Introduction
Le domaine des rêves a de tout temps intrigué l’homme. Des textes très anciens issus de nombreuses civilizations témoignent de la croyance persistante en l’existence d’un pouvoir divinatoire durant le sommeil. Sans cesse la Bible raconte des révélations divines venues par des songes au point qu’elle n’hésite pas à faire dire à Dieu: “ S’il y a parmi vous un prophète, c’est en vision que je me révèle à lui, c’est dans un songe que je lui parle ” (Nombres 12, 6).
Cependant le Deutéronome ordonne de se méfier des faux prophètes : « Si quelque prophète ou faiseur de songes surgit [...] tu n'écouteras pas les paroles de ce prophète ni les songes de ce songeur ». Jérémie y consacre également un livret, et il revient sur ce sujet au ch. 29, v. 8 et 9 : « Car ainsi parle Yahweh : Ne vous laissez pas séduire par vos prophètes qui sont au milieu de vous, ni par vos devins, et n’écoutez pas les songes que vous vous donnez. C’est faussement qu’ils vous prophétisent en mon nom ; je ne les ai pas envoyés, dit Yahweh».
Dans le Nouveau testament par contre, les rêves ne semblent pas avoir une grande place à première lecture. Ils n’apparaissent que dans l’Evangile de Matthieu et les Actes des Apôtres. Mais cela pourrait être une interprétation un peu rapide au regard des évènements où ils apparaissent. Dans l’Evangile de Matthieu, la naissance de Jésus est accompagnée de rêves. En songe, Joseph apprend que Marie est enceinte et que l’enfant est de conception divine. Il est averti des dangers qui les menacent et est guidé pour y échapper. En se fiant à leurs rêves, des mages trouveront le lieu de naissance de l’enfant-Dieu qu’ils viennent adorer. Par contre, Pilate n’écoutera pas le rêve de sa femme l’avertissant de l’innocence de Jésus qu’il livrera à la crucifixion. Dans les Actes des Apôtres, des songes encouragent Paul à parler, à passer en Macédoine et à aller témoigner à Rome.
Le phénomène des songes et des rêves n’a pas disparu avec les saintes Ecritures.
Historiquement en ce qui concerne le classement et différents tipes de rêves, Saint Grégoire le Grand, pape en 590, distingue trois grands types de rêves: ceux dus à la nourriture et à la faim, ceux envoyés par les démons et ceux d'origine divine. À sa suite, seuls les rêves d'origine divine seront tolérés. L'oniromancie (la science qui étudie les rêves) devient en effet une pratique interdite.
Dans son ouvrage Liber de spiritu et anima (L'Esprit et l'âme), rédigé par un moine cistercien au xiie siècle, Alcher de Clairvaux, suivant les conceptions de Macrobe, classifie les rêves en cinq types différents.
· l'oraculum, rêve que Dieu envoie à ses émissaires ;
· la visio, rêve prophétique clair ;
· le somnium, rêve nécessitant une interprétation ;
· l'insomnium, rêve commun et sans intérêt ;
· le phantasma, apparitions fantomatiques, pendant les premières phases du sommeil, dont fait partie le cauchemar ou l' éphialtès.
Le texte de Macrobe dit le suivant : « Tous les objets que nous voyons en dormant peuvent être rangés sous cinq genres différents, dont voici les noms : le songe proprement dit, la vision, l'oracle, le rêve, et le spectre. Les deux derniers genres ne méritent pas d'être expliqués, parce qu'ils ne se prêtent pas à la divination.
Le rêve a lieu, lorsque nous éprouvons en dormant les mêmes peines d'esprit ou de corps, et les mêmes inquiétudes sur notre position sociale, que celles que nous éprouvions étant éveillés. L'esprit est agité chez l'amant qui jouit ou qui est privé de la présence de l'objet aimé ; il l'est aussi chez celui qui, redoutant les embûches ou la puissance d'un ennemi, s'imagine le rencontrer à l'improviste, ou échappera sa poursuite. Le corps est agité chez l'homme qui a fait excès de vin ou d'aliments solides ; il croit éprouver des suffocations, ou se débarrasser d'un fardeau incommode : celui qui, au contraire, a ressenti la faim ou la soif, se figure qu'il désire, qu'il cherche et même qu'il trouve le moyen de satisfaire ses besoins. Relativement à la fortune, avons-nous désiré des honneurs, des dignités, ou bien avons-nous craint de les perdre ; nous rêvons que nos espérances ou nos craintes sont réalisées.
Ces sortes d'agitations, et d'autres de même espèce, ne nous obsèdent pendant la nuit que parce qu'elles avaient fatigué nos organes pendant le jour : enfants du sommeil, elles disparaissent avec lui.
