Paul II, suite au Synode des évêques en 1990 : Pastores dabo vobis. Le chapitre 4 est consacré à l’importance du thème de la vocation. Nous remarquons 4 idées fondamentales:
A) La doctrine conciliaire de la double vocation : Le Prêtre a une double vocation : « Une vocation ‘commune’ à la sainteté. Cette vocation s'enracine dans le baptême, qui définit le prêtre comme un «fidèle»…. Souvenons-nous de la célèbre parole de saint Augustin: ‘Pour vous, je suis évêque; avec vous, je suis chrétien. Le premier nom est celui d'un office reçu; le second, de la grâce; le premier nom est celui d'un danger; le second, du salut’ »[4]. Avec la même clarté, Saint Jean Paul II se faisant écho de l’enseignement du Concile, parle aussi « d'une vocation ‘spécifique’ à la sainteté, plus précisément d'une vocation qui se fonde sur le sacrement de l'Ordre, comme sacrement propre du prêtre... À cette vocation spécifique, saint Augustin fait allusion également en faisant suivre l'affirmation… ‘Si donc être avec vous comme racheté m'apporte plus de joie que d'être placé à votre tête, en suivant le commandement du Seigneur, je tâcherai de vous servir, avec le plus grand dévouement, pour ne pas être ingrat envers celui qui m'a racheté au prix de m'avoir fait votre serviteur’»[5].
B) Invitation à la fréquente médiation de la vocation d’André et Pierre et la juste interprétation de la pastorale vocationnelle dans son triple sens: « L'Église, dit Saint Jean Paul II, trouve dans ce « Évangile de la vocation » l'exemple, la force et l'élan nécessaires à sa pastorale des vocations, c'est-à-dire la mission qui vise à s'occuper de la naissance, du discernement et de l'accompagnement des vocations, en particulier des vocations au sacerdoce »[6].
C) Un encouragement aux prêtres, aux catéchistes, et aux animateurs pastoraux à la diffusion de la vocation comme réelle possibilité de sanctification. « …Il faut une «prédication directe sur le mystère de la vocation dans l'Église, sur la valeur du sacerdoce ministériel, sur son urgente nécessité pour le peuple de Dieu »[7]. Des conférences, des recollections, la prédication, une catéchèse présentant objectivement l’idéale de la vocation « dissipe les doutes, combat les idées unilatérales et déviées sur le ministère sacerdotal, ouvre également les cœurs des croyants à l'attente du don et crée des conditions favorables pour la naissance de nouvelles vocations. Le temps est venu de parler courageusement de la vie sacerdotale, comme d'une valeur inestimable et comme d'une forme splendide et privilégiée de vie chrétienne »[8].
D) Etre conscients, en tant que peuple de Dieu, que le travail pour les vocations nous appartient à tous : « Il est plus que jamais urgent, déclare Saint Jean Paul II, aujourd'hui surtout, que se répande et s'enracine la conviction que ce sont tous les membres de l'Église, sans en exclure aucun, qui ont la grâce et la responsabilité du souci des vocations. Le Concile Vatican II a été aussi explicite que possible en affirmant que ‘le devoir de favoriser l'augmentation des vocations sacerdotales appartient à toute la communauté chrétienne, qui est tenue de s'acquitter de ce devoir avant tout par une vie pleinement chrétienne’ »[9].
Conclusion
On parle beaucoup aujourd’hui de crise des vocations, Pastore dabo vobis a nettement été écrit dans cette perspective. Mais nous pouvons nous poser la question : Dieu cesserait-il d’appeler ? C’est impensable. C’est donc l’apparition des vocations qui pose problème. La possibilité d’entendre cet appel n’est-il pas gêné par le tumulte extérieur et intérieur, souvent dû à un manque de foi ou de prière, ou de silence ou d’écoute? Il faut donc dire qu’il n’y a pas de crise des vocations, mais une crise de la vie chrétienne. Brutalement, le cardinal Lustiger disait : Si les églises étaient pleines, il n’y aurait pas de crise de vocation.
