LE MALEFICE

LE MALEFICE

Une forme particulière de sorcellerie, qui vise à nuire au prochain, est représentée par ce que l'on appelle le maleficium. Saint Thomas d’Aquin le compte parmi les péchés mortels[1]. La croyance au maléfice est presque un patrimoine universel des tous les peuples et des toutes les cultures. Malheureusement encore aujourd’hui on y croit catégoriquement. Les protagonistes d’un maléfice sont divisés en deux catégories : ceux qui sont objet d’un maléfice dans leur santé, leurs affections, leurs affaires. Et ceux qui appartiennent à la catégorie de « facteur du maléfice »[2]. Dans le langage théologique traditionnel le maléfice est défini comme « une espèce de magie. Il fait partie de la magie « noire », c’est-à-dire la réalisation de phénomènes merveilleux en invoquant l’intervention du démon. Cette magie peut être utilisée tout simplement par intérêt personnel et alors on l’appelle simplement « magie », ou bien elle peut être utilisée pour faire le mal aux autres. C’est dans ce dernier cas que cette magie noire est appelée « maleficium »[3]. Noldin nous en donne une définition correcte : « ars nocendi aliis ope daemonis », l’art de faire du mal aux autres en utilisant comme instrument le démon[4].

Les cas de maleficium sont beaucoup plus fréquents que les cas d’obsession ou de possession. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de rencontrer de jeunes africains tourmentés par la peur d’avoir été l’objet d’un « malheur ». Le DESQ[5] (rituel pour les exorcismes) mentionne par rapport aux maleficium que la plupart (mais pas tous) de ces cas ne sont pas réels, mais objet, de la crédulité des gens ; qu’il ne faut pas utiliser pour les maléfices, l’exorcisme majeur de Léon XIII vu leur caractère de suggestion ; qu’il faut cependant offrir aux gens l’aide spirituelle nécessaire en se limitant aux prières propres de ces phénomènes.       

On l'appelle vulgairement le « mauvais oeil » (mal fait avec le regard) ou « mauvais sort » (faire quelque chose de symbolique avec l'intention de souhaiter du mal ou de nuire). Il s'agit de formes grossières et populaires de magie, parfois mises en acte par ignorance ou par ingénuité, d'autres fois avec une intention véritable de faire du mal, mais toujours avec l’invocation du démon.

En Afrique subsaharienne nous retrouvons ce phénomène très fréquemment. Celui qui en fait profession doit son nom, sortiarius, à une pratique très répandue au Moyen Âge consistant à prévoir et diriger le destin (sort) par ses sortilèges. A son tour, le sortiarius n’est rien d'autre que l’héritier occidental des magiciens de l’ancienne Perse et de l’Assyrie qui avaient commencé par l’étude officielle des astres et avaient fini par recourir à des méthodes occultes visant à assurer des vengeances particulières: il eut pour continuateurs divers groupes, au bas Moyen Âge, jusqu’aux modernes «sorciers» au profil plus « professionnel »[6].

L’idée du « mauvais sort » exécuté aux dépens de quelqu’un est très répandue. Il est généralement compris comme un acte de malédiction, un geste de condamnation ou un phénomène de suggestion en mesure de faire du mal à ceux à qu’il est adressé, sans que l’on pense - au moins d’une manière directe ou explicite - à un acte de nature démoniaque. Et pourtant c’est bien un acte diabolique. Saint Thomas nous dit:

«Certains ont prétendu qu’il n’y a pas de maléfices dans le monde et que cela existe seulement dans l’imagination des hommes qui attribuent à des maléfices les effets naturels dont ils ignorent la cause. C’est contredire les témoignages des saints qui affirment le pouvoir des démons sur le corps et sur l’imagination des hommes avec la permission de Dieu. Les magiciens, grâce aux démons, peuvent donc faire des prodiges (…) Et on appelle magiciens les hommes qui excitent les démons à produire ces effets »[7].   