Si les Latins ont appelé le rêve insomnium (objets vus en songe), ce n'est pas parce qu'il est annexé au songe d'une manière plus particulière que les autres modes énoncés ci-dessus, mais parce qu'il semble en faire partie aussi longtemps qu'il agit sur nous : le songe fini, le rêve ne nous offre aucun sens dont nous puissions faire notre profit…;
Quant au spectre, il s'offre à nous dans ces instants où l'on n'est ni parfaitement éveillé, ni tout à fait endormi. Au moment où nous allons céder à l'influence des vapeurs somnifères, nous nous croyons assaillis par des figures fantastiques, dont les formes n'ont pas d'analogue dans la nature ; ou bien nous les voyons errer çà et là autour de nous, sous des aspects divers qui nous inspirent la gaieté ou la tristesse. Le cauchemar appartient à ce genre. Le vulgaire est persuadé que cette forte pression sur l'estomac, qu'on éprouve en dormant, est une attaque de ce spectre qui nous accable de tout son poids. Nous avons dit que ces deux genres ne peuvent nous aider à lire dans l'avenir; mais les trois autres nous en offrent les moyens.
L'oracle se manifeste, lorsqu'un personnage vénérable et imposant, tel qu'un père, une mère, un ministre de la religion, la Divinité elle-même, nous apparaît pendant notre sommeil pour nous instruire de ce que nous devons ou ne devons pas faire, de ce qui nous arrivera ou ne nous arrivera pas.
La vision a lieu, lorsque les personnes ou les choses que nous verrons en réalité plus tard se présentent à nous telles qu'elles seront alors.
J'ai un ami qui voyage, et que je n'attends pas encore ; une vision me l'offre de retour. A mon réveil, je vais au-devant de lui, et nous tombons dans les bras l'un de l'autre. Il me semble que l'on me confie un dépôt; et le jour luit à peine, que la personne que j'avais vue en dormant vient me prier d'être dépositaire d'une somme d'argent qu'elle met sous la sauvegarde de ma loyauté.
Le songe proprement dit ne nous fait ses communications que dans un style figuré, et tellement plein d'obscurités, qu'il exige le secours de l'interprétation. Nous ne définirons pas ses effets, parce qu'il n'est personne qui ne les connaisse.
Ce genre se subdivise en cinq espèces ; car un songe peut nous être particulier, ou étranger, ou commun avec d'autres ; il peut concerner la chose publique ou l'universalité des choses. Dans le premier cas, le songeur est agent ou patient; dans le second cas, il croit voir un autre que lui remplit un de ces deux rôles; dans le troisième, il lui semble que d'autres partagent sa situation. Un songe concerne la chose publique, lorsqu'une cité, ses places, son marché, ses rues, son théâtre, ou telles autres parties de son enceinte ou de son territoire, nous paraissent être le lieu de la scène d'un événement fâcheux ou satisfaisant. Il a un caractère de généralité, lorsque le ciel des fixes, le soleil, la lune ou d'autres corps célestes, ainsi que notre globe, offrent au songeur, sur un point quelconque, des objets nouveaux pour lui »[1].
Cependant nous examinerons dans ces pages, le classement des rêves donné par Saint Thomas d’Aquin.
Aujourd’hui, dans certaines régions du monde, nous constatons une croissance dans l’importance des rêves. En effet, de nombreux récits contemporains manifestent son actualité. En Afrique même, par exemple, on donne une grande importance à la question des rêves, surtout les rêves qui peuvent nous dire quelques choses: rêves prémonitoires et rêves sur des personnes décédées. Nous en parlerons dans ces pages.
En effet, les récits de rêves prémonitoires sont très fréquents. Il n’est pas rare que des gens affirment, par exemple voyant un événement grave à la télévision, en avoir rêvé la veille. Ce songe ne leur apparaît dans sa qualité de prémonition qu’après coup, dans sa confrontation avec l’événement.
