Les Tentations du Christ
En face et à 4 kilomètres au nord de l’antique Jéricho, se dresse à pic la montagne de la Quarantaine (Djebel-Qarantal), dont le nom rappelle le jeûne et la tentation du Sauver pendant 40 jours et 40 nuits. Cette montagne se trouve dans le « désert » de Judée. L’Ancien Testament appel cet endroit « yesimon » que signifie « dévastation ». Il s’agit d’une superficie de 50 pour 25 kilomètres. Au sommet de la montagne se leva autre fois, au temps de Macchabées, la forteresse où fut assassiné Simon le dernier survivant de la dynastie. Les nombreuses grottes qui s’étagent sur ses flancs, habitées jadis par des anachorètes (en IVème siècle Saint Gariton fonda une colonie monastique aujourd’hui en mains des orthodoxes), sont devenues d’un accès difficile et parfois dangereux, parce que les degrés creuses dans le roc, des distance en distance, étant maintenant brisés ou fort dégradés, le moindre faux pas jetterai dans un précipice l’ascensionniste imprudent.
Voici en quels termes M. Poujoulat parle de la montagne de la Quarantaine dans la CVI lettre de la Correspondance d’Orient, tom. IV, pag. 375-377 : « En allant de la fontaine d’Elisée à la montagne de la Quarantaine, dit-il, on rencontre les débris d’anciens aqueducs et le restes d’un monastère. Le mont où Jésus-Christ jeûna pendant quarante jours, est un grand bloc de marbre, de forme triangulaire, dont les teintes jaunes et grises produisent un effet lugubre; l’œil ne découvre sur ses flancs escarpés ni arbuste, ni herbe, ni aucune trace de vie; ce mont sacré porte sa tête au-dessus de tous les monts voisins; des cellules taillées dans le roc, des grottes qui gardent des débris d’autels rappellent au voyageur que là vécurent jadis des anachorètes chrétiens; on creusa pour la prière et la pénitence des habitations semblables à celles qu’on avait creusées ailleurs pour la mort; la montagne de la Quarantaine est percée de cellules comme beaucoup d’autres montagnes de l’Orient sont percées de tombeaux. La grotte qui reçut le Sauveur se trouve au sommet du mont, dans les régions les plus inaccessibles. C’est du haut de cette montagne que l’esprit des ténèbres montrait au fils de Marie les contrées du septentrion et du midi, du couchant et de l’aurore, en lui disant: Je te donnerai tous ces royaumes, si tu tombes à mes pieds pour m’adorer».
Méditer la généralité de cet épisode de la vie de Jésus nous permet de comprendre trois idées qui touchent nos esprits et qui nous encouragent à vivre généreusement le chemin de carême que nous commençons et le chemin de la vie que nous parcourons jour après jour.
a. Solitude, silence et pénitence : Avant d’inaugurer son apostolat effectif, Jésus sentait le besoin d’un long tête-à-tête avec Dieu. Les plus illustres Peres de l’Eglise dont Jérôme, Basile, Grégoire de Nazianze, Jean Chrysostome, ainsi que les fondateurs d’ordre, Saint Benoit, Saint François d’Assise, Saint Ignace et combien d’autres, sont allés à son exemple chercher dans la solitude des inspirations et des forces, avant d’entreprendre les grandes choses qu’ils méditaient d’accomplir pour la gloire de Dieu.
Il n’est pas de grande œuvre humaine, ni de vie spirituelle authentique, sans qu’on ne prenne le temps de la réflexion, de la solitude, du silence intérieur. Notre mode de vie moderne et agitée, laisse très peu de place au silence. La plupart de nos contemporains sont effrayés par le silence, ils ont peur de se retrouver face à eux-mêmes et ainsi n’ont aucune espèce de vie intérieure, vivant à la surface d’eux-mêmes et ne recherchant jour après jour que les plaisirs d’une vie superficielle. Combien d’adolescents avouent qu’ils ne supportent pas le silence, qu’ils ont besoin de musique, d’internet, du constant téléphone afin d’être communiqué. Par contre, le silence est un vide nécessaire que Dieu va pouvoir remplir de sa présence. C’est là le but du silence : faire une place à Dieu, se taire pour se mettre à son écoute. Le silence permet la maîtrise de soi, de son corps, de ses pensées, il permet d’écarter toute idée étrangère pour se fixer en Dieu. Jeunes n’ayez jamais peur du silence !
Au cours de ce carême qui commence, prendrai-je quelques minutes par jour de silence ? Ou bien quelques quarts d’heure par semaine ? Pour prier, réfléchir, voir plus claire ? Mais attention ne le prenez pas ce temps comme un temps de privation, plutôt vivez-le comme un temps de rencontre privilégiée avec Dieu.
b. Le démon et la tentation : Le mot tenter, dans l’Ecriture, est équivoque. Dieu tente quelquefois les justes pour les éprouver, pour les rendre conscients de leur faiblesse ou leur fournir une occasion de mérites. L’homme peut tenter Dieu par sa méfiance ou par son orgueil. Le démon tente les hommes pour les séduire et les perdre.
