Les ennemis de la maturité[1]
Je crois, fort bien, que c’est un bon signe de maturité humaine que de se reconnaitre envahi par des ennemis de la nature humaine et de la propre personnalité et que nous devons les combattre et les vaincre. Se croire parfait ou presque parfait est par contre un signe clair d’immaturité.
A l’époque de la révolution en Tunisie, un ami prêtre, en parlant justement de la situation que l’on vivait, me disait : «… et bien, mon fils, cependant les pires ennemis ne sont pas seulement ceux qui sont à l’extérieur, mais plutôt ceux qui sont à l’intérieur de chacun de nous ». En effet reconnaitre un ennemi n’est pas toujours une tâche facile, beaucoup plus s’il s’agit de chercher l’ennemi à l’intérieur de nous…
A ce propos, il existe une page dans la littérature chrétienne qui peut nous illuminer et nous aider à découvrir nos propres ennemis afin de réaliser en nous l’homme mature proposé par notre Seigneur. L’auteur de ces pages est le P. Benedict Groeschel, prêtre capucin américain. Dans un petit livre qui s’appelle « sorts des ténèbres » un chapitre est intitulé justement «nos pires ennemis».
Le P. Groeschel disait : « Si nous regardons à l’intérieur de nous, tu pourras découvrir que l’une des choses les plus importantes dans le processus de maturation, est justement de découvrir que la cause de beaucoup, sinon de la plupart de nos problèmes, vient de nous-mêmes. Lorsque les choses perdent du sens pour nous c’est parce que finalement nous ne leur avons pas donné un sens. Cela, peut-être, peut nous servir de consolation de savoir que cette expérience est commune à tout être vivant. Même les saints, ces personnes tellement particulières, ont eu à affronter pas mal de ces problèmes. Rares sont les personnes qui n’ont pas eu à se battre contre leurs propres ennemis intimes. Les saints, les pécheurs, les personnages bibliques et les célébrités modernes, on pourrait toutes les réunir sous un même étendard «enfonçons notre propre bateau ». Ce signe est le plus universel et caractéristique du péché originel, c’est pourquoi, en certains cas, il suffit d’être un peu pécheur pour devenir son pire ennemi. Mais, sans être un grand pécheur, tu peux être aussi un homme pieux et devenir « dévotement » ton pire ennemi. Tous, nous pouvons dire avec une certaine conviction que nous avons trouvé l’ennemi : nous-mêmes».
Après cette petite introduction je voudrais donc, en suivant le schéma proposé par le P. Groeschel vous proposer quelques exemples du comment nous pouvons nous détruire nous-mêmes.
La première manière a lieu lorsque nous nous arrêtons de marcher selon les critères de la foi et du bon sens. Il faut bien noter que la perte des critères de la foi et du bon sens est tellement importante qu’elle devient la «première manière» de nous autodétruire. Celui qui n’a pas de critères de foi manquera aussi du bon sens ; et qui n’a pas de bon sens ne pourra pas avoir de critères de foi. Nous appelons ce phénomène, suivant l’exemple proposé par le P. Groeschel, «Titanic». C’est justement l’exemple du Titanic qui peut nous aider à bien comprendre cette vérité. Le Titanic était un bateau qui n’avait pas beaucoup de canots de sauvetage et malgré cela il restait deux cents places vides lorsque le Titanic coule dans la mer. Pourquoi ? Malgré le trou de l’iceberg sur le navire beaucoup de gens disaient « ce navire, il est grand, il ne peut pas couler » et il est probable que ces gens, ou d’autres encore, aient pensé que quelques heures plus tard, une fois résolu le problème, ils auraient dû revenir sur le navire, humiliés et ridiculisés, pour avoir eu peur. Ils ont alors décidé de rester sur le bateau contre tout bon sens. Et oui, il est difficile pour nous de savoir ce que l’on doit faire. Nous pouvons prier très pieusement et commettre de grandes fautes. Il n’est pas facile d’être un homme responsable. La raison qui explique cette situation, on l’oublie souvent, est le péché originel.