Mais la question qui se pose est la suivante: Est-il possible de discerner avant l’évènement ce qui est un simple rêve d’un songe prémonitoire? Dans la question 95 de sa Somme Théologique portant sur la divination, à l’article 6 traitant de la divination par les songes, saint Thomas d’Aquin (1224-1274) indiquera que l’emploi divinatoire des rêves ne semble pas illicite puisque Dieu y instruit les hommes comme on peut le lire dans Job : « Par des songes, par des visions nocturnes, quand une torpeur s’abat sur les humains et qu’ils sont endormis sur leur couche, alors il ouvre l’oreille des humains, il y scelle les avertissements qu’il leur donne, pour détourner l’homme de ses œuvres et protéger le puissant de l’orgueil » (33, 15-17). Mais il notera que le Deutéronome interdit l’observation des rêves : « …personne qui use de rêves, qui interroge les spectres et devins, qui invoque les morts. » (18, 11). Selon lui, il faut alors tenir compte du fait que si parfois Dieu fait des révélations dans les rêves, ils peuvent aussi être causés par les démons. En conséquence l’emploi divinatoire des rêves provenant d’une révélation divine n’est pas illicite, mais si la cause en est une révélation qui fait suite à un pacte diabolique, elle le devient. Ce qui est mis en cause par saint Thomas d’Aquin, ce n’est pas l’utilisation des rêves pour s’orienter dans la vie, mais la façon dont ils sont obtenus en vue d’être utilisés à cet effet. Il est clair donc que la question des rêves exige certainement un bon discernement. Voyons maintenant un peu plus en détails l’argument de Saint Thomas, pour passer après à la question du discernement.
Pour répondre à la question précédente, Saint Thomas ouvre son article en disant : « C'est pourquoi il faut chercher ce qu'il y a de vrai dans la prévision qu'on peut tirer des songes. Ceux-ci sont parfois la cause d'événements futurs, par exemple lorsque l'esprit, préoccupé par ce qu'il a vu en songe, est amené à faire ou à éviter telle chose. Mais il arrive aussi qu'ils soient le signe d'événements futurs, une même cause rendant compte du rêve et de l'événement. Telle est la raison de la plupart des prémonitions reçues en songe. Il nous faut donc examiner quelle est la cause des songes, et si cette cause peut en même temps produire les événements futurs ou les connaître.
Or, selon le docteur angélique, il faut comprendre qu’il existe de nombreuses espèces de rêves, selon leur origine. Les songes peuvent en effet dépendre de deux sortes de causes, internes et externes [2]. Autrement dit, ils peuvent provenir de Dieu (par l’action des bons anges) et donc une action surnaturelle, de notre nature humaine et finalement du démon et ses anges et alors nous parlerons d’un rêve préternaturel (Préternaturel signifie littéralement, au-delà de la nature du latin praeter: le surnaturel excède toute nature créée ou créable, tandis que le préternaturel n'excède que telle nature déterminée).
Causes internes (de la nature humaine)
Rêves d’ordre psychique
Quand il s’agit de causes internes à nous-mêmes, elles peuvent être soit d’ordre psychique soit d’ordre physique ou corporel. D’un point de vue psychique Saint Thomas dira que l’imagination nous représente durant le sommeil ce sur quoi nous avons, à l’état de veille, arrêté notre pensée ou notre affection. Cet effet est d’autant plus grand quand notre attention a été davantage prise durant la veille: celui par exemple qui commet un vol et qui est travaillé par la honte ou par la peur de se faire prendre risque fort de passer une mauvaise nuit tout en songeant à une intervention divine, sans que cela signifie pour autant un rêve d’origine surnaturelle. Le livre de la Sagesse se plaît à décrire les cauchemars des pécheurs: “ Alors qu’ils pensaient demeurer cachés avec leurs péchés secrets sous le sombre voile de l’oubli, ils furent dispersés, en proie à de terribles frayeurs, épouvantés par des fantômes, des spectres lugubres au visage morne qui leur apparaissaient ” (Sagesse 17, 3). Ici nous parlons donc d’un effet de la conscience.
L’homme par exemple qui durant la veille a été en proie à un désir violent (qu’il soit physique ou spirituel) risque fort de rêver de l’objet de son désir. Quand il s’agit d’un violent désir sexuel, il n’est pas rare que l’imagination provoque durant la nuit des réactions physiques incontrôlées. Pareille cause, conclu Saint Thomas, ne peut avoir d'influence sur les événements postérieurs, avec lesquels ce genre de rêve n'a qu'un rapport purement accidentel. S'ils se rencontrent, c'est par hasard. Donc ils n’annoncent pas un événement futur mais témoignent au contraire de l’existence d’une passion passée suffisamment forte pour en être la cause.
Rêves d’ordre physique
Le rêve peut avoir aussi une cause intense physique ou corporelle. Les dispositions du corps produisent des mouvements de l’imagination en rapport avec elle. L’homme en voie d’être atteint par le scorbut rêve souvent la nuit d’un repas fait de fruits et de crudités. C'est pourquoi les médecins, écrit Saint Thomas, disent qu'il faut porter attention aux rêves du malade pour diagnostiquer son état intérieur (sa santé).
Causes externes
Mais les rêves peuvent aussi trouver leur origine à l’extérieur de la personne, que ce soit par une cause physique ou par une cause spirituelle (démon ou Dieu, par ses anges).
