DUC IN ALTUM !
Viens, et suis-moi !
Jeunes héroïques dans le monde d’aujourd’hui[1]
Heureux ceux qui placent en toi leur appui !
Ils trouvent dans leur cœur des chemins tout tracés
Lorsqu’ils traversent la vallée aride,
ils la transforment en un lieu plein de sources,
et la pluie la couvre aussi de bénédictions.
Leur force augmente pendant la marche,
Et ils se présentent devant Dieu à Sion.
(Ps 83, 5-7)
Introduction : Notre point de départ sera une double invitation de Jésus-Christ : au jeune riche, « va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi » (Mt 19, 21) et puis aux apôtres : «quand il eut cessé de parler, il dit à Simon : ‘Avance dans les eaux profondes…’ » (Lc 5, 4) Duc in altum ! La grâce que nous allons demander aujourd’hui à Notre Seigneur sera de n'être pas sourd à son appel, mais prompt et diligent à accomplir sa volonté, quel quelle en soit, d’accomplir son idéal. Il est question de vie ou de mort pour nous les jeunes… il nous faut une nouvelle génération des jeunes héroïques, courageux…
Il y a un mot courant aujourd’hui : mondanité… esprit bourgeois… esprit de commodité. Notre monde est un monde confortable… toutes les inventions actuelles sont pour notre plaisir et commodité… l’homme s’installe, et commence à s’engendrer en lui un esprit paresseux, individualiste, égoïste… Cependant nous trouvons aussi des gens, des jeunes, qui ne veulent pas se conformer avec cet esprit du monde d’aujourd’hui, des âmes créées pour des grandes choses, des héros…
Une description : Cervantès, célèbre écrivain espagnol, dans son écrit « Don Quijote », accède au statut véritable d’héros. Ses mots, le plus souvent admirables, pour tout ce qui touche à la mission dont il s’investi, résonnent, certes dans le contexte d’un véritable héroïsme : « Apprends, ô Sancho, qu’un homme n’est pas plus qu’un autre s’il ne fait plus qu’un autre », lance-t-il à son valet. Et plus loin : «Ami Sancho ! apprends que je suis né par la volonté du ciel, dans notre âge de fer, pour y ressusciter l’âge d’or. C’est à moi que sont réserves les périls redoutables, les prouesses éclatantes et les vaillants exploits. C’est moi, dis-je encore une fois, qui doit ressusciter les vingt-cinq de la Table Ronde, les douze de France et les neufs de la renommée. (…) Dors, toi qui es né pour dormir, et fais ce que tu voudras ; mais je ferai, moi, ce qui convient le plus à mes desseins ».
Un Héros donc est un homme de… noblesse, expansion vitale, action créatrice, ardeur généreuse :
Sa noblesse. En ce sens, la lucidité est inséparable de l’héroïsme. Un héros est toujours responsable de ses actes, il n’agit jamais aveuglement. Le héros a toujours, en quelque manière, le « panache » de Cyrano de Bergerac : capable de choisir le chemin des crêtes quand tout invite à se contenter des routes balisées, il affirme dans le Bien comme dans le Mal la même intransigeance quant à des valeurs véritables qui- il le sait- le perdront pourtant aux yeux du monde. Pour lui c'est pécher par insuffisance que de cacher la vérité[2]. Un héros finalement est toujours susceptible d’être ému par des faiblesses, il est miséricordieux, cela nous rappelle qu’il ne saurait exister de héros érigés contre l’humain.
Son expansion vitale : il y a toujours dans la figure du héros, quelque chose qu’illumine, qui éclaire. Il est un exemple. Il est comme Jésus-Christ au milieu des docteurs de la loi… ; il se rebelle ouvertement contre les modelés figés imposés par le monde matérialiste et athée. Il n’est pas paresseux, il ne recule jamais « Dans le temps d’un éclair il se décide : il ne pense point en arrière, comme vous faites toujours, vous spectateur ; il pense en avant, partant de ce qu’il a voulu »[3].
