JERZY POPIELUSZKO MARTYR DE LA VERITE

JERZY POPIELUSZKO MARTYR DE LA VERITE

Au cours des journées mondiales de la jeunesse en Pologne, j’ai eu l’occasion de pérégriner au tombeau du grand martyr de la Pologne du régime soviétique : Jerzy Popielusko. Nous sommes été très marqués par la figure de ce prêtre, vicaire de paroisse à Varsovie, mais courageux sentinelle de la vérité.

À l'heure où les catholiques d'Occident s'interrogent sur la manière de répondre aux provocations antichrétiennes, la vie et l'enseignement du bienheureux Jerzy prend valeur de témoignage prophétique.

Le père Jerzy a été, en Pologne, la dernière victime violemment assassinée par le régime totalitaire du communisme. Le beau courage qui va le caractériser se manifeste déjà jeune et spécialement pendant son service militaire – il a 19 ans – durant lequel les séminaristes subissaient toutes sortes de brimades gratuites. Conscient des punitions qu'il encourt, il refuse cependant d'enlever médaille et chapelet. Au dortoir, il prie à genoux – chose interdite. Le vendredi : il fait son chemin de croix, quoi qu'il en coûte. À Noël, il chante des cantiques en épluchant les légumes. Sanction, il devra ramper sur le sol ! Pendant les séances de lavage de cerveau, il lit l'Imitation de Jésus-Christ. En août 1980 – il a 33 ans – les ouvriers des grandes aciéries de Huta Warszawa l'invitent pour célébrer la toute première messe jamais chantée dans ce que le pouvoir pensait être un fief du communisme. Il en est bouleversé : « On m'a applaudi. J'ai cru un instant qu'une célébrité marchait derrière moi. Mais non ! Ces applaudissements m'étaient bien destinés, à moi, premier prêtre à avoir jamais franchi le portail de l'aciérie. Je me suis dit alors qu'on ovationnait ainsi l'Église qui depuis trente ans a frappé aux portes des usines ».

Il lance aussi les grands pèlerinages nationaux d'ouvriers qui viendront par centaines de milliers à Czestochowa, chaque troisième dimanche de septembre.

Le 13 décembre 1981, quelques mois après l'attentat de Jean Paul II, l'état de guerre en Pologne est proclamé. 6000 responsables du syndicat Solidarnosc sont emprisonnés de nuit, l'armée est partout déployée et les réactions, comme durant les pires années où toute manifestation était violemment réprimée, sont noyée dans un bain de sang. C'est alors que la voix de ce prêtre va retentir. Voix qui brise le mur du silence, Jerzy se fait le porte-parole de son peuple brimé. Il le fait au cours des 33 messes pour la Nation qu'il va célébrer. Trente-trois messes, trente-trois stations d'un chemin montant au Calvaire. Ses homélies sont extraordinaires. Je vous invite donc mes frères à tendre l’oreille à cette voix de prophète et de précurseur contemporain et à saisir dans chaque texte la profondeur de son contenu et les grandes vérités y exposées.

Dès février 1982, où il choisit des textes à faire frémir certains (Sg 6, 1-9 ; Ps 58, 2-8), il cite les évêques[1]: « L'Église se place toujours du côté de ceux qui sont privés de liberté, de ceux dont on brise les consciences. Notre douleur est celle de la Nation toute entière terrorisée par la force militaire... de tous ceux, internés, arrêtés, condamnés... ».

En avril 1982, c'est un poète qu'il reprend : « Plus fort que les pierres qui pleuvent sur nous, plus fort que la main arbitraire et parjure qui s'abat sur nous, crier que notre cœur brisé dans notre poitrine ni ne se pliera, ni ne se changera. La mort est périssable, la foi... éternelle! ».

