Martin Luther, l'initiateur du protestantisme
Le protestantisme a commencé avec Martin Luther (1483-1546). Martin Luther est né en 1483 et fut baptisé dans la religion catholique le lendemain. Il entra dans un couvent catholique des Augustins en 1505, et a été ordonné prêtre catholique en 1507. Il rentre au couvent le 17 juillet 1505. Pourquoi ? Le jeune Luther, revenant de sa petite patrie, avait été assailli, aux portes d’Erfurt, le 2 juillet 1505, par un orage épouvantable. Il s’était vu en face de la mort. Eperdu, il avait fait précipitamment le vœu de se faire moine s’il échappait à la foudre. Quinze jours plus tard il tenait parole. Cette vocation trop peu murie allait peser sur toute son existence.
En 1512, reçoit le bonnet de Docteur en Théologie. En 1515 il fait le commentaire à l’Epitre aux Romains et ce fut là qu’il fit ou crut faire des découvertes capitales pour la réforme du dogme chrétien. Le chanoine Cristiani disait qu’il ne lisait saint Paul qu’à travers les exigences secrètes et inconscientes de son tempérament, qui était débordant et excessif, de plus dévoré de scrupules et de tourments inapaisables. Il a plié les textes à l’expérience intime. Or, cette, expérience lui révélait que le péché ne peut être vaincu en nous, qu’il est inhérent à notre nature, que le salut serait impossible s’il consistait en la purification de tout péché. Il en était venu en effet à confondre sentir et consentir, à ne plus pouvoir distinguer entre la concupiscence et le péché, à regarder l’homme et toutes les créatures comme soumis à un fatalisme implacable. Et il crut trouver dans saint Paul à la fois la descriptions frappante de son état intérieur, et le remède assuré à toutes ses angoisses. Tout fier de sa découverte, il entendait la propager dans l’Eglise entière, en faire un principe de libération, de réforme, de salut universel[1].
L'occasion — occasion seulement — de la rupture fut l'Affaire des Indulgences. Il se faisait autour de ces concessions d'Indulgences, un trafic que nous jugeons avec raison de nos jours déplorable, mais qui s'était insinué peu à peu et pour des motifs parfois presque louables dans la pratique de l'Eglise. Il s'agissait cette fois de réunir des fonds pour la construction de la Basilique de Saint-Pierre à Rome. Des rumeurs de mécontentement circulèrent en Allemagne et, jusque dans les tavernes, on critiqua l'avidité romaine.
Le 31 octobre 1517, Martin Luther a cloué ses fameuses 95 thèses sur la porte de l'église de Wittenberg, en Allemagne. La plupart des protestants citent aujourd'hui cette date comme le début de la "Réforme" protestante. Le titre officiel pour ses 95 thèses est la Dispute du docteur Martin Luther sur la puissance et l'efficacité des indulgences, le 31 octobre 1517. On y lisait notamment: «Les trésors des Indulgences sont les filets avec lesquels on pêche maintenant les richesses des hommes... Si le pape connaissait les exactions des prédicateurs d'Indulgences, il aimerait mieux que la basilique de Saint-Pierre fût réduite en cendres, que de la bâtir avec la peau, la chair et les os de ses brebis».
En plus de reconnaître le pape, les numéros 25-29 des thèses reconnaissent le purgatoire. Luther reconnaît l'existence du purgatoire, bien qu'il s'écarte de l'enseignement catholique dans ce qu'il dit à ce sujet. Luther déclare également sa croyance dans les indulgences, mais il contredit la doctrine catholique traditionnelle sur la question[2].
En 1518, Luther a publié un Sermon sur les indulgences et la Grâce, où il attaquait la traditionnelle division de la Pénitence en contrition, en confession et en satisfaction[3]. Luther a affirmé qu'il ne l'avait pas été trouvé dans l'Écriture Sainte. Ceci, avec la contradiction de Luther sur l'enseignement catholique traditionnel sur les indulgences, a incité l'Eglise à le convoquer à Rome pour une enquête.