Son action créatrice : le héros est celui qui exerce sur nous un véritable « appel », il nous attire vers lui. Pourquoi les saints ont-ils laissé des imitateurs et pourquoi les grands hommes de bien ont-ils entraîné derrière eux des foules ? Ils ne demandent rien, et pourtant ils obtiennent. Ils n’ont pas besoin de toujours exhorter ; ils n’ont qu’à exister ; leur existence est un appel, leur vie est un témoignage. D’où lui vient sa force ? Dévouement, don de soi, esprit de sacrifice, charité, etc.; tels sont les mots que nous prononçons quand nous pensons à eux. Saint Basile disait : « Le capitan du navire se reconnait dans la tempête, l’athlète dans la course, le général dans la bataille, et le héros, le magnanime se reconnait dans le malheur »[4]. Job proclame au milieu de l’adversité : « Dieu avait donné, Dieu a repris : que le nom de Dieu soit bénis » (Jb 1, 21).
Son ardeur généreuse : Dans le Cratyle, Platon considère que la racine du mot héros est de la même origine que celle qui désigne l’amour (êrôs). Ainsi l’héroïsme est geste d’amour, ce qui explique qu’il se manifeste si souvent par le sacrifice. Dans le monde d’aujourd’hui on rassemblera facilement sous cette bannière tous les héros du combat humanitaire, parfois opposés aux institutions qui auraient dû les soutenir. Car, là encore, il ne saurait être question d’héroïsme sans cette volonté d’être fidèle à soi en dépit de tout, et de fuir les mangeoires où se satisfait le gros du troupeau. La vision chrétienne place l’héroïsme, en tant qu’amour qui se sacrifie, dans la maîtrise de soi, l’obéissance vertueuse, une lutte courageuse contre l’égoïsme et le caractère dérèglé des passions. Nous ne pouvons pas oublier de mentionner ici l’extraordinaire exemple de sacrifice amoureux de Saint Maximilien Marie Kolbe durant la seconde guerre mondiale, ou l’amour inconditionné à la vie humaine de Sainte Jeanne Beretta Molla.
Un héros chrétien suit inconditionnellement son Roi et Seigneur Jésus-Christ : C’est l’intention de Saint Ignace de Loyola lorsqu’il nous fait méditer l’appel du Christ Roi : « si l'appel d'un roi de la terre à ses sujets fait impression sur nos cœurs, combien plus l´appel de Jésus-Christ, notre Seigneur, Roi éternel. Le discours qu´Il dit à ses amis est le suivant: « Ma volonté est de conquérir le monde entier, de soumettre tous mes ennemis, et d'entrer ainsi dans la gloire de mon Père. Que celui qui veut venir avec moi travaille avec moi ; qu'il me suive dans les fatigues, afin de me suivre aussi dans la gloire»[5]. Serions-nous capables de lui dire non ?! L’Eglise ne cherche pas l’exceptionnel dans la vie des chrétiens, mais souligne plutôt si nous sommes dans le quotidien de nos vies « le sel de la terre et la lumière du monde », si nous voulons suivre vraiment ce Roi persécuté, crucifie et ressuscité. Saint Jean Paul II affirmait : « il est nécessaire que l’héroïque devienne quotidien et que le quotidien devienne héroïque ». L’Eglise, en effet, en canonisant des hommes et des femmes comme nous, établit que ils ont fait de leur vie quotidienne quelque chose d’héroïque, et de l’héroïsme quelque chose de quotidien. Cela est possible pour chaque chrétien quel que soit son état de vie, que soit un enfant, que soit un jeune, que soit un adulte. Le passage de la célèbre Lettre à Diognète sur le mariage chrétien, mais qui peut s’appliquer parfaitement à chacun de nous quelle que soit notre vocation, est vraiment encourageant : «Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le territoire, ni par la langue, ni par le vêtement. (…) Ils se marient comme les autres et ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas les nouveau-nés. Ils vivent dans la chair, mais pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies, mais leur façon de vivre dépasse les lois »[6].