Les textes choisis sont loin d'être neutres (Dn 3, 37-45, Ps 94, Mc 13, 9) : « On vous livrera aux Sanhédrins, vous serez battus, vous comparaîtrez... » Et il prie : « Aujourd'hui, il y a tant de familles d'orphelins de notre patrie, des enfants attendant le retour de leurs parents. Nous te prions pour ceux qui brisent les consciences humaines, ce qui est pire encore que de tuer... Que les consciences de nos compatriotes ne soient pas asservies ! Nous te prions pour les fonctionnaires de la justice qui n'ont pas le courage de s'opposer au mensonge et qui acceptent le faux pour le vrai. Nous te confions les ouvriers qui ont donné leur sang et offert leur vie pour défendre leurs droits humains inaliénables. Et de citer un détenu : Ne nous laisse pas nous figer dans la colère et la rage, pardonne à nos traîtres ! Et encore : Ô Pologne, on t'a privé de tout, mais tu as tout, tant qu'il te reste le ciel et la terre sous les pieds ! Ta terre est frappée du glaive comme le visage de la Très sainte Madone de Jasna Gura ! ».

En mai, il cite cette fois un hymne des insurgés de 1830 d'une actualité alors saisissante: « Les tours de Moscou seront ébranlées. La cloche de la liberté sonne et un sang libre est répandu ! » Mère de Dieu, porte ce sang du peuple libre devant le Trône divin ! Reine au visage balafré, nous Te présentons la demi-année d'esclavage de guerre. Une seule prière demeure : donne-nous la grâce de résister ! Vois comme l'ennemi bafoue notre âme ! ».

En juin, encore des textes brûlants : « La coupe déborde de sang, d'amertume et de larmes. Toujours écrasés mais fidèles dans la foi, nos cœurs ne tremblent pas à la vue des meurtres. La droiture s'effondre, la force étrangère nous écrase, elle enfonce les tempes polonaises dans la couronne de fer ! Sois Pologne ! Et libre sera la Pologne ! ».

Septembre 1982, devant la foule où chacun tient une petite croix en main : « Il n'y a pas d'Église sans la Croix, il n'y a ni sacrifice ni sanctification sans la Croix. Celui qui vainc dans une cause juste, vainc par la Croix et dans la Croix. L'Église doit dire la vérité. L'Église doit défendre les souffrants. Au nom de la vérité, l'Église ne peut jeter un regard indifférent sur le mal et sur les peines humaines. L'Église avance vers la Résurrection. Il n'y a pas d'autre voie. Et c'est pourquoi les croix de notre Patrie, nos croix personnelles, celles de nos familles, doivent mener à la victoire, à la Résurrection, si nous les joignons au Christ qui a vaincu la Croix. Et de s'exclamer : Quelle ressemblance aujourd'hui encore entre le Christ couvert de sang sur la Croix et notre Patrie douloureuse! ».

Octobre 1982, il ne mâche pas ses mots : « Pour demeurer libre dans l'âme, il faut vivre dans la vérité. Vivre dans la vérité, c'est donner la vérité des témoignages, c'est la revendiquer et la reconnaître dans toute situation. La vérité est immuable. On ne peut détruire la vérité par des décisions ou des décrets. L'esclavage pour nous consiste justement en ceci : que nous nous soumettions au règne du mensonge chaque jour. Nous ne protestons pas, nous nous taisons, ou bien nous faisons semblant d'y croire. Alors, nous vivons dans le mensonge. Le témoignage courageux de la vérité est un chemin qui mène directement à la liberté. L'homme qui témoigne de la vérité est un homme libre même dans des conditions extérieures d'esclavage, même dans un camp, dans une prison. Le problème essentiel pour la libération de l'homme et de la Nation est de surmonter la peur. Car la peur naît de la menace. Nous surmontons la peur, lorsque nous acceptons la souffrance ou la perte de quelque chose au nom de valeurs supérieures. Si la vérité devient pour nous une valeur pour laquelle nous acceptons de souffrir, de prendre des risques, alors nous surmontons la peur qui est la cause directe de notre esclavage ».