Causes externes physiques
Les causes externes physiques sont au nombre de deux : l’air ambiant et l'influence des corps célestes. Chacun de nous expérimente comment l’imagination intègre tout naturellement à ses rêves les bruits qui règnent dans la maison: qu’une porte s’ouvre et nous verrons dans notre rêve une porte. Mais les causes physiques peuvent être aussi en relation aux corps célestes: par exemple l’influence des planètes ou du magnétisme terrestre peut provoquer des effets curieux. Mais une telle influence, malgré sa valeur théorique, est concrètement inutilisable tant les influences planétaires sont fines et peu discernables.
Quant à l’influence psychique de nos proches (c’est le cas de la télépathie [3]) il faut dire que ce phénomène est plus fréquent qu’on ne le pense surtout quand deux personnes sont proches par l’affection (épouse-époux) ou par le corps (jumeaux). Si un fils blessé à la guerre, pense intensément à sa mère, si celle-ci au même moment le voit en rêve, on ne peut pas vraiment parler de rêve prémonitoire (car les événements sont simultanés) mais de télépathie provoquée par un intense état de détresse.
Causes externes spirituelles (Dieu et Démon, par ses anges)
Les rêves prémonitoires, ceux qui annoncent à l’avance un événement futur, peuvent trouver leur origine dans une puissance spirituelle supérieure à l’homme. Ecrit Saint Thomas: «La cause spirituelle est parfois Dieu qui, par le ministère des anges [4], fait aux hommes certaines révélations dans leurs songes, selon ce texte des Nombres (12, 6): « S'il y a parmi vous un prophète du Seigneur, je lui apparaîtrai en vision ou je lui parlerai par un songe». Mais d'autres fois ce sont les démons qui sont à l'œuvre. Ils font apparaître dans le sommeil des images grâce auxquelles ils révèlent certains faits à venir, à ceux qui ont avec eux des pactes défendus ». En effet, les songes issus du démon sont dans la plupart des cas provoqués par un pacte établi dans le passé avec lui, qu’il soit implicite comme dans la pratique du spiritisme ou explicite comme dans la sorcellerie.
Rêves de la part de Dieu
Arnaud Dumouch donne trois critères pour reconnaitre le rêve venant de Dieu :
-Le doigt de Dieu se reconnaît par l’aspect spontané de la révélation. En Dieu tout est simple, même la façon de se communiquer.
-Le doigt de Dieu se reconnaît aussi quand le phénomène annoncé est inconnaissable sinon par lui.
-Un troisième critère est malgré tout donné par moments, surtout quand la révélation exige d’être connue avant l’événement: les anges sont capables de transmettre le songe de telle manière que l’imagination en reste marquée. Le pharaon, lorsqu’il reçut de Dieu l’annonce symbolisant la future famine de son peuple se réveilla en sursaut et s’écria:“ voilà que c’était un songe ” (Genèse 41, 7). Saint Joseph, époux de la Vierge Marie, ne douta pas un instant d’avoir vu un ange en rêve tant l’image était nette et différente des rêves habituels. Chez les saints les rêves sont constamment présents : nous pouvons penser par exemple aux importants rêves de Saint Jean Bosco ou du Padre Pio de Pietrelcina. Saint Jérôme attribue à un rêve sa conversion. Saint Pacôme prend conscience de sa vocation monastique dans un rêve. Saint Benoit communique en rêve à ses disciples le plan de leur couvent. Saint François d’Assise prend conscience de sa vocation par un rêve où il voit comment restaurer l’Eglise. C’est un rêve qui convainc Innocent III d’approuver la règle franciscaine. La fondation de l’ordre Dominicain est accompagnée de rêves de Saint Dominique. On connaît aussi l’importance des rêves de Saint Augustin pour sa conversion. Les rêves jouent aussi un rôle important dans les actes des martyrs par exemple. Selon la tradition populaire, les martyrs étaient en effet censés être gratifiés de rêves qui leur permettaient de voir les évènements futurs. C’est par exemple en rêve que Polycarpe de Smyrne, disciple de Saint Jean, voit l’annonce de sa mort sur un bûcher. De même, le récit du martyr de Félicité et Perpétue comporte une série de rêves qui montrent leur destin. La connaissance de ce qui leur apparaissait en rêve était pour eux comme un destin voulu par Dieu auquel ils ne sauraient se soustraire. Et ils l’acceptaient.
