Une réflexion sur la valeur de la vertu de chasteté[1]
Il est vrai que les jeunes, les mariés et aussi les fiancés sont plus que jamais appelés à vivre la chasteté, l’amour pur. La vertu de chasteté est nécessaire à tout homme. Du point de vue chrétien, on doit éduquer tous les jeunes de la même manière, sans savoir s’ils vont se marier ou ne pas se marier, sans savoir s’ils vont être religieux ou non. L’éducation est commune, et cela est bon. Le problème c’est justement la mise en pratique de cette éducation. Donc ce n’est pas une vertu pour des gens particuliers, c’est une vertu pour tous. En fait, on ne va pas dire à un jeune de 15 ans : « Ne t’en fais pas, tu vas te marier ; après, tu pourras faire ce que tu veux ». Pas de tout ; on lui dira : « Courage, il faut lutter, il faut essayer de lutter contre ces passions ». Et en faisant cela, on lui dit : « Tu pourras ainsi aimer plus et aller plus loin dans l’amour ». Mais cela, on ne le dit pas assez. Parfois on dit simplement : « c’est péché ! », mais on n’explique rien, on n’enseigne pas comment éviter positivement le péché. C’est là justement la pédagogie de la vertu.
Cependant beaucoup disent ne pas avoir la force pour la vivre. Pire encore, d’autres, dont des membres de l’Eglise, comme par exemple le Cardinal Kasper, (promoteur de plusieurs théories erronées pour les familles en difficultés) pensent explicitement que la plupart des chrétiens qui se préparent au mariage ou qui vivent des situations matrimoniales difficiles (pensons par exemple aux divorcés remariés) ne sont pas capables de faire et de vivre ce que l’Eglise a toujours demandé (« l’héroïsme n’est pas fait pour le chrétien moyen » disent-ils), c’est-à-dire la continence et la vertu de la chasteté.
Quelques théologiens[2] ont eu le courage d’affirmer qu’il serait difficile d’exiger de la part des fiancés et des couples d’aujourd’hui, voir même des jeunes, la pratique de la vertu de chasteté, et une vie de pureté qui, sans un charisme particulier de l’Esprit, deviendrait téméraire.
Que dire alors de tous les textes du magistère de l’Eglise qui encouragent la pratique de la continence et de la chasteté : sont-ils téméraires ? Que dire aussi de toutes les familles partout dans le monde qui ont décidé d’être fidèles à ces enseignements évangéliques sans avoir forcement ce charisme particulier de l’Esprit ? Que dire de tous les jeunes qui cherchent à vivre l’amour pur ? Y-a-t-il un test afin de savoir si l’on a ou pas ce charisme pour ne pas pécher de témérité ? Que dire alors du récent discours du Pape François aux jeunes de Turin ? Je cite : « …Et maintenant je sais que vous êtes de bons jeunes, permettez-moi de vous parler franchement. Sans faire le moraliste, je voudrais dire un mot qui ne plaît pas, un mot impopulaire. Le pape aussi, parfois, doit prendre des risques pour dire la vérité. L’amour est dans les faits, dans la communication, mais il est très respectueux des personnes, il n’utilise pas les personnes, l’amour est chaste. A vous, jeunes de ce monde, un monde hédoniste, où seul le plaisir est plébiscité, où ne comptent que « vivre bien » et « faire la belle vie », je dis : soyez chastes, soyez chastes ! Nous avons tous traversé des moments où cette vertu était difficile à tenir, mais c’est le chemin à suivre pour aller vers un amour authentique, un amour qui sait donner la vie, qui n’essaie pas d’utiliser l’autre pour son plaisir. C’est un amour qui considère que la vie de l’autre est sacrée: je te respecte, je ne veux pas t’utiliser. Cela n’est pas facile. Nous savons tous combien il est difficile de surmonter cette conception « facile » et hédoniste de l’amour. Pardonnez-moi si je dis une chose à laquelle vous ne vous attendiez pas, mais je vous demande: faites l’effort de vivre un amour chaste ».
Malheureusement, l’un des problèmes qui est la base de situations difficiles au cours des fiançailles et du mariage est la « méfiance » sur la possibilité de vivre la vertu de chasteté. La mentalité désormais installée chez nos jeunes est celle de penser que c’est impossible, que cela n’a pas d’importance puisque tout le monde le fait. Peut-être est-ce pour cette raison que ladite vertu n’a pas eu sa place dans le dernier synode sur la famille.