Et de citer le cardinal Stephan Wyszynski, emprisonné pour avoir dit la Vérité : « La peur est le plus grand manquement de l'apôtre... Elle serre le cœur et rétrécit la gorge. Celui qui se tait face aux ennemis de la bonne cause, les enhardit... Forcer au silence par la peur, telle est la première tâche dans la stratégie impie... Le silence a son sens apostolique uniquement quand je ne détourne pas mon visage devant ceux qui me frappent... ». Il conclut encore ainsi : « Je voudrais répondre à tous ceux qui souffrent en terre polonaise et je désire m'adresser d'ici aux autorités de la République Populaire de Pologne, pour que ces larmes cessent. La société polonaise, ma Nation ne mérite pas d'être poussée aux larmes du désespoir et de l'abattement. Oui, une nation qui a tellement souffert dans son passé récent, ne mérite pas que beaucoup parmi les meilleurs de ses fils et filles séjournent dans les camps et les prisons ; elle ne mérite pas que sa jeunesse soit malmenée et battue, que le crime de Caïn soit commis. Elle ne mérite pas qu'on la prive, contre sa volonté du syndicat Solidarité ».

Et dans la dernière homélie de cette année, juste avant Noël, il déclare : « On aurait envie d'ajouter : ne lutte pas par la contrainte. La contrainte n'est pas une preuve de force, mais de faiblesse. Celui qui n'arrive pas à vaincre par le cœur ou par la raison, essaye de vaincre par la contrainte. Mais chaque manifestation de la contrainte est une preuve d'infériorité morale. L'idée qui a besoin d'armes pour durer, meurt d'elle-même. L'idée qui ne peut se maintenir que par la contrainte est une idée dévoyée. L'idée capable de vie l'emporte par elle-même. Des millions d'hommes la suivent spontanément. La Nation comprend mieux aujourd'hui les paroles de Norwid : "Il ne faut pas s'incliner devant les circonstances et laisser les vérités derrière la porte." Il ne faut pas s'incliner devant les circonstances... »

1983, année neuve. Dès janvier, il reprend de plus belle : « Une nation possédant une tradition chrétienne millénaire, aspirera toujours à la pleine liberté. Car il est impossible de combattre cette aspiration par la contrainte, puisque la contrainte est la force de celui qui ne possède pas la vérité. Il est possible de plier l'homme par la contrainte, mais non pas de le rendre esclave. Un Polonais qui aime Dieu et la Patrie se relèvera de toute humiliation, car il ne s'agenouille que devant Dieu ».

En février, il se fait l'écho des voix bâillonnées : « Des femmes emprisonnées à Fordon écrivent : "Nous voulons la liberté, mais pas à tout prix. Pas au prix du renoncement à notre idéal, pas aux prix de la trahison envers nous-mêmes et ceux qui nous font confiance..." ».

Puis, il désigne nommément le premier instigateur caché dans les coulisses : « Satan renforce son empire sur la terre, et dans notre Patrie, le royaume du mensonge, de la haine, de la peur, si nous ne devenons pas chaque jour plus fort par la grâce de Dieu, si nous ne nous penchons pas avec douleur, avec cœur et amour sur nos frères qui souffrent innocemment dans les prisons, sur eux et sur leurs familles ».

En mars, il a ce mot de pure splendeur : « L'amour et la vérité, on peut les crucifier, mais il est impossible de les tuer. Là-bas, sur la Croix, la vérité et l'amour ont triomphé du mal, de la haine, de la mort. La Nation veut que la concorde ne soit pas une capitulation, un renoncement aux idéaux, aux aspirations ».

Il se tourne vers les dirigeants : « Pour vous, frères, qui éprouvez en vos cœurs une haine de mercenaire, réfléchissez : la force ne peut vaincre, même si elle peut triompher quelque temps, avant de prier pour eux : Prions pour ceux qui se vendent au service du mensonge, de l'injustice, de la contrainte : qu'ils comprennent leur humiliation ! ».