La deuxième manière de couler notre propre bateau, dit cet auteur, est de nier le danger évident et de marcher volontairement vers lui. En psychologie nous parlons souvent de mécanisme de défense, de la façon inconsciente de déformer la réalité contre laquelle nous ne pouvons pas combattre ou nous ne voulons pas combattre. Il faut considérer, par exemple, le professionnel qui fume deux paquets par jour de cigarettes. Combien de fois on lui dit : «C’est dangereux pour ta santé». Et il répond : «Tu sais, Golda Meir, fumait par jour deux paquets et elle a vécu jusqu’à soixante-dix ans». Ce fumeur, ignore volontairement, le bataillon de personnes qui ont fumé deux paquets par jour et qui ne sont pas arrivés à cinquante ans. Un autre exemple : la crise de vocation dans le monde. Le P. Groeschel raconte avoir lu, au Etats Unis, un article d’un prêtre sur le problème vocationnel et les publicités vocationnelles. Il commence son article en disant qu’il existe un seul mot pour décrire le travail vocationnel actuel : «catastrophique». Toutes les congrégations qu’il avait visitées, vidées de vocations, lui disaient pourtant avoir la meilleure publicité vocationnelle. Voilà ce qui signifie nier la réalité. Le mécanisme de défense de la négation est l’une des formes les plus pernicieuses du comportement humain. Neville Chamberlain, premier ministre anglais, de retour en son pays après avoir rencontré Hitler disait: «Il y aura la paix en ces temps»… Il a nié ainsi la réalité évidente.
La troisième façon pour devenir nos propres ennemis c’est lorsque nous arrêtons de penser à la vie éternelle. Selon notre propos, un élément qui devient fondamental pour la maturité d’un chrétien c’est justement la pensée du ciel, de la vie éternelle. Lors de mon séjour à Ravenne, en Italie, en tant qu’aumônier de l’hôpital civil de la ville, j’ai constaté tristement que tous ceux qui pendant leur vie n’ont jamais cru au ciel, qui ont douté de l’existence d’un ciel, ou d’un enfer sont décédés, au moins visiblement, loin de trouver la clé pour ouvrir la porte du ciel… Dans ce sens-là ils ont été leurs propres ennemis. Le P. Groeschel dit que l’ «échec» de notre comportement humain par rapport au point final de notre vie (la vie éternelle) et par rapport à ce que Dieu a établi pour chacun d’entre nous, nous fait ressembler à ces « insensés » de l’évangile que Christ rejette de son royaume. Afin d’éviter une autodestruction il faudrait organiser notre vie en vue de l’éternité. Savoir vivre en face de l’éternité. Savoir regarder constamment l’éternité. Certes, il ne s’agit pas de se retirer dans des monastères ou des couvents, mais il s’agit bien de faire - peu importe ce que les autres diront - tout ce qui peut nous aider consciemment et volontairement à construire le salut de nos âmes. Notre Seigneur le dit clairement : «Que sert donc à l’homme de gagner le monde entier, s’il ruine sa propre vie» (Mc 8, 36). On peut donc dire que l’un des chemins les plus rapides pour nous autodétruire, pour retarder notre maturité humaine, sera le manque de structuration de notre vie en vue de l’éternité.
Un autre ennemi qui peut empêcher notre maturité et peut nous conduire à notre propre destruction est l’indulgence avec nous-mêmes par rapport à ce qui est interdit. Nous connaissons très bien des gens qui voudraient accomplir la volonté de Dieu et être comptés parmi des chrétiens engagés, mais… il y a toujours une excuse. Certainement nous sommes tous des pécheurs. Soit par fragilité, soit par la concupiscence, soit par le manque de forces ou par confusion, nous commettons des péchés. Nous pouvons, aussi, dans un moment de stupidité, vouloir commettre un péché très volontairement. Mais, rester continuellement, d’une façon consciente et libre, dans un état contraire à la loi de Dieu c’est ouvrir les portes à la ruine de notre vie. Il y a dans l’Évangile et dans les lettres de Saint Paul plusieurs admonitions afin de ne pas se laisser absorber par le monde… malheureusement les gens aujourd’hui ne veulent pas écouter cette vérité. Il est très dangereux pour un chrétien, de nier, d’aller contre, de changer ou modifier la loi de Dieu, sa Parole Divine, soit directement en disant «Dieu n’a pas voulu dire ainsi» ou bien indirectement, en interprétant la loi d’une façon légère et moins exigeante.
Se conformer à la mentalité de ce monde est le message contenu dans plusieurs medias aujourd’hui. Saint Paul dira aux Romains: «… et ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plait, ce qui est parfait» (Rm 12,1). Si il y a quelque chose d’évident dans le nouveau testament, c’est justement ce qui est dénoncé quand on s’engage avec le monde en trahissant Dieu et notre propre cause et en attirant sur nous les mauvaises conséquences qui viennent certainement de nous-mêmes et non pas de Dieu. Nous avons un rôle à jouer à l’égard du monde, et ce rôle, vous devez le jouer par vos bonnes œuvres ; c’est votre bonne conduite qui doit montrer aux hommes ce que vaut votre foi chrétienne. Sans ces bonnes œuvres, vous seriez comme du sel qui a perdu sa saveur. En positif, grâce à vos bonnes œuvres, vous serez comme une lampe placée sur le lampadaire, faisant briller aux yeux des hommes la lumière qui vous a été accordée par Dieu.