C’est vraiment dommage de ne pas encourager les jeunes d’aujourd’hui et les jeunes couples à vivre la continence et la chasteté selon leur propre état de vie. Et cela dépend aussi de nous les prêtres qui parfois n’avons pas le courage d’en parler à haute voix. Il faut l’avouer : cette mentalité s’impose grâce aussi à notre silence.
Une bonne idée de la chasteté
Attention ! La première chose par laquelle il faut rassurer les jeunes c’est que la vertu de chasteté n’est pas une vertu super-spéciale, elle n’est pas non plus un luxe que l’on peut posséder, mais qui n’est pas strictement nécessaire. Bien au contraire, elle est une qualité qui soutient la fidélité de la personne et son équilibre humain et surnaturel. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique en a parlé clairement : « La chasteté comporte un apprentissage de la maîtrise de soi, qui est une pédagogie de la liberté humaine. L’alternative est claire : ou l’homme commande à ses passions et obtient la paix, ou il se laisse asservir par elles et devient malheureux (cf. Si 1, 22). « La dignité de l’homme exige de lui qu’il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d’une contrainte extérieure. L’homme parvient à cette dignité lorsque, se délivrant de toute servitude des passions, par le choix libre du bien, il marche vers sa destinée et prend soin de s’en procurer réellement les moyens par son ingéniosité » (GS 17). (CICat, n. 2339).
Donc la chasteté, comme la pudeur[3] qui est sa condition fondamentale, est une vertu nécessaire pour que la personne soit vraiment « libre », pour qu’elle ait la paix, pour conserver sa dignité et enfin pour ne pas devenir esclave de ses propres passions et caprices.
Le fait de ne pas prêcher aujourd’hui l’importance et la nécessité de cultiver cette vertu et de savoir s’efforcer afin d’y parvenir avec la grâce de Dieu, signifie abandonner les personnes à l’esclavage du sexe, des rapports sexuels pré-matrimoniaux, des relations adultérines, à la contraception, etc. Serait-ça la pastorale dont nous parlons tant aujourd’hui, c’est-à-dire l’office amoureux du pasteur qui guide et protège ses brebis ?
Le Christ appelle toutes les personnes selon leur propre état de vie, soit célibataire, soit mariée, soit séparée, à vivre la chasteté dans la joie, la générosité et la sincérité. Et il donne la grâce nécessaire pour vivre cette vertu. Dans les évangiles, Jésus proclame cet appel et cette promesse, mais avec un avertissement fort : ce qui est cause du péché doit être « arraché» et « jeté loin, car il est avantageux pour toi qu’un seul de tes membres périsse, et que ton corps entier n’aille pas dans la géhenne » (Mt 5, 27-32). En effet dans le Sermon sur la Montagne, la chasteté est l’âme et le cœur de l’enseignement de Jésus sur le mariage, le divorce et l’amour conjugal.
Notre Seigneur, lors de la prédication du sermon sur la montagne, avait pleinement confiance que tous ses auditeurs (en tout temps) auraient la force de vivre cet héroïsme. Autrement, pourquoi aurait-il prononcé de telles exigences, sachant que les gens ne pourraient les accomplir ?
Notre Seigneur, clairement, ne faisait pas confiance à la seul nature de l’homme, mais à sa grâce donnée à tous ceux qui veulent lui rester fidèle. Donc la continence, qui est une façon de vivre la chasteté, n’est pas seulement un charisme particulier de l’Esprit, mais une vertu à portée des mains pour tous ceux qui veulent vivre le vrai amour.
Certes, sans la grâce de Dieu, il est impossible d’accomplir la loi naturelle, vu notre état de nature blessée par le péché originel. Voilà pourquoi nous devons faire confiance à Dieu qui nous donnera les grâces nécessaires pour accomplir ce qu’il nous demande : « Demandes-tu la continence ?, écrivait Saint Augustin, donne-nous ce que tu demandes et commande ce que tu veux »[4]. Et le Concile de Trente complète cette phrase en disant : « Car Dieu ne commande pas des choses impossibles (1 Jn. 5. 3.) ; mais en commandant, il avertit de faire ce que l'on peut, de demander ce qu'on ne peut pas faire ; il aide, afin qu'on le puisse »[5].