Le chrétien doit donc être conscient de l’existence du démon et de son action à travers la tentation. Il essaye de nous faire croire qu’il n’est qu’une idée, qu’il n’a pas d’existence réelle. Il n’y a pas de pire danger pour un chef que d’engager tranquillement son armée dans un défilé parce que son service des renseignements lui a certifié qu’aucune troupe ennemie ne s’y trouvait. Ce fut l’origine de la terrible défaite que subie l’armée italienne à Caporetto, le 24 octobre 1917. Les troupes italiennes se trouvèrent subitement aux prises, dans la vallée de l’Isonzo, avec l’armée austro-allemande. Ce fut la débâcle. 1.500 canons furent abandonnés à l’ennemi, 180.000 soldats furent faits prisonniers. Le général Cardona, chef d’état-major, ne se sent plus le courage de supporter l’humiliation de cette terrible défaite qui oblige son pays à capituler. Il décide de se donner la mort. Il renvoi son entourage. Les yeux hagards, il prend son pistolet, le porte à la tempe. Mais, soudain, un capucin qu’il n’avait pas vue entrer dans son quartier général, arrête sa main d’un geste de désapprobation, puis disparait. Trois ans plus tard, le général, entendant parler du Padre Pio, se rend incognito à San Giovanni Rotondo. En le voyant, le Padre Pio refait de la main le geste qu’il avait fait trois ans plus tôt lorsqu’il s’était rendu par bilocation dans son Q.G. Emerveillé, le général le remercie de tout son cœur de l’avoir sauvé du suicide.
En habile stratège, Satan, utilise depuis longtemps la tactique de la tentation. Tous les hommes sont sujets aux tentations : en entrant au service du Seigneur, il faut se préparer à la tentation… si vis pacem para bellum disaient nos anciens. Mais la tentation en elle-même n’est pas un mal ; c’est au contraire, comme le montrent avec insistance les Pères de l’Eglise, un grand bien pour la vie spirituelle ; il a été dit à Tobie : parce que tu as été agréable à Dieu, il a fallu que la tentation t’éprouvât (Tob 12, 13), et saint Jacques a déclaré : Heureux l’homme qui a supporté l’épreuve ; devenu un homme éprouvé, il recevra la couronne de vie ! (Jac 1, 12). La tactique du démon est assez connue : c’est d’abord, de sa part, la suggestion, créant ainsi l’idée par l’imagination. Puis c’est la délectation qui fait éprouver un certain plaisir dans l’esprit. Jusque-là, il n’y a pas de péché, bien au contraire tout en résistant ou bien en fuyant la tentation c’est une victoire méritoire. Mais s’il n’y a pas de résistance et refus de notre part, c’est alors le consentement lequel constitue alors le péché.
c. Victoire et miséricorde : l’aire qui se respire dans cet épisode des tentations de Jésus c’est l’aire de la victoire et au même temps c’est une page de consolante miséricorde que de penser à Jésus qui me pardonne parce qu’il comprenne mes tentations, après avoir été lui aussi tenté. En effet, il convenait que le Sauver, descendu du ciel pour ruiner l’empire de Satan, se mesurât dès le début avec le prince de ce monde, le grand adversaire, et remportât sur lui un triomphe signalé. Il fallait aussi, qu’il fut éprouvé de toute manière, à l’exclusion du péché, pour mieux compatir donc à nos faiblesses. Tout cela est contenu dans l’enseignement de l’épître aux Hébreux : C’est parce qu’il a souffert, et a été lui-même éprouvé qu’il peut secourir ceux qui ont été éprouvés… car nous n’avons pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos infirmités ; pour nous ressembler il les a toutes éprouvés, hormis le péché (Hb 2, 18/ 4, 15). Voilà la première manifestation de la miséricorde du Christ. Nous savons que Jésus est avec nous. Jésus a, le premier, vaincu ses tentations, en restant indéfectiblement fidèle au Père, il nous aidera donc avec sa grâce et sa force à vaincre nous aussi nos tentations.
C’est notre conclusion. Si le Seigneur doit nous servir de modèle, s’il a voulu se mettre à notre rang, s’il a permis à Satan de le tenter en sa qualité d’homme, le fait qui résulte de cette lutte, c’est une réelle victoire après un combat singulier. Cependant le démon se retire vaincu mais non découragé. Il ne quitte Jésus que pour un temps… Il espère encore sa revanche. Nous le retrouverons, en fait, à Gethsémani et au Calvaire ; mais alors sa destruction sera complète et définitive.
P. Silvio Moreno, IVE