Dans la constitution dogmatique sur le mystère de l’Église (Lumen Gentium), le concile voit dans la condition conjugale et familiale un terrain spécialement favorable à la proclamation de l’évangile :
Le terrain d’exercice et l’école par excellence de l’apostolat des laïcs se trouvent dans la famille où la religion chrétienne pénètre toute l’organisation de la vie et la transforme chaque jour davantage. Là, les époux trouvent leur vocation propre : être l’un pour l’autre et pour leurs enfants témoins de la foi et de l’amour du Christ. La famille chrétienne proclame hautement à la fois les vertus actuelles du royaume de Dieu et l’espoir de la vie bienheureuse. Ainsi, par son exemple et par son témoignage, elle est la condamnation du monde pécheur et la lumière pour ceux qui cherchent la vérité » (LG n. 5)
La famille comme la meilleure école d’apostolat
Mais le concile voit dans la famille bien plus qu’un terrain favorable à l’évangélisation puisqu’il considère la famille comme étant la meilleure école d’apostolat. Cette éducation à l’apostolat passe par une vie commune, une éducation chrétienne dont sa valeur fondamentale est de « connaître l’amour de Dieu envers tous les hommes » :
La formation à l’apostolat doit commencer dès la première éducation des enfants, mais ce sont plus spécialement les adolescents et les jeunes qui doivent être initiés à l’apostolat et marqués de son esprit. Cette formation sera d’ailleurs à poursuivre tout au long de la vie en fonction des exigences posées par de nouvelles tâches. Il est donc clair qu’il revient à ceux qui ont la charge de l’éducation chrétienne de s’attacher à cette éducation apostolique. C’est aux parents qu’il incombe, au sein même de la famille, de préparer leurs enfants dès leur jeune âge à découvrir l’amour de Dieu envers tous les hommes ; ils leur apprendront peu à peu – et surtout par leur exemple – à avoir le souci des besoins de leur prochain, tant au plan matériel que spirituel. C’est la famille tout entière, dans sa communauté de vie, qui doit réaliser ainsi le premier apprentissage de l’apostolat. (AA n. 30)
A mon avis, l’originalité et la nouveauté de l’enseignement du concile n’est pas tant dans sa manière d’évoquer la mission de la famille chrétienne, mais plutôt dans sa manière de considérer le sacrement du mariage.
Le sacrement du mariage comme sacrement ecclésial
Le concile Vatican II parle du sacrement du mariage comme d’un sacrement ecclésial, c’est-à-dire un sacrement qui structure tout le peuple de Dieu.
Alors la famille chrétienne, parce qu’elle est issue d’un mariage, image et participation de l’Alliance d’amour qui unit le Christ et l’Eglise (Ep 5,32), manifestera à tous les hommes la présence vivante du Sauveur dans le monde et la véritable nature de l’Eglise, tant par l’amour des époux, leur fécondité généreuse, l’unité et la fidélité du foyer, que par la coopération amicale de tous ses membres (GS n. 48)
Cette dimension ecclésiale -mais aussi christologique-, concerne aussi bien les époux que la famille issue de ce mariage.
Dès lors, le concile nous invite à faire un pas de plus dans notre réflexion puisqu’il nous invite à considérer la vocation sacramentelle du mariage et de la famille comme finalement une vocation ecclésiale. Il faut savoir que le concile entend par « vocation ecclésiale » la participation au tria munera du Christ.
Certes il nous faut reconnaître que tout baptisé, au nom de son baptême, exerce une « vocation ecclésiale » :
[Tous ceux qui ont été] incorporés au Christ par le baptême, intégrés au peuple de Dieu, faits participants à leur manière de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, exercent pour leur part, dans l’Eglise et dans le monde, la mission qui est celle de tout le peuple chrétien. (LG n. 31)
On retrouve cette même idée dans le décret pour l’Apostolat des laïcs et d’autres paragraphes deLumen Gentium:
Tous les baptisés, greffés par le baptême au Corps mystique du Christ, affermis par la force de l’Esprit Saint par la confirmation, sont tous destinés par le Seigneur à l’apostolat. Ils obtiennent la consécration au sacerdoce royal et au peuple saint » (AA n. 3 ; LG n. 10 ; LG n. 30)
Toutefois, la réalité sacramentelle du mariage confère à l’état conjugal une mission ecclésiale spécifique. Par le sacrement du mariage, le Christ confie aux époux la mission d’être constitué à « l’image de son union avec l’Eglise » (GS 47 § 2). Autrement dit, les époux chrétiens participent du lien qui unit le Christ à son Eglise, qui unit la Tête à son corps. De cette manière, par leur amour, ils manifestent aux yeux du monde la véritable nature de l’Eglise :
La famille chrétienne […] est image et participation de l’alliance d’amour qui unit le Christ et l’Eglise, manifestera à tous les hommes la présence vivante du Sauveur dans le monde et la véritable nature de l’Eglise, tant par l’amour des époux, leur fécondité généreuse, l’unité et la fidélité du foyer, que par la coopération amicale de tous les membres. (LG n. 47 § 2)
Mais le concile va encore plus loin dans cette relation qui unit étroitement la famille chrétienne au mystère de l’Eglise. La constitution Lumen Gentium, reprise par la suite par le décret sur l’Apostolat des laïcs, considère la famille issue d’un mariage chrétien, non pas seulement comme une image de l’Eglise, mais bien comme une « sorte d’Eglise », « un sanctuaire de l’Eglise à la maison »[1] :
De leur union, en effet, procède la famille où naissent les membres nouveaux de la cité des hommes, dont la grâce de l’Esprit Saint fera par le baptême des fils de Dieu pour que le peuple de Dieu se perpétue tout au long des siècles. Il faut que par la parole et par l’exemple, danscette sorte d’Eglise qu’est le foyer (Ecclesia domestica), les parents soient pour leurs enfants les premiers hérauts de la foi (LG 11). Cette mission […] [la famille] la remplira si par la piété de ses membres et la prière faîte à Dieu en commun elle se présente comme un sanctuaire de l’Eglise à la maison. (AA n. 11)
En définitive, cette « Eglise domestique » qu’est la famille est une partie à part entière de l’Eglise. C’est pourquoi, il lui est confié à elle aussi, comme à toute le Peuple de Dieu, une tâche fondamentale : l’évangélisation !