Rêves de la part du Démon
Saint Thomas dit que la puissance du démon peut aussi provoquer des songes prémonitoires. Mais cette catégorie de rêves n’est jamais spontanée. Ils sont toujours précédés par une pratique antérieure de spiritisme ou de sorcellerie. Le théologien Dumouch raconte qu’une de ses élèves, passionnée pendant des années par le spiritisme pour lequel elle avait abandonné sa foi Musulmane, finit par être convaincue du danger de telles pratiques. Elle décida d’arrêter complètement ses invocations et commença à se tourner vers Jésus par la Prière. Or, des rêves étonnants commencèrent à l’envahir la nuit, des rêves si nets qu’ils ne semblaient pas naturels; elle se voyait par exemple dans un long couloir: à sa droite, une pièce sombre, à sa gauche une pièce éclairée de brillantes lumières. Dans chaque pièce, des voix l’appelaient. Comme elle tournait ses pas vers la pièce éclairée, une voix terrible criait depuis l’autre pièce: “Tu me trahis mais je t’aurai de nouveau”. Devant la valeur symbolique évidente d’un tel songe, devant le clair message qui y était délivré et sa parfaite concordance avec la situation spirituelle actuelle de cette jeune fille, il n’a pu que confirmer la grande probabilité de son originalité préternaturelle.
Pour cela, en général, mais dans le contexte africain particulièrement, il faut qu’une personne, « obsédée » dans son sommeil par des songes ou des prémonitions, se souvienne si elle a contacté un voyant ou un guérisseur douteux, ou si sa famille est ancrée dans la sorcellerie ou dans le spiritisme, ou si elle-même y croit ou les pratique. Alors il se peut effectivement qu’elle soit victime d’un effet du démon. Un tel cas n’est pas rare et l’Église met à la disposition de ceux qui croient des sacrements et des sacramentaux comme l’eau bénite, par exemple, très efficace pour détruire ce genre de phénomènes. Dieu se plaît à chasser le démon par des moyens aussi humbles. Cependant c’est le pouvoir de Dieu qui agit, et non pas magiquement, la chose matérielle. S’ils se poursuivent, il peut être bon de consulter un prêtre qui saura, selon les cas, orienter la personne vers un exorciste ou vers un psychologue. A la fin de ces pages, nous allons donner des orientations sur la façon de se comporter devant ce genre de manifestations.
Conclusion de l’article de Saint Thomas
Saint Thomas conclut ainsi: “ User des songes pour connaître l’avenir est chose légitime s’il s’agit: 1) des songes provenant d’une révélation divine; 2) des songes qui dépendent d’une cause naturelle interne ou externe, pourvu qu’on n’aille pas au-delà des limites où s’étend son influence. Mais si le songe divinatoire a pour origine une révélation diabolique, à la suite d’un pacte exprès avec les démons invoqués (sorcellerie) ou d’un pacte tacite (spiritisme), la divination s’étendant au-delà des limites auxquelles elle peut prétendre, il y a superstition et péché ”.
Le Discernement des esprits et critères d’interprétation [5]
Quand il s’agit donc de songes ayant une origine supranaturelle (ange, démon ou Dieu), la question de leur interprétation se pose d’une manière beaucoup plus radicale que pour tout songe d’origine naturelle. Bien souvent, les révélations concernant la foi, ne s’expliquent qu’à la lumière de la théologie de l’Église, sa tradition ou de l’écriture sainte. Quant à celles qui portent sur le futur on ne les comprend bien qu’après l’événement passé. Cependant essayons de donner quelques critères d’interprétation.
Quand une personne fait un songe qui lui paraît anormal, elle commence par se demander d’où il vient: vient-il de sa propre imagination que le sommeil a débridé, vient-il de l’influence des planètes (astrologie) ou des autres (télépathie), vient-il d’une cause qui dépasse la nature (anges, démon, Dieu)? On le voit, en toute hypothèse, un seul effet peut avoir de multiples causes. En fonction de la réponse, la personne tiendra compte différemment de son rêve. En fin de compte, la clef qui permet de comprendre les phénomènes de ce type est la connaissance de leur cause. L’univers est mystérieux, plein d’imprévus. Mais il a aussi un ordre, une harmonie. Il y a un discernement à faire. Il faut accéder à cette sagesse, à ce discernement. Et c’est parce que cette sagesse, et ce discernement ont été donnés à l’Eglise qu’on peut dire qu’elle va plus loin que la science dans l’étude du paranormal. Elle atteint des aspects que la science ne peut toucher par sa méthode. Bien sûr, dans le discernement des causes, une méthode rigoureuse doit être utilisée, aussi bien par le philosophe que par le théologien. Il ne s’agit pas de voir Dieu ou ses anges partout. L’ordre du discernement est d’abord de chercher si le phénomène paranormal n’est pas dû à une cause naturelle. Donc la question fondamentale est de savoir quelle est l’origine des rêves. Et cette question rejoint celle du « discernement des esprits ».