Quoi faire donc ? Concrètement, nous pouvons :
-Encourager les prêtres et les religieux, religieuses à l’interne de chaque communauté religieuses, à donner de l’importance aux missions catholiques et à leur étude. Disait le P. Paolo Manna, fondateur de l’union missionnaire du clergé, que sens aucun doute et grâce à cette étude « le nombre des vocations à l’apostolat augmenterait et les jeunes clercs ou religieux grandirait avec un intérêt plus vif, profond et pratique pour l’ouvre apostolique de l’Eglise »[10]. Disait le Pape François dans sa récente visite aux religieux de Naples : « …Tu ne peux pas aimer Jésus sans aimer son épouse. L’amour de l’Église. Nous avons connu beaucoup de prêtres qui aimaient l’Église et cela se voyait qu’ils l’aimaient. …et c’est important, le zèle apostolique, c’est-à-dire la mission. L’amour de l’Église te pousse à la faire connaître, à sortir de toi-même pour sortir prêcher la Révélation de Jésus, mais il te pousse aussi à sortir de toi-même pour aller à l’autre transcendance, c’est-à-dire à l’adoration. Dans le contexte de la mission, je crois que l’Église doit cheminer un peu plus, se convertir un peu plus, parce que l’Église n’est pas une ONG, mais c’est l’épouse du Christ qui a le plus grand trésor : Jésus. Et sa mission, sa raison d’exister, c’est justement cela : évangéliser, c’est-à-dire apporter Jésus. Adoration, amour de l’Église et mission. C’est ce qui m’est venu spontanément.
- Prier, car le Saint-Esprit n’a déserté ni l’Eglise ni notre monde. Malgré tous les obstacles actuels, des jeunes sont capables de répondre à son appel avec dynamisme, générosité et joie. Des réseaux de prière pour les vocations peuvent être mis en place. Nous faisons, par exemple, avec les jeunes de notre paroisse Cathédrale une fois par mois l’adoration et le chapelet pour les vocations. Dans ce sens disait le pape François dans sa récente visite aux religieux de Naples : «Tu pries? – Oui, je prie. Je demande, je rends grâce, je loue le Seigneur. – Mais tu adores le Seigneur ?» Nous avons perdu le sens de l’adoration de Dieu : il faut reprendre l’adoration de Dieu».
- Soutenir les jeunes qui s’interrogent sur une possible vocation… A l’heure actuelle, il faut beaucoup plus de temps pour choisir sa voie et mûrir une décision ferme. Sans doute, nous faut-il prendre des initiatives variées pour accompagner, de manière personnalisée, les garçons qui se demandent comment discerner un éventuel appel de Dieu. Il est important de reprendre le chemin de la direction spirituelle comme accompagnement vocationnel.
- Parler sans peur, directement et clairement, car tout ce qui est humain passe par la parole et ce qui ne se parle pas finit par dépérir. Il est important d’oser parler des vocations et y appeler, dans le respect de la liberté de conscience, bien entendu. Il est important aussi de faire connaitre la vitalité réelle de certains secteurs de l’Eglise. Car la vie appelle la vie.
Je termine avec les paroles du Pape émérite Benoit XVI, dans l’homélie d’inauguration de son pontificat : « Celui qui fait entrer le Christ dans sa vie, ne perd rien, rien – absolument rien de ce qui rend la vie libre, belle et grande. Non ! Dans cette amitié seulement s’ouvrent largement les portes de la vie. Dans cette amitié seulement, se libèrent réellement les grandes potentialités de la condition humaine. […] Chers jeunes : n’ayez pas peur du Christ ! Il n’enlève rien, et il donne tout. Celui qui se donne à lui, reçoit le centuple. Oui, ouvrez, ouvrez tout grand les portes au Christ – et vous trouverez la vraie vie »[11].