Tout comme il a été envoyé par le Père, le Fils lui-même a envoyé ses apôtres en disant : ‘Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des temps’. Ce solennel commandement du Christ d’annoncer la vérité du salut, l’Eglise l’a reçu des apôtres pour en poursuivre l’accomplissement jusqu’aux extrémités de la terre. (LG n. 17)
C’est donc bien dans l’enseignement conciliaire que l’on définit la famille chrétienne comme une réalité ecclésiale à part entière, autrement dit une « Eglise domestique ». Toutefois, il revient à Paul VI de populariser cette vision de la famille comme Eglise domestique. Son intervention la plus marquante à ce sujet demeure son discours aux Equipes Notre-Dame le 4 mai 1970 [2] :
[La famille est une] réalité intérieure et spirituelle, elle transforme la communauté de vie des époux ‘en ce qu’on pourrait appeler, selon l’enseignement autorisé du Concile, l’Eglise domestique’, une véritable ‘cellule d’Eglise’, comme le disait déjà notre prédécesseur Jean XXIII.
C’est pourquoi dans la suite de son discours, le pape, évoque la mission du foyer chrétien qui consiste à être « le visage riant et doux de l’Eglise ». Cette mission le foyer chrétien l’accomplit par le devoir d’hospitalité. Ce thème de l’Eglise domestique et de l’action évangélisatrice de la famille sera repris avec force dans l’exhortation apostolique Evangelii Nuntiadi :
Au sein de l’apostolat évangélisateur des laïcs, il est impossible de ne pas souligner l’action évangélisatrice de la famille. Elle a bien mérité, aux différents moments de l’histoire, le beau nom d’ “Eglise domestique” sanctionné par le Concile Vatican II. Cela signifie, que, en chaque famille chrétienne, devraient se retrouver les divers aspects de l’Eglise entière. En outre, la famille, comme l’Eglise, se doit d’être un espace où l’Evangile est transmis et d’où l’Evangile rayonne. [3]
L’enseignement du concile Vatican II sur la famille Eglise domestique à permis l’élaboration d’une véritable théologie du mariage. Il permet ainsi de sortir sur l’insistance excessive mise depuis le concile Trente sur le mariage en tant que contrat. « L’enseignement conciliaire permet de redécouvrir la famille comme une réalité sacramentelle permanente grâce à laquelle la famille est sanctifiée et invitée à participer activement à la mission extérieure de l’Eglise, en particulier par le service et l’hospitalité [4] ».
[1] Il s’agit là des deux occurrences de l’expression « Eglise domestique ». On doit cette expression à Mgr Fiordelli (évêque italien). Bien que le concile ait retenu l’expression « domestica ecclesia », Mgr Fiordelli aurait préféré l’expression « minuscula ecclesia » ou « petite Eglise ». Cette préférence se fonde sur l’enseignement patristique, notamment celui St Chrysostome, qui, en plusieurs endroits associe la maison de famille avec la petite Eglise. Cf. M. Fahey, « La famille chrétienne, Eglise domestique à Vatican II », Concilium 260, 1995, 115-123.
[2] Paul VI, « Allocution aux Equipes Notre-Dame », in Documentation catholique, 1970, n° 1564, 504.
[3] Paul VI, Evangelii nuntiandi, n. 71.
[4] M. Fahey, op. cit., p. 122.
Source: http://www.evangelium-vitae.org/documents/3619/guetteurs-veilleurs/la-famille-dans-les-textes-du-concile-vatican-ii.htm