Le cinquième ennemi de notre maturité et de notre vie spirituelle, signale le P. Groeschel, ce sont les ressentiments et la rancune. Nous en avons déjà parlé pendant ces jours. Je laisse la parole au P. Groeschel : «Si tu veux vivre toujours avec des sentiments de rancune, tu seras dans une situation très dangereuse pour ta santé spirituelle ! Combien de gens passent la plus grande partie de leur vie à pleurer, se lamenter, être tristes, en devenant littéralement fous par des ressentiments envers les personnes qui leur ont fait du mal ? Oui, il faut le savoir, les gens peuvent nous faire du mal. Il y a des gens qui se rendront compte qu’ils nous ont fait du mal, mais il y en a d’autres que ça n’intéresse même pas de savoir qui ils ont blessé. Je crois que le slogan des chrétiens devrait être: «avançons ensemble, ne regardons pas en arrière !». Si notre Seigneur avait été l’un de ceux qui se préoccupe de ses sentiments blessés, aucun de nous n’aurait été sauvé. En toute miséricorde, Dieu n’a jamais voulu nourrir des sentiments de rancune envers l’humanité. Pour notre bien spirituel, comme psychologique, comme nous l’avons déjà dit plus haut, il faut savoir pardonner à ceux qui nous ont offensés».
Pour cela je considère comme très important de s’examiner sur notre capacité de pardonner, notre capacité intérieure de pardonner. Il faut être conscient qu’il n’y aura jamais guérison, paix, calme, équilibre psychologique dans une personne tant qu’elle ne sera pas capable de pardonner. Saint Jean Paul II, dans son livre «Identité et mémoire», disait que pardonner ne signifie pas oublier, mais plutôt purifier la mémoire en sublimant (leur donner une valeur positive) les faits douloureux, à la lumière de la Providence Divine. Certainement pardonner est un chemin de liberté, c’est sortir de la prison où notre âme était enchainée par la rancune et les ressentiments. Pardonner, c’est vaincre notre propre ennemi. Cela semble difficile et pourtant, pardonner, c’est, tout à fait une réalité possible.
Nous signalons finalement un dernier ennemi de notre maturité humaine et spirituelle. Faire des choses que nous savons positivement nous fonts mal. Encore le P. Groeschel : « En psychologie ce phénomène peut s’appeler «agression passive». Nous faisons ce que nous savons très bien qui nous fait du mal, et nous ne faisons pas ce qui est vraiment nécessaire pour notre santé physique, psychologique et spirituelle. Nous savons, par exemple, que si nous n’accomplissons pas ce que le médecin nous indique, nous ne guérissons pas ; nous savons que si nous ne sommes pas attentifs à ce que nous regardons en télévision, à ce que nous lisons dans les journaux, ou à ce que nous voyons sur internet, nous risquons de perdre la chasteté, la vocation pour les consacrés et le salut mental aussi ; nous savons que si nous ne conduisons pas une vie équilibrée nous finirons par nous taper la tête contre le mur ; nous savons que si nous ne prions pas quotidiennement nous ne pourrons pas avancer dans la vertu ; nous savons que si nous n’examinons pas notre conscience et n’avons pas un programme de vie spirituelle, on n’aura aucune trace de vie spirituelle. Nous savons tout cela, et cependant beaucoup d’entre nous font le contraire ».
Que pouvons-nous faire devant ces ennemis ? La première chose est évidemment de savoir nous reconnaitre nous-mêmes comme cause de nos propres ennemis. Si vous pensez que vous ne pourriez jamais devenir vos propres ennemis, vous vous tromperiez très facilement. Donc la première chose qu’il faut faire c’est reconnaitre ces ennemis qui sont en nous et savoir les remettre en place et les maitriser… Dieu est avec nous. Mais Il ne favorise jamais ces mauvaises inclinaisons. Notre Seigneur nous a dit : « aime ton prochain comme toi-même », ce qui signifie que tu ne peux pas te mépriser et t’autodétruire. Dieu est avec nous. Il n’abandonne jamais celui qui lui fait confiance. Il est toujours présent, même si parfois je crois faussement qu’il est, lui, le coupable de mes malheurs. Certes, nous ne pouvons pas espérer que Dieu nous aide lorsque nous travaillons à notre propre ruine, mais nous pouvons espérer en lui si nous reconnaissons notre faute. Il est notre Père, et nous devons nous confier à son infinie miséricorde…
[1] Ici je suivrai librement, en faisant des adaptations et commentaires, quelques idées du P. Benedict Groeschel, en «Arise from Darkness What to Do When Life Doesn't Make Sense », USA. December, 1995.