Il n’est donc pas téméraire d’exiger la continence et la chasteté à ceux qui en sont obligés par leur propre situation de vie : pas seulement à ceux qui sont divorcés et remariés civilement, mais aussi aux prisonniers, aux célibataires, aux fiancés, à ceux qui sont en voyage à cause du travail, à ceux qui pour de raisons de santé ne peuvent pas se marier, aux religieux, etc. C’est une valeur, une élévation, une fidélité… pas une condamnation.
Le père Corneil Frabro disait qu’ont le devoir d’observer la chasteté parfaite les millions de personnes qui malgré leur désir, n’arrivent pas au mariage, même s’ils n’ont pas un charisme spécial pour ce renoncement. Cette règle est valide pour tous ceux qui ont des problèmes physiques… pour tous les veufs et veuves, les abandonnés et les séparés, qui ont souffert d’une interruption de leur joie matrimoniale. Ce devoir, continue le P. Fabro, est valide aussi pour les hommes mariés lorsque leurs femmes sont malades ou lorsqu’elles ne veulent pas avoir d’enfants et veulent utiliser contraceptifs. Enfin, il est valide aussi pour tous les prisonniers de guerre ou civils pendant les temps où ils seront séparés de leurs femmes. Certes, aucun d’eux n’affirment en avoir le charisme. De plus, en faisant référence aux prêtres qui demandaient l’abolition du célibat en s’appuyant sur la dureté de telle exigence ou de ne pas être doté d’un charisme particulier, le P. Fabro disait que le renoncement à l’amour sexuel n’est pas le sacrifice le plus grand que l’on puisse demander à un homme. On exige par exemple des médecins ou des policiers, qu’ils offrent leurs forces, mais aussi, en cas de nécessité, leur santé et leur vie… Ces exigences ne viennent pas de la loi humaine, mais des préceptes divins. Face à tels actes d’héroïsme, penser à abolir les exigences du sacerdoce catholique est vraiment honteux[6].
Il n’est pas difficile pour nous aujourd’hui de nous rendre compte que la culture actuelle ne soutient pas la chasteté comme possible, bien au contraire, elle la proclame dangereuse. Le monde pense que la chasteté est bonne si nous savons l’utiliser avec modération. Cependant nous savons, et nous le savons par la foi et par la sagesse des païens, que la chasteté est absolument nécessaire. Particulièrement la virginité pour les femmes. C’est pour cette raison que les peuples barbares violaient les femmes des ennemis, mais condamnaient à mort ceux qui touchaient leurs vierges, considérées comme sacrées. Et les romains de la décadence, qui divorçaient aussi souvent qu’ils changeaient de vêtement, exigeaient que ce soient les vierges vestales qui gardent le feu sacré et assurent ainsi l’existence même de l’empire.
Serait-ce à nous, les prêtres, évêques et cardinaux du siècle XXI, à penser que la chasteté est une vertu privilégiée pour un groupe select de chrétiens ?
Le Christ enseigne que la chasteté est possible, même dans les situations les plus difficiles, parce que la grâce de Dieu est plus forte que le péché. Et donc toute éducation morale et sexuelle doit partir de cette prémisse.
La chasteté pour tous[7]
En résumé de ce que nous venons de dire, les évêques de la conférence épiscopale du Canada proposent à leurs jeunes, leurs couples, et leurs prêtres et religieux les conseils suivants :
La chasteté pour les célibataires : « Pour les personnes qui ne sont pas mariées, la chasteté suppose l’abstinence, car selon le plan de Dieu, le sexe n’a sa place que dans le mariage. Quand deux personnes se fréquentent, la chasteté leur permet de se concentrer sur ce qui est vraiment important au lieu de «s’utiliser » l’une l’autre. Ensemble, elles peuvent découvrir ce que signifie l’amour authentique et apprendre à exprimer leurs sentiments avec maturité. La chasteté met en évidence l’amour mutuel des deux partenaires; elle leur fait dire : « je veux être patient et pur, je veux te respecter ». Cela revient à réserver exclusivement à son conjoint l’expression génitale de l’amour. Quand un couple n’est pas chaste, le sens qu’il donne à l’amour peut se réduire à la dimension physique de la relation, ce qui diminue l’aptitude des partenaires à évoluer vers le mariage et peut compromettre leur relation. Les personnes qui éprouvent de l’attraction pour d’autres du même sexe sont également appelées à la chasteté. Elles aussi peuvent grandir en sainteté chrétienne par la maîtrise de soi, la prière et la réception des sacrements ».