Exemples d’héroïsme: Le père Guillermo Doyle, cité par Saint Albert Hurtado, aumônier militaire écrivait: "Esta guerra me tiene completamente avergonzado de mí mismo. ¡Cuánta generosidad, cuánto sacrificio y hasta desprecio de la propia vida! ¡Y nosotros, los seguidores del Rey Crucificado, vivimos con tanta comodidad! ¡Él nos perdone tal cobardía y nos dé espíritus de heroísmo!".
Saint Albert Hurtado raconte aussi le cas exemplaire d’un médecin en chine et de son dévouement généreux jusqu’à l’extrême pour sa profession… “Había tal número de heridos que sólo se atendía a los que tenían posibilidad de curación, a los demás se les dejaba en un sitio para que murieran con el menor dolor posible... Pues bien, sus ratos libres se iba a pasarlos entre éstos para consolarlos, ayudarlos, estimularlos. Y todo, como lo más natural; estaba cumpliendo su deber”[7].
Imaginez-vous donc jusqu’à quel point arrive la nature humaine pour un idéal qui est purement humain ! Mais quand l’héroïsme s’incarne dans des idéaux religieux et chrétiens, faits de prouesses extraordinaires !
Les Apôtres…presque tous martyrisés, sauf Saint Jean confesseur de la foi, et Judas Iscariote le traître. Le cas de Saint Pierre et Domine quod vadis? Les milliers des martyrs… Agnès, Lucie, Perpétue et Félicité, Maria Goretti, Antonia Messina, les milliers des martyrs ‘cristeros’ de Mexique… José Sanchez del Rio… Le Père Miguel Pro : Vive le Christ Roi !… les martyrs de la guerre civile espagnole… les séminaristes de Barbastro… l’évêque de Barbastro… aucun parmi eux n’abandonna la foi catholique…simplement extraordinaire ! L’héroïsme des jésuites au Canada chez les tribus peaux rouges… l’exemple du P. Isaac Jogues… l’héroïsme des missionnaires de la taille du Père Segundo Llorente en Alaska… avec une dizaine de catholique et une température de moins 40 degré en ne se nourrissant qu’avec du poisson… du Frère Motolinia (Frère pauvre) en Amérique… il convertit la région par l’exemple de sa pauvreté… Don Louis Orione et son admirable amour pour la Providence divine… L’héroïsme des jeunes comme nous, qui veulent vivre la pureté, pleine de joie, qui ont des idéaux concrets, qui disent « oui » à Christ tous les jours, qui ne se laissent pas abattre facilement, qui savent se sacrifier par amour de Jésus… « Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. Qui ne prend pas sa croix et ne suit pas derrière moi n’est pas digne de moi » (Mt 10, 37-38). Le Cardinal Newman disait : « seulement ceux qui souffrent en cette vie peuvent se réjouir en cette vie ». En définitif, l’héroïsme des jeunes qui vivent la vrai liberté des fils de Dieu. Jean Paul II disait à ce propos : « Toutefois, croyez dans la lumière (cf. Jn 12, 36)! N’écoutez pas ceux qui vous poussent à mentir, à fuir les responsabilités, à penser tout d’abord à vous-mêmes. N’écoutez pas ceux qui vous disent que la chasteté est démodée. Dans vos cœurs, vous savez que l’amour véritable est un don de Dieu et qu’il respecte son dessein sur l’union de l’homme et de la femme dans le mariage. Ne vous laissez pas égarer par de fausses valeurs et des slogans trompeurs, en particulier à propos de votre liberté. La liberté véritable est un merveilleux don de Dieu...[8] L’héroïsme des mères de familles nombreuses, qui acceptent et disent oui à la vie humaine… l’épouse fidèle qui lutte pour maintenir son mariage et persévérer dans son engagement et qui prie entre larmes pour son mari infidèle… avec le seul but de sauver son âme. L’héroïsme de tant d’hommes qui sont fidèles à leur unique épouse, à leur travail… l’exemple de Pietro Molla, les époux Martin, parents de cinq filles dont trois religieuses, et une sainte, Thérèse de l’enfant Jésus…Giuseppe Moscatti, le médecin de Naples… le jeune Miguel Magone : ne laisse pas pour demain ce que tu peux faire aujourd’hui… et il fit sa confession…« Finalement je suis heureux » dit-il après sa confession et ensuite il formula un propos : être tous les jours « meilleur ». Ils ont voulu être saints avec énergie. La question est, donc, nous avons la même disposition que les saints ?