Dans la tradition spirituelle chrétienne, ce que l’on appelle «discernement d’esprits» (principalement les pensées et les sentiments qui nous traversent, mais aussi les rêves), doit permettre de distinguer ceux qui viennent de Dieu, jusqu’à discerner ceux qui sous l’apparence d’un bien sont en réalité la porte d’accès à de mauvais penchants.
En suivant l’enseignement de l’Eglise et la doctrine des saints de la taille de Saint Ignace de Loyola, Saint Jean de la Croix, Saint Jean d’Avila, nous allons vous proposer une série de critères de discernement [6]:
D’abord Saint Jean de la Croix nous donne des conseils vraiment clairs par rapport aux motions intérieures que nous pouvons appliquer aussi à la question des rêves : « De ce que nous venons de dire il s'ensuit que ces paroles successives qui sont communiquées à l'entendement (motions intérieures) peuvent provenir de trois causes, c'est-à-dire de l'Esprit divin qui le meut et l'éclaire, ou de la lumière naturelle de l'entendement, ou enfin du démon qui peut lui parler par suggestion. Quant à dire maintenant quels sont les signes et les marques qui nous feront connaître que ces paroles procèdent de cette cause plutôt que de telle autre, il serait assez difficile de le préciser d'une manière complète; on peut cependant indiquer des signes généraux »[7] :
- Lorsque l'âme qui reçoit ces paroles et ces pensées (ces rêves) est portée en même temps à aimer Dieu et s'embrase pour lui d'un amour plein d'humilité et de respect, c'est un signe que l'Esprit de Dieu passe par là; car il n'accorde jamais quelques faveurs sans qu'elles soient revêtues de ce caractère. Par contre lorsque ces paroles ne procèdent que de l'activité de la propre personne, c'est l'entendement seul qui produit tout ce travail, mais sans les vertus dont nous venons de parler.
- D'autres fois, dit encore Saint Jean de la Croix, l'âme sentira faiblement ces opérations ou ces mouvements vers ces vertus, bien que ce qu'elle a rêvé soit bon. Voilà pourquoi il est quelquefois difficile de connaître la différence qu'il y a entre les unes et les autres de ces visions, vu la diversité des effets qu'elles produisent. Toutefois les effets dont nous venons de parler sont les plus ordinaires, bien qu'ils se manifestent avec plus ou moins d'abondance.
- Les communications qui viennent du démon sont parfois elles-mêmes difficiles à reconnaître. Sans doute, elles laissent ordinairement la volonté dans la sécheresse par rapport à l'amour de Dieu et inclinent l'esprit à la vanité, à l'estime et à la complaisance de soi; mais parfois aussi elles engendrent une fausse humilité, et une ferveur pleine d'affection, qui repose sur l'amour-propre… c’est-à-dire quelque chose qui tourne autour de soi-même dans un sens égoïste. Le démon agit de la sorte pour se dissimuler. Il ne néglige rien pour porter sans cesse la volonté de la personne à estimer ces bons rêves, à penser qu’ils viennent toujours de Dieu, à en faire un très grand cas et à s'y attacher, afin que l'âme s'occupe non de ce qui est juste: la volonté de Dieu et la propre sanctification, mais de ce qui est une occasion de perdre celle qu'elle avait. Comme nous l’avons déjà dit le Démon peut se revêtir d’ange de lumière…
- Il faut donc nécessairement se conduire avec prudence à l'égard de tous ces rêves et visions, pour n'être point trompé et ne pas s'exposer à des inquiétudes multiples. Il faut de plus n'en faire aucun cas, et ne s'appliquer qu'à une seule chose, celle qui consiste à aimer Dieu avec toute l'énergie de la volonté et à accomplir avec perfection ses commandements et les conseils de la Sainte Eglise. Telle est la sagesse des saints. Contentons-nous de connaître notre foi et ses mystères avec simplicité et droiture comme l'Église nous les propose. Cela suffit, conclu Saint Jean de la Croix, pour aimer Dieu toujours davantage, sans que nous allions nous jeter dans des recherches profondes et curieuses où, à moins d'un miracle, on est exposé au danger. Aussi Saint Paul nous dit à ce sujet: « N’aspirez pas à ce qui est élevé, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble. Ne soyez point sages à vos propres yeux » (Rom. XII, 16).