Il se fait aussi l'écho du grand cardinal Wyszinsky, du fond de sa résidence haute-sécurité : « Malheur à la société dont les citoyens ne se conduisent pas avec courage ! Ils cessent alors d'être citoyens pour devenir de simples esclaves ! C'est le courage qui transforme les gens en citoyens, car l'homme courageux est conscient de ses droits dans la société et des devoirs qui lui incombent. Si le citoyen renonce au courage, il se nuit à lui-même, il nuit à sa personnalité humaine, à sa famille, à son groupe professionnel, à sa Nation, à l'État et à l'Église, même s'il est manipulé par peur et frayeur, pour le pain et d'autres avantages. Malheur aux gouvernants qui veulent conquérir le citoyen au prix de la peur et de la frayeur de l'esclave. Alors ce ne sont plus des hommes qu'ils gouvernent, mais, excusez le mot, des choses ».

En mai 1983, en plein mois de Marie, il se tourne vers Elle : « Tu étais là et tu as vaincu, Toi notre Reine. Mais Tu étais là aussi et Tu souffrais, Toi notre Mère. Aujourd'hui, Tu es pour nous plus Mère que Reine. Car aujourd'hui, nous avons plus que jamais besoin d'une Mère. D'une Mère qui comprend tout, qui essuie toute larme et qui console toute peine, qui nous garde de perdre espérance. Or, notre espérance est souvent menacée quand nous voyons le prince du mal revenir en force sur nos terres polonaises. Nous avons besoin de Toi, Mère qui essuie les larmes. Car nombreuses sont nos larmes ces derniers huit mois, depuis cette nuit honteuse de décembre 1981. Oui, et nombreuses sont nos larmes et nos souffrances ».

Et de nouveau, il nomme celui que Jésus appelle l'ennemi : « Satan, que Tu écrases de Ton pied, comme pris dans des convulsions de l'agonie – oh ! Que ce soit sa dernière agonie ! – nous inflige de nouvelles souffrances par ses serviteurs. Dès le premier jour, le mois de mai de cette année est devenu, à Varsovie, le temps du règne de Satan, sous la forme de la contrainte, des manifestations de force et de haine, du déferlement des mensonges et des diffamations ».

En juin : « Longtemps résonneront dans nos oreilles les paroles du Saint Père à Cracovie : "Vous devez être forts de la force de la foi. Vous devez être forts de la force de l'espoir, vous devez être forts de la force de l'amour, de l'amour qui supporte tout... La Nation en tant que communauté humaine est appelée à la victoire, à la victoire par la force de la foi, de l'espoir, de l'amour, par la force de la vérité, de la liberté, de la justice" ».

Il devient maintenant l'homme à abattre. En six mois, il subit treize interrogatoires et plusieurs arrestations et détentions provisoires. Aucune menace ne le fait trembler : « Seule une Nation libre spirituellement et amoureuse de la vérité peut durer et créer pour l'avenir. Seule une nation saine d'esprit et consciente peut courageusement créer son avenir. On conquiert les gens le cœur ouvert et non les poings fermés. La vraie sagesse, la vraie connaissance, la vraie culture ne peuvent être enchaînés. Il n'est pas possible d'enchaîner les esprits humains. Garder sa dignité d'homme, c'est demeurer intérieurement libre même dans l'esclavage extérieur. Rester soi-même dans toutes les situations de la vie. C'est demeurer dans la vérité, même si cela devait nous coûter cher. Car dire la vérité coûte cher. Seule l'ivraie est de vil prix. Il faut payer pour le grain de la vérité. Toute chose, toute grande cause doit coûter et doit être difficile. Il n'y a que les choses petites et médiocres qui sont faciles. Déjà le poète Novalis disait : "L'homme s'appuie sur la vérité. S'il trahit la vérité, il se trahit. Celui qui trahit la vérité, se trahit lui-même." Le mensonge avilit la dignité humaine et est l'apanage des esclaves, des pusillanimes ».