Au début de Juillet 1518 Luther est présenté avec une convocation officielle pour comparaître à Rome et donner un compte rendu de ses doctrines. Tout en conservant ses nouvelles vues sur les indulgences et la pénitence, Luther prétend «que l'Église romaine a toujours maintenu la vraie foi, et qu'il est nécessaire pour tous les chrétiens d'être dans l'unité de la foi avec elle»[4]. Cela signifie que, même après avoir été convoqué à Rome pour répondre de ses nouvelles idées, Luther professe que l'Église catholique a la vraie foi.
Cependant le pape Léon X a expédié le savant cardinal Cajetan pour gérer le cas. Cajetan devait examiner la situation et, si possible, passer par Luther. Cela s'est produit à l'automne 1518, mais Luther est resté obstiné. Peu de temps après ses rencontres avec Cajetan en Novembre 1518, le point de vue de Luther subit un autre développement significatif. Il en est venu à la conclusion que le pape, aux décrets duquel il avait justement réclamé la soumission, est l'antéchrist. Il écrit : «Je vous envoie mon travail sur une chose où vous pouvez voir si je n'ai pas raison de supposer que, selon Paul, le véritable Antéchrist règne sur la cour romaine»[5].
Tout de suite, du reste, les Indulgences étaient passées au second plan. Il s'agissait maintenant du dogme, essentiel pour Luther, de la certitude du salut par la foi seule sans les oeuvres. Chose étrange, après avoir accusé la doctrine et la pratique des Indulgences d'engendrer la sécurité, il faisait de la sécurité par la foi le dogme central de son enseignement.
La Dispute de Leipzig (27 juin-16 juillet 1519) au lieu d'arranger les choses les aggrava infiniment. Le théologien catholique, Jean Eck, l'accula aux définitions des Conciles, et notamment à celui de Constance, contre Jean Huss. Luther, plutôt que de céder, rejeta l'autorité des Conciles, en se rejetant sur l'Ecriture seule. Dès lors sa condamnation par Rome ne pouvait faire aucun doute. A ce moment capital de son évolution, il se décida à la rupture. Dans son esprit, elle eut lieu, le 10 juillet 1520, car il écrivait à cette date : « Le sort en est jeté ! Je méprise la fureur et la faveur de Rome: je ne veux plus de réconciliation ni de communion avec eux pour l'éternité ! »
A partir de 1520, les événements se précipitent. Le 1er août, Luther publie son Manifeste : A la Noblesse chrétienne d'Allemagne pour la Réforme de l'Etat chrétien. Il y disait que
-tous les chrétiens sont égaux (sacerdoce universel),
-que tous ont également le droit de recourir à la Bible, qui n'est nullement réservée à l'interprétation de l'Eglise,
-que l'empereur et les princes ont plus de droit que le pape de convoquer le Concile général (césaropapisme).
En octobre suivant, il publiait son second grand écrit réformateur: « Le Prélude sur la Captivité babylonienne de l'Eglise », où il s'en prenait à la doctrine des sacrements qu'il réduisait à deux, Baptême et Eucharistie, ou à trois au plus en y ajoutant la Pénitence. Enfin, en novembre, il éditait son petit livre de la Liberté du Chrétien, qui est l'un des meilleurs exposés de sa doctrine.
Cette doctrine est la suivante :
1° par le péché originel, l'homme est complètement déchu, et tout ce qu'il fait est péché mortel. Le salut par les œuvres est impossible.
2° Dieu sans doute nous impose sa Loi, dans l'Ancien Testament mais elle est impraticable. Elle n'a d'autre but que de nous décourager, de nous désespérer, de nous rejeter dans les bras de la miséricorde.
3° Quand la loi nous a menés au désespoir, la foi soudaine fait luire à nos yeux la certitude du salut, par les mérites de Jésus-Christ, mort pour nous sur la croix.