Je vous propose aussi de méditer une série de conseils de Saint Jean de la Croix sur les visions et révélations[8] :
« Ayant la raison naturelle et la loi évangélique, qui peuvent suffisamment nous conduire, il n'est pas bon de vouloir savoir les choses par voie surnaturelle. Liv. II de la Montée du Mont-Carmel, chap. 21.
Quoi que ce soit que nous entendions surnaturellement, nous ne devons le recevoir qu'autant qu'il est conforme à la loi évangélique. Ibid.
Si le Père éternel nous a parlé par Jésus-Christ, comme nous l'assure l'Apôtre, c'est lui faire injure que de lui demander des visions et des révélations. Ibid.,chap. 22.
Tout ce qui peut se faire par l'industrie et par le conseil humain, Dieu ordinairement ne le dit et ne le fait pas par voie surnaturelle. Ibid.
Bien que les visions imaginaires soient surnaturelles, il n'est pas bon de s'y appuyer. Ibid., chap. 16.
Il faut bien examiner les révélations, quand bien même on saurait qu'elles sont de Dieu, parce qu'elles n'ont pas toujours leurs effets à notre manière d'entendre et selon le son des paroles. Ibid., chap. 18.
La grande règle pour n'être pas trompé dans quelque sorte de communications qu'on ait de Dieu, est de se découvrir à son directeur (directeur spirituel); car on n'en aura jamais ni satisfaction, ni force, ni lumière, ni assurance, qu'on n'en ait traitée avec lui, vu qu'il est établi ici-bas notre juge pour tout, même pour ce qui vient de Dieu. Ibid., chap. 22.
Il y a plus à craindre de la tromperie du diable dans le bien que dans le mal. Liv. III de la Montée du Mont-Carmel, chap. 36.
Dieu estime plus en vous que vous vous portiez à souffrir pour son amour les disgrâces, les affronts, les maladies, les aridités et les autres choses semblables, que toutes les visions, les révélations, les recueillements et les autres faveurs que vous pouvez avoir. Dans ses Sentences, 5 ».
Les conseils de Saint Jean d’Avila [9], que j’adapte à la question des rêves, sont aussi d’un intérêt particulier, digne de méditation et considération pour tout chrétien:
Savoir soumettre les propres rêves que l’on croit prémonitoires ou divins à une personne prudente ou à son directeur spirituel. Ne soyez jamais juge de votre propre cause. Le démon peut vous suggérer de rester en silence et vous faire croire une chose pour une autre. Saint Ignace de Loyola écrit à ce propos: «Sa conduite (le démon) est encore celle d’un séducteur ; il demande le secret et ne redoute rien tant que d’être découvert. Un séducteur qui sollicite la fille d’un père honnête ou la femme d’un homme d’honneur, veut que ses discours et ses insinuations restent secrets. Il craint vivement, au contraire, que la fille découvre à son père ou la femme à son mari, ses paroles trompeuses et son intention perverse ; il comprend facilement qu’il ne pourrait réussir dans ses coupables desseins. De même, quand l’ennemi de la nature humaine veut tromper une âme juste par ses ruses et ses artifices, il désire, il veut qu’elle l’écoute et qu’elle garde le secret. Mais si cette âme découvre tout à un confesseur éclairé ou à une autre personne spirituelle qui connaisse les tromperies et les ruses de l’ennemi, il en reçoit un grand déplaisir ; car il sait que toute sa malice demeurera impuissante, du moment où ses tentatives seront découvertes et mises au grand jour »[10].
Regardez s’il y a vraiment de l’utilité dans ces rêves, parce qu’en effet, tout ce qui est inutile et moins bon ne provient pas de Dieu. Cela veut dire qu’il faut bien regarder si ces rêves ont vraiment une utilité positive pour votre vie spirituelle ou votre vie personnelle. Le prophète Isaïe écrit: « Ainsi parle l’Eternel, ton rédempteur: le Saint d’Israël: Moi, l’Eternel, ton Dieu, je t’instruis pour ton bien, je te conduis dans la voie que tu dois suivre». (Is 48, 17).
Considérez si par l’expérience de ces rêves prémonitoires ou des rêves divins vous grandissez dans l’humilité et l’humilité de votre âme… Voici un signe clair pour analyser nos rêves: l’humilité de notre vie. Seulement après avoir constaté une croissance dans l’humilité de nos actes et de nos pensées, nous pouvons dire que dans ces rêves il y a « quelque signe » de la présence de Dieu.
Signes de la présence de Satan dans les rêves: désir de divulgation exagéré par vanité, propre jugement, orgueil.
Finalement, termine Saint Jean d’Avila en disant, méfiez-vous. Tant que vous ne soyez en humilité après ces rêves ou phénomènes, ne vous confiez pas de quoi que ce soit qu’ils vous disent. Cela juste pour dire l’importance des effets que l’on voit après ces rêves…pas pour en être le juge, mais pour en parler avec un directeur spirituel.