En février 1984, sa dernière année, il aborde de front le domaine de l'éducation nationale: « Nous sommes des enfants de la Nation qui, depuis plus de mille ans, chante la gloire du Dieu Unique dans la Trinité. C'est pourquoi, dans l'éducation actuelle, on ne peut se couper de ce qui a constitué la Pologne au cours de mille années. On ne doit ni le rayer, ni le déformer. Dans son travail, l'école devrait dépendre des parents. L'école ne doit pas détruire dans les âmes enfantines les valeurs qui y ont été inculquées par la famille. Le pouvoir ne doit pas imposer sa religion, ni sa conception de la vie. Il ne doit pas dicter ce que doivent et ne doivent pas croire les citoyens. Car n'est-ce pas imposer la religion athée et manquer de tolérance que de refuser une presse catholique dans un pays catholique où prolifère une presse laïque. L'une des causes de nos malheurs contemporains, matériels et moraux, est que l'on a refusé obstinément la place au Christ, notamment à l'école et au travail, dans l'éducation des enfants et des jeunes. On a menacé de sanctions pénales les enseignants qui facilitaient aux enfants la participation au catéchisme [4]. Car celui qui brade sa foi et ses idéaux est prêt à sacrifier un homme. Nous devons faire tout notre possible pour ne pas laisser fermer la bouche ni aux enfants, ni aux jeunes, ni à la Nation ».

Et se tournant vers les jeunes : « Mes chers jeunes amis, vous devez avoir en vous un cœur d'aigle et un regard d'aigle. Vous devez tremper votre âme et l'élever très haut, pour pouvoir tels les aigles survoler toute la volaille, en marche vers l'avenir de notre Patrie. Ce n'est qu'en ressemblant à des aigles que vous pourrez affronter les vents, les orages, et les tempêtes de l'Histoire, sans vous laisser mener à l'esclavage. Souvenez-vous-en ! Les aigles sont des oiseaux libres car ils volent haut dans le ciel et ne se vautrent pas à terre ».

Mai 1984 : « Vivre dans la vérité, c'est être en accord avec sa conscience. La vérité unit et relie les gens. La grandeur de la vérité effraie et démasque les mensonges des médiocres et des peureux. La lutte ininterrompue pour la vérité dure depuis des siècles. La vérité est pourtant immortelle, et le mensonge périt d'une mort rapide. Écoutons le cardinal Wyszynski : il suffit de peu de gens parlant en vérité. Christ en a choisi un petit nombre pour proclamer sa vérité. Seuls les mots mensongers doivent être nombreux car le mot mensonge est détaillé et se monnaie : il se débite comme la marchandise sur les rayons, il doit être constamment renouvelé, il doit avoir de multiples serviteurs, qui selon un programme, l'apprendront pour aujourd'hui, pour demain, pour un mois. Pour maîtriser la technique du mensonge ainsi programmé, il faut des hommes en quantité. Il suffit de quelques uns pour proclamer la vérité. Il suffit d'un petit groupe de gens qui luttent pour la vérité pour rayonner. La condition essentielle de la libération de l'homme, pour lui permettre de vivre en vérité, est d'acquérir la vertu du courage. La lutte pour la vérité est le symbole du courage chrétien. Car la seule chose dont il convient d'avoir peur dans la vie est la trahison du Christ pour quelques deniers de calme éphémère. Ce n'est pas facile aujourd'hui, lorsque d'office durant les dernières décennies, sur le sol natal on a semé les graines du mensonge et de l'athéisme, on a semé les graines du laïcisme ; cette vue du monde est un produit caricatural du capitalisme et de la franc-maçonnerie du XIXe siècle. On les a semées dans un pays, qui depuis plus de mille ans est solidement ancré dans le christianisme. On ne peut tromper la vie, tout comme on ne peut tromper la terre. Malheur à la société dont les citoyens ne sont pas guidés par le courage ! Ils cessent alors d'être des citoyens, pour devenir de simples esclaves. Si le citoyen renonce à la vertu du courage, il devient esclave et se cause le plus grand des torts, à lui-même, à sa personne, mais aussi à sa famille, à son groupe professionnel, à la Nation, à l'État et à l'Église, même si la peur et la crainte lui font facilement obtenir du pain et des avantages... »

Et de clore : « Prenons conscience que la Nation dépérit lorsqu'elle manque de courage, lorsqu'elle se ment à elle-même en disant que tout va bien, quand tout va mal, lorsqu'elle se contente de demi-vérités. Soyons conscients qu'en exigeant la vérité nous devons nous-mêmes vivre en vérité ; que cette conscience nous accompagne chaque jour. En exigeant la justice, soyons justes envers nos proches. En exigeant le courage, soyons chaque jour courageux ».