4° De toute éternité, Dieu a prédestiné les uns à l'enfer, ceux à qui il refuse la foi, et les autres au ciel, ceux à qui il l'accorde.
5° Les sacrements de baptême et d'eucharistie n'ont d'autre efficacité que celle de la foi qu'ils excitent dans nos cœurs.
Cependant Rome avait parlé. La bulle Exsurge Domine, du 15 juin 1520, condamnait 41 propositions tirées des ouvrages de Luther. En guise de réponse, il brûla publiquement la Bulle, à Wittemberg, le 10 décembre, en présence des étudiants de l'Université. Le 3 janvier 1521, il était frappé d'excommunication. L'empereur le fit comparaître à la Diète de Worms, pour le sommer de rétracter ses erreurs. Cet empereur était le jeune Charles de Habsbourg, connu sous le nom de Charles-Quint. Le 18 avril 1521, à sa seconde comparution, Luther fit à la Diète la déclaration suivante qui est restée célèbre : « A moins d'être convaincu par des preuves d'Ecriture et par des raisons évidentes — car je ne crois ni au pape, ni aux conciles seuls, lesquels, cela est certain, se sont souvent trompés et contredits —, je suis lié par les textes que j'ai apportés et ma conscience est captive dans les paroles de Dieu. Je ne puis ni ne veux rétracter, parce qu'il n'est ni sûr, ni convenable d'aller contre sa conscience. Dieu me soit en aide, Amen !». C'était la consommation du schisme[6].
Les protestants se sont ainsi soumis à un système avec lequel Martin Luther en est venu avec le reste de ses points de vue contradictoires et en constante évolution. Ces «découvertes» incluent l'idée que l'homme est justifié par la foi seule, ce qui est mot à mot en contradiction avec l'enseignement de la Bible (Jacques 2, 24) - une contradiction si flagrante que Luther s'est senti obligé de critiquer le livre de Jacques parce qu'il le contredisait. En fait, Luther voulait jeter Jacques de la Bible et dans le poêle (le feu), jusqu'à ce que ses amis l'aient convaincu qu'un tel mouvement serait trop radical.
Il critique le livre de Jacques
Martin Luther, dans L'examen licencié de Heinrich Schmedenstede, 7 Juillet 1542 dira: «C'est que l'épître de Jacques nous donne beaucoup de peine car les papistes l'embrassent tout seul et laissent de côté tout le reste. Jusqu'à ce point, j'ai juste l'habitude de traiter et interpréter selon le sens du reste des Ecritures. Vous jugerez que rien de tout cela ne doit être énoncé contrairement à manifester l'Ecriture Sainte. Par conséquent, s'ils ne veulent pas admettre mes interprétations, alors je ferai décombres également de lui. J'ai presque envie de jeter Jacques dans le poêle, comme le prêtre en Kalenberg l'a fait».
Et finalement voici un extrait d’une lettre qui nous fait comprendre l’esprit déformé de Martin Luther, Lettre à Melanchthon, 1er Août, 1521 : «Si vous êtes un prédicateur de la grâce, alors prêchez une véritable et non une grâce fictive, si la grâce est vraie, vous devez porter un vrai et non un péché fictif. Dieu ne sauve pas les gens qui ne sont que les pécheurs fictifs. Soyez un pécheur et péchez hardiment, mais croyez et réjouissez-vous dans le Christ encore plus hardiment, car il est victorieux sur le péché, la mort et le monde. Tant que nous sommes ici [dans ce monde] nous devons pécher. Cette vie n'est pas le lieu d'habitation de la justice, mais, comme le dit Pierre, nous attendons de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera. Il suffit que par les richesses de la gloire de Dieu, nous ayons appris à connaître l'Agneau qui enlève le péché du monde. Aucun péché ne nous séparera de l'Agneau, même si nous nous engageons à la fornication et assassinons des milliers de fois par jour. Pensez-vous que le prix d'achat qui a été payé pour le rachat de nos péchés par un si grand agneau est trop petit ? Priez avec audace - vous aussi vous êtes un pécheur puissant».