Cet acte doit être considéré comme inacceptable du point de vue chrétien, dans la mesure même où il se pose comme une action contraire à la vertu de religion, à la justice et à la charité. On ne peut accepter que quelqu’un désire et s’efforce de faire du mal à quelqu’un d’autre. Bien plus grave est le «maléfice» de celui qui a la présomption de soumettre celui qui en est l’objet (éléments inanimés, animaux et surtout personnes) au pouvoir ou au moins à l’influence du démon. Cela comme l’affirment les évêques de la Toscane, constitue un acte gravement peccamineux.

Certains fidèles se demandent: le « mauvais sort » existe-t-il? A-t-il des effets réels? Le démon peut-il se servir de personnes mauvaises et donc de gestes comme le « mauvais sort » ou le « mauvais oeil » pour faire du mal à quelqu’un? La réponse, disent les évêques de la Toscane dans leur note, est certainement difficile pour juger des cas particuliers, mais l’on ne peut exclure, dans des pratiques de ce genre, une certaine participation du geste maléfique au monde démoniaque, et inversement. Pour cette raison, l’Église a toujours fermement refusé et refuse le « maleficium » et toute action qui lui est proche. Mais le Père Fiori remarque que le fait de faire une invocation du démon ne signifie pas forcément que la personne soit exaucée ou que se produisent les effets désirés. En effet, les démons, selon la pensée de Saint Thomas, ne se soumettent pas au pouvoir des hommes : « La majesté divine étend son autorité sur les démons pour que Dieu les emploie à ce qu’il veut. Mais l’homme n’a pas reçu de pouvoir sur les démons, pour les employer licitement à tout ce qu'il veut. Au contraire, il est avec eux en guerre déclarée. Aussi ne lui est-il aucunement permis d’utiliser leur aide par des pactes tacites ou exprès »[8].     

Donc bien que cette réalité soit tout-à-fait possible, cela ne signifie pas que nous comprenions le « comment » de ce phénomène, c’est-à-dire la façon dont il agit dans une personne. Ce phénomène est l’un des plus délicat pour les exorcistes parce qu’il peut dégénérer chez les gens en graves psychoses[9].  

Cependant il faut savoir considérer aussi la prudence et l’optimisme des exorcistes. Par exemple Bamonte déclare :

« En effet, même si nous ne pouvons pas nier la vérité d’un acte maléfique, nous ne devons pas favoriser une mentalité selon laquelle un maléfice, vrai ou présumable, se transforme en excuse pour nous détourner de nos propres responsabilités (…) le maléfice, en effet, sauf permission divine, trouve un vrai obstacle dans l’intensité de la vie chrétienne de la personne à laquelle il s’adresse : plus forte et valide est la défense spirituelle qu’il trouve, plus facilement seront effacés ses pervers propos. Et même si les effets d’un maléfice affectent une personne en vie de grâce, sauf de rares exceptions, en général les dommages produits seront très limités »[10].

 


[1] Cf. S. Thomas, Somme Théologique, II-II, q. 76, a. 3

[2] Cf. Fiori, Moreno, Spiritismo… p. 130.

[3] Cf. Bender, L, “Malefizio”, in Dizionario di Teologia Morale, dirigé par F. Roberti, Rome, 1955, p. 756. Cité par Moreno Fiori.

[4] Cf. Noldin, H, Summa theologiae moralis, II, n. 163.

[5] Cf. De exorcismi et supplicationibus quibusdam, n.15.

[6] Cf. Magie et démonologie, n.13.

[7] Cf. Saint Thomas, Supplement, q. 58, a. 2.

[8] Saint Thomas, Somme Théologique, II-II, q. 96, art. 2, ad. 3.

[9] Cf. Bamonte, Francesco, Possesioni diaboliche ed esorcismo, Milano, 2006, p. 215-216.

[10] Cf. Bamonte, Francesco, Possesioni..., p. 215.

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