Conclusion
Alors, je considérerai, termine Saint Ignace de Loyola, que tout homme qui fait usage de son jugement et de sa raison ne peut pas hésiter à s'offrir généreusement à tous les sacrifices et à tous les travaux. Je considérerai, que tous ceux qui voudront s'attacher plus étroitement à Jésus-Christ, et se signaler à son service, ne se contenteront pas de s'offrir à partager ses travaux ; mais, agissant contre leur propre sensualité, contre l'amour de la chair et du monde, ils lui feront encore des offres d'une plus haute importance et d'un plus grand prix, en disant : « Roi éternel et souverain Seigneur de toutes choses, je viens vous présenter mon offrande : aidé du secours de votre grâce, en présence de votre infinie bonté, sous les yeux de votre glorieuse Mère et de tous les Saints et Saintes de la cour céleste, je proteste que je désire, que je veux, et que c'est de ma part une détermination arrêtée, pourvu que tels soient votre plus grand service et votre plus grande gloire, vous imiter…».
Chers jeunes, qu’il ne nous arrive pas d’expérimenter en nous-même la réponse de Saint Ignace à son amis François…
François Xavier :
« Veux-tu de moi, que je sois éloigné de tout ? Veux-tu, peut-être que je laisse maison, famille, travail ou état ? Tu demandes trop…
Ignace de Loyola :
« Je t’offre beaucoup plus ! Toi, le faux chercheur de vanité, gloire et honneur, vas-tu reculer alors que je viens t’offrir une gloire et honneur meilleurs ? Ne cherche pas honneur, vanité dans des armoiries et couronnes, tu sais bien que ce n’est pas cela ce que tu ambitionne, ni ce qui t’appel. Lorsque l’applaudissement te réclame, tu penses que tu es arrivé à ta plus grande gloire. Insensé !, ne vois pas tu que ton destin est divin et que cela faisant, tu restes à moitié de chemin ?![9]
François se convertit…devenu prêtre il chercha une gloire plus grande : la sainteté. Il fut et il est un grand héros : Saint François Xavier, missionnaire de l’Orient.
P. Silvio Moreno, IVE
Missionare en Tunisie
[1] Conférence donnée aux jeunes de la Cathédrale de Tunis, lors de la récollection annuelle en Décembre 2014.
[2] Cf. St. Thomas II-II, 129, 4, ad 2
[3] Alain, Mars ou la guerre jugée de l’héroïsme, Gallimard, 1936.
[4] Cf. Saint Basile Magne, Homélie Tempore famis et siccitatis, PG 31, 317.
[5] Cf. Saint Ignace de Loyola, Exercices Spirituels, n. 91
[6] Extrais de l’homélie pour la béatification du couple Martin, en France.
[7] Cf. Exercices Spirituels prêchés par Saint Albert Hurtado en Chili.
[8] Cf. Discours du pape Jean-Paul II aux jeunes des États-Unis d’Amérique, Kiel Center (Saint-Louis), 26 janvier 1999.
[9] Cf. Peman, Jose M. El divino impaciente.