Cohérent avec sa terrible doctrine Luther, rompant ses vœux de moine, épousait une ancienne religieuse, Catherine de Bora, dont il devait avoir cinq enfants, trois fils et deux filles (13 juin 1525).
Quand Luther mourut, le 18 février 1546, son «eglise » était fortement constituée et avait pris place dans l'échiquier politique de l'Europe. Mais ayant brisé l'unité chrétienne, les protestants ne purent la conserver entre eux. D'autres Eglises se formèrent, souvent aussi hostiles les unes aux autres, qu'elles l'étaient envers la grande Eglise catholique.
En conclusion donc cette « réforme » a été:
1° anti papale: elle a ruiné l'autorité du pape, dans les pays où elle a triomphé, elle a condamné, injurié, vilipendé, voué à l'horreur et à l'exécration de ses partisans l'institution même de la papauté dans le monde.
2° nationaliste et étatiste : elle a conféré au pouvoir civil, au prince, au Conseil de ville, au bras séculier en un mot, une bonne partie des pouvoirs qu'elle refusait désormais au pape.
3° mystique, en ce sens qu'elle a ramené la religion à un sentiment irrationnel, individuel, mystérieux dans son origine et son action : le sentiment de la foi justifiante, érigée en condition unique du salut, à l'exclusion des œuvres.
4° anti monastique, puisqu'elle a réprouvé l'idéal monastique, supprimé les couvents et donné leurs biens à l'État.
5° anti liturgique, dans la mesure où elle a bouleversé, tronqué, déformé, réduit à presque rien l'antique liturgie catholique, en supprimant l'idée de sacrifice eucharistique, le culte des saints et des reliques.
6° antiscolastique, parce qu'elle a rejeté en bloc l'œuvre des philosophes et théologiens du Moyen Age.
7° biblique, car elle a professé pour la Bible un culte exclusif, intolérant, enthousiaste, elle a érigé la Bible en autorité suprême et lui a conféré, parmi les pouvoirs arrachés à la papauté, tous ceux qu'elle n'avait pas remis à l'Etat, notamment celui de juge suprême de la foi.
Luther fut une âme de passion, un cœur ardent et impétueux, un esprit fécond mais enveloppé de brume, servi par une assurance prodigieuse, une éloquence souvent triviale, mais populaire et entraînante, un tempérament violent, incapable de mesure, de pondération, de loyauté envers un adversaire, et cependant ami de l'ordre matériel, de la discipline civile et religieuse, enfin une imagination vivante, hantée de visions étranges et d'obsessions irrésistibles. On lui a donné parfois le surnom de Doctor hyperbolicus — le Docteur excessif !
[1] Cf. Chanoine Cristiani, Brève histoire des Hérésies, ed. Fayard, Paris, 1956, p. 66.
[2] Cette doctrine sur les indulgences est enracinée dans le trésor des mérites de Jésus-Christ et des saints, et le pouvoir des clefs données à Saint-Pierre. Selon l'enseignement catholique, les indulgences sont données pour certaines bonnes œuvres particulières ou des actions pieuses (comme les prières, etc.). Elles enlèvent seulement la peine temporelle des péchés déjà pardonnés. Elles ne sont pas, comme les protestants le diraient, un moyen d'acheter son chemin dans le ciel.)
[3] Cf. Dr Ludwig Pastor, Histoire des papes, Vol. 7, pp 355-356.
[4] Cf. Dr Ludwig Pastor, Histoire des papes, Vol. 7, p. 366.
[5] De Wette, I., 192 ; Enders I., 317 ; " il a entièrement formulé sa proposition que le pape était l'Antéchrist " Pastor, Vol 7, pp 378-379.
[6] Cf. Chanoine Cristiani, Brève histoire des Hérésies, ed. Fayard, Paris, 1956, p. 68-69.