La chasteté pour les gens maries : « La sexualité devient vraiment humaine quand elle s’intègre à la relation totale d’une personne vers une autre, au don complet et réciproque que l’homme et la femme vivent pour la vie. « Seuls l’homme et la femme chastes sont capables d’un véritable amour », écrivait le pape Jean-Paul II. Cela signifie que les personnes mariées sont aussi appelées à être chastes dans leur amour l’une pour l’autre. Les gens mariés qui vivent chastement peuvent avoir une vie sexuelle épanouie. La chasteté aide l’homme et la femme à s’aimer l’un l’autre comme personnes au lieu de se traiter en objets de plaisir ou de satisfaction. Malgré ce que suggèrent Hollywood et les médias, la valeur de l’acte sexuel n’est pas un divertissement ou une gratification physique. Tout plaisir physique devrait tendre à l’expression suprême de l’amour entre l’époux et l’épouse, le don total de soi à l’autre. L’acte sexuel dans le mariage peut être si intime qu’il devient à la fois une expérience affective, intellectuelle, spirituelle et physique. Geste si profond qu’il renforce et complète le lien du mariage. C’est pourquoi l’acte sexuel doit avoir une double signification d’union et de procréation et c’est aussi pourquoi certaines formes d’activité sexuelle transgressent la chasteté, bien qu’il y ait plaisir : elles abusent de la sexualité et ne sont pas à la hauteur du dessein de Dieu ».
La chasteté consacrée et le célibat : « Dieu appelle dans l’Église des femmes et des hommes à une vie de chasteté consacrée en vue du Royaume de Dieu. Ce charisme suppose qu’on renonce au mariage et il vise à unir la personne plus directement à Dieu. Comme pour le Christ et sa Mère, la virginité consacrée est un don de Dieu « pour ceux à qui il a été donné » (Mt 19,11). De même, les prêtres de l’Église latine font une promesse de célibat avant d’être ordonnés diacres. Même les personnes appelées à une vie de virginité consacrée ou de célibat doivent toujours lutter pour être chastes dans leurs pensées, leurs attitudes et leurs actions. La chasteté veut créer un « espace » qui libère le cœur humain afin qu’il brûle d’amour pour Dieu et pour toute l’humanité. Cependant, si la décision de célibat est mal intégrée à l’ensemble de la vie personnelle, elle peut entraîner un repli sur soi. La vie consacrée et le célibat sont un « oui » à l’amour, que les personnes appelées doivent essayer de vivre avec enthousiasme ».
Si nous prétendons sonder le cœur à ce niveau, outre le fait de considérer tout d’abord quel est le jugement personnel que nous avons sur les désordres contre la chasteté (beaucoup ont des jugements erronés sur ce sujet), nous devrions aussi examiner nos dispositions pour pouvoir vivre sereinement cette vertu en nous posant les questions suivantes et surtout en sachant y répondre en toute vérité:
Dans le cas où il serait nécessaire d’éduquer le cœur, le travail à faire doit couvrir différents champs: cultiver le sens du péché, apprendre à dominer la fantaisie et les affections, purifier la mémoire et la fantaisie par la méditation, le travail intellectuel, etc.; mais aussi un travail physique sain et équilibré: bonne hygiène, sport, etc. Et surtout, de façon positive, il faut avoir un idéal noble, vivre la vie de la grâce, pratiquer la charité et le don de soi pour les autres.
[1] Je suivrai librement quelques idées du P. Miguel Fuentes, Salvar el matrimonio o hundir la civilización; aportes para el sínodo de la familias 2015, San Rafael, 2015, p. 92-98.
[2] Garrigues Jean-Miguel, O.P, “Chiesa di puri” o «Nassa composita”?, Intervista di Antonio Spadaro S.I., La Civiltà Cattolica, n. 3959, (junio 2015), 508.
[3] La pureté demande la pudeur. Celle-ci est une partie intégrante de la tempérance. La pudeur préserve l’intimité de la personne. Elle désigne le refus de dévoiler ce qui doit rester caché. Elle est ordonnée à la chasteté dont elle atteste la délicatesse. Elle guide les regards et les gestes conformes à la dignité des personnes et de leur union. C.E.C. 2521.
[4] San Agustín, Confesiones, X, 29, 40.
[5]Concilio de Trento, Decreto sobre la justificación, c. 11; DH 1536.
[6] Fabro, Cornelio, La aventura de la teología progresista, p. 290-291.
[7] Cf. Lettre pastorale aux jeunes sur la chasteté. Conférence épiscopale du Canada, 2000.