Les menaces sont de plus en plus oppressantes. Le Primat suggère de l'exiler à Rome, sous prétexte d'études. Il décline toutes ces offres. Il veut rester avec le peuple qui lui a été confié, quelque soit les risques : « Il me faut rester toujours disponible pour mes paroissiens, jour et nuit ». Déjà rongé par la maladie, il avoue : « Oui, il m'arrive d'être fatigué. Le temps me manque pour servir tout le monde. Je ne suis jamais libre pour moi-même. Mais je ne ressens aucun découragement ». En juin, il déclare : « La justice interdit de détruire dans les âmes des enfants et des jeunes, les valeurs chrétiennes apprises par les parents, valeurs qui se sont vérifiées tout au long de notre Histoire millénaire. Rendre la justice et réclamer la justice est le devoir de tous ; déjà Platon disait : "Quand la justice se tait, les temps sont mauvais." La justice envers soi-même oblige à filtrer honnêtement à travers sa propre raison et sa propre observation toute cette avalanche de mots propulsés par la machine de la propagande ».

Dans son avant-dernière homélie, il se jette avec son peuple dans les bras de la Reine : « La Nation polonaise n'a pas de haine en elle et elle est capable de beaucoup pardonner, mais uniquement au prix d'un retour à la vérité. Car la vérité, et la vérité seule est la condition première de la confiance. Prions avec les mots du Saint Père qui priait ainsi, le 4 août 1982 : "Mère ! Peut-être faut-il aujourd'hui plus que jamais que Tu prennes entre Tes mains maternelles le cœur et les pensées des Polonais, que Tu prennes entre Tes mains le sort de ma Nation." ».

Fin septembre, l'ultime cri. Il se fait une dernière fois l'avocat intrépide des parents, des enfants, et des jeunes – la prunelle de ses yeux : « Les années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale ne sont qu'une suite de luttes pour le monopole de l'éducation athée, de l'éducation sans Dieu, de l'extirpation de Dieu du cœur des enfants et des jeunes. Pour son travail, l'école éducatrice devrait dépendre des parents, car les enfants appartiennent aux parents. Ce n'est pas l'État, mais les mères qui mettent au monde les enfants. Pour cette raison, l'école ne doit pas détruire dans l'âme des enfants les valeurs que la famille leur enseigne. L'enseignant doit être pour l'élève un ami qui dit la vérité ».

Enfin, il s'érige contre le projet de déchoir de sa nationalité et d'expatrier le citoyen ne respectant pas les principes du système. Il s'écrie : « C'est un crime contre la Nation. Car il vise non les criminels ordinaires, mais les meilleurs fils de la Patrie, qui s'opposent courageusement à la destruction de l'esprit même de la Nation ». Et de citer pour la toute dernière fois son maître et père spirituel, Jean Paul II : « Tout homme a droit à sa patrie, où il est fixé depuis des générations. Personne ne peut être condamné à l'émigration ».

Le 19 octobre, il célèbre sa toute dernière messe. Son ultime parole ? « Prions pour que nous soyons libres de toute peur, de l'effroi et surtout du désir de vengeance et de violence ».

Mais où donc puisait-il sa force ? Comme tous les martyrs, dans l'Eucharistie. Ce n'est pas un hasard si ses cris sont lancés uniquement pendant la messe. On peut lui appliquer ce mot de splendeur lâché par le pape émérite Benoît XVI, à la messe de la Fête Dieu, sur le parvis de Saint Jean de Latran: « Qui s'agenouille devant l'Eucharistie, est incapable de s'agenouiller devant une puissance de la terre, aussi puissante soit-elle ».

 

[1] Les textes cités dans ces pages ont été publiés par Jean Offredo, le Chemin de ma croix, Cana, 1984. Dans les premières homélies, il cite surtout d'autres voix, avant de prendre de l'assurance.

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