Discernement des rêves avec révélations
En dernier lieu, pour approfondir la question, lorsqu’il s’agit de personnes ayant des révélations surnaturelles (par visions ou par rêves), nous pouvons considérer les indications que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi nous suggère[11] :
I. Les critères pour juger, au moins probablement,
du caractère des apparitions ou révélations présumées
A. Critères positifs :
a. Quant à l’existence du fait, certitude morale ou, du moins, grande probabilité, acquise au terme d’une enquête sérieuse.
b. Circonstances particulières relatives à l’existence et à la nature du fait :
1. qualités personnelles du ou des sujets (notamment équilibre psychique, honnêteté et rectitude de la vie morale, sincérité et docilité habituelles envers l’Autorité ecclésiastique, aptitude à revenir au régime normal d’une vie de foi, etc.) ;
2. Quant à la révélation, doctrine théologique et spirituelle vraie et exempte d’erreur ;
3. saine dévotion et fruits spirituels abondants et constants (par ex. esprit d’oraison, conversions, témoignages de charité, etc.).
B. Critères négatifs :
a. Erreur manifeste sur le fait.
b. Erreurs doctrinales attribuées à Dieu lui-même, à la Bienheureuse Vierge Marie ou à un saint dans leurs manifestations, compte tenu toutefois de la possibilité que le sujet ait ajouté – même inconsciemment – des éléments purement humains, voire quelque erreur d’ordre naturel, à une révélation vraiment surnaturelle (cf. saint Ignace, Exercices, n°336).
c. Évidente recherche de lucre en relation étroite avec le fait lui-même.
d. Actes gravement immoraux accomplis au moment ou à l’occasion du fait lui-même, par le sujet et par ses accompagnateurs.
e. Maladies psychiques ou tendances psychopathiques du sujet, ayant exercé sur le fait présumé surnaturel une influence certaine, ou psychose, hystérie collective et choses du même genre.
Il faut noter que ces critères, positifs ou négatifs, sont indicatifs, et non limitatifs, et doivent être pris ensemble ou selon leur complémentarité.
[1] Cf. Macrobe, Commentaire du Songe de Scipion, livre premier, cap. III. Œuvre numérisée par Marc Szwajcer en
http://remacle.org/bloodwolf/erudits/macrobe/scipion1.htm
[2] Cf. S.Th. II-II, q. 95: la divination, art. 6
[3] Cf. Dumouch, Arnaud (thomiste, français et il enseigne la théologie en Belgique. Il a fait de la philosophie et de la théologie auprès des frères de Saint-Jean. Il le doit au père Marie-Dominique Philippe. Il a fait aussi une formation de théologie spirituelle à l’école du Père Marie-Eugène de l’Enfant Jésus «Je veux voir Dieu»), L’Eglise et les phénomènes paranormaux, théologie, 1988.
Consultation on line: http://lesparanormaux.free.fr/ . De tout cela, il faut retenir que la télépathie, malgré son caractère mystérieux est un phénomène absolument naturel. Il n’y a pas besoin de faire appel à Dieu pour l’expliquer.
[4] Les apparitions d’anges sont multiples et se réalisent parfois en songe, parfois avec un corps réel, façonné pour l’occasion. L’ange arrivera même à s’exprimer à travers la bouche d’un animal ! L’histoire et la tradition de l’Eglise rapportent des phénomènes encore plus nombreux: lévitation, paroles en langues étrangères, guérisons ou maladies. L’animisme africain par exemple, dont le culte a justement pour objet les esprits, leur attribue une puissance quasi illimitée. Pourtant, l’Eglise affirme, et Saint Thomas à sa suite, que leurs pouvoirs ne sont pas infinis, loin de là. Ils ne sont que des créatures devant Dieu.
[5] Cf. Dumouch, Arnaud L’Eglise et les phénomènes paranormaux.
[6] Cf. Fuentes, Miguel Ángel, Santidad, superchería y acción Diabólica, EDIVE, 2011, p. 99-124
[7] Cf. Saint Jean de la Croix, Montée au mont Carmel, chapitre XXVII
[8] Cf. Saint Jean de la Croix, cinquièmes maximes des visions et des révélations.
[9] Cf. San Jean d’Avila, Audi, Filia (Ecoute ma fille), n. 52.
[10] S. Ignace de Loyola, Exercices Spirituels, n. 326. Règles de discernements d’esprits.
[11] Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Normes procédurales pour le discernement des apparitions et révélations présumées, Rome, 1978.