NOTE DU BLOG: Chers amis nous publions à continuation l'homelie du Pere Sergio Perez, IVE, curé de la Cathédrale de Tunis en ce 2ème dimanche du Synode Ordinaire des Evêques sur la famille, sur l'amour chretien chez les jeunes.
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Dimanche dernier, à l’occasion de l’ouverture du Synode des évêques sur la famille, l’évangile du jour nous introduisait à l’amour humain, à l’amour d’un homme et d’une femme qui décident de fonder une famille. L’évangile de Marc nous présentait Jésus en répondant aux questions de ses contemporains par rapport au sens véridique du mariage, en soulignant l’indissolubilité. Sa réponse, on disait, nous fournissait une base adéquate sur laquelle les chrétiens puissent s'appuyer afin de répondre à ceux dont les cœurs endurcis ont justifié l'ampliation de la définition du mariage aux couples homosexuels.
En reportant le mariage au plan originel de Dieu, Jésus soulignait quatre aspects pertinents pour lesquels seulement peuvent être unis par le mariage un homme et une femme:
1) «Au commencement, le Créateur les fit homme et femme …» (Mt 19,4). Jésus nous enseigne que, dans le plan divin, la masculinité et la féminité ont un sens important. L'ignorer équivaut à ignorer ce que nous sommes.
2) «Voilà pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme …» (Mt 19,5). Le plan de Dieu n'est pas que l'homme abandonne ses parents pour aller avec qui bon lui semble, mais bien avec une femme qui devient son épouse.
3) «A cause de cela, ils ne sont plus deux, mais un seul» (Mt 19,5). Cette union corporelle va au-delà de la courte union physique qui a lieu durant l'acte conjugal. Jésus fait allusion à l'union véridique qui arrive lorsqu'un homme et une femme, à travers de son amour, conçoivent une nouvelle vie qui est le mariage perpétuel ou union de leur corps. Il est évident qu'un homme avec un autre homme, ou qu'une femme avec une autre femme, ne peut pas se considérer un corps unique de cette façon.
4) «Donc, ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas» (Mt 19,6). Dieu Lui-même a uni au mariage l'homme et la femme, et dans la mesure où nous tenterons de séparer ce qu'Il a uni, nous le ferons de notre propre chef et au coût de la société.
Dimanche dernier, nous avons aussi annoncé que pendant les trois derniers dimanches d’octobre nous avions envisagé la bonne occasion pour redécouvrir les richesses de l’amour chrétien à trois niveaux: chez les jeunes, chez les époux et dans la famille. Nous commençons, donc, par l’amour chez les jeunes.
Les problèmes et les souffrances de la jeunesse nous sont bien connus, au moins à un plan général:
- une certaine instabilité inhérente à leur âge, augmentée par l’accélération des mutations de l’histoire,
- une certaine défiance à l’égard des certitudes, exacerbée par le savoir appris à l’école et l’ambiance fréquente de critique systématique,
- l’inquiétude de l’avenir et les difficultés d’insertion professionnelle,
- l’excitation et la surabondance des désirs dans une société qui fait du plaisir le but de la vie,
- les tentations de révolte, d’évasion ou de démission …
Tout cela nous le savons déjà au point d’en être saturés. Je préfère, donc, gagner aujourd’hui les hauteurs pour redécouvrir le sens d’une existence véritablement humaine parce que ouverte à Dieu.
1) Le jeune, en tant qu’être humain, est un être corporel. Cette affirmation toute simple est lourde de conséquences. Si matériel qu’il soit, le corps n’est pas un objet parmi d’autres objets (il n’est pas une chose); il est d’abord quelqu’un, en ce sens qu’il est une manifestation de la personne, un moyen de présence aux autres, un moyen d’expression et de communication. Autrement dit, le corps est une parole, un langage. Quelle merveille et quel risque en même temps!
En s’adressant aux jeunes français, le saint Pape Jean Paul II exhortait: «Chers jeunes, ayez un très grand respect de votre corps et du corps des autres! Que votre corps soit au service de votre «moi» profond! Que vos gestes, vos regards, soient toujours le reflet de votre âme! Adoration du corps? Jamais! Mépris du corps? Jamais! Maîtrise du corps? Oui! Transfiguration du corps? Plus encore! Il nous arrive souvent d’admirer cette merveilleuse transparence de l’âme chez beaucoup d’hommes et de femmes dans l’accomplissement quotidien de leurs tâches humaines. Pensons à l’étudiant ou au sportif qui mettent toutes leurs énergies physiques au service de leur idéal respectif. Pensons au papa et à la maman dont le visage penché sur leur enfant, respire si profondément les joies de la paternité et de la maternité. Pensons aux artistes (acteurs ou musiciens) identifiés à l’auteur qu’ils font revivre. Voyons le trappiste ou le chartreux, la carmélite ou la clarisse radicalement livrés à la contemplation et laissant transparaître Dieu»
Cette maîtrise est déterminante pour l’intégration de la sexualité à la vie de jeunes et d’adultes. Il est difficile de parler de la sexualité à l’époque actuelle, marquée par un défoulement qui n’est pas sans explication mais qui est, hélas, favorisé par une véritable exploitation de l’instinct sexuel …
Chers jeunes, l’union des corps a toujours été le langage le plus fort que deux êtres puissent se dire l’un à l’autre. Et c’est pourquoi un tel langage, qui touche au mystère sacré de l’homme et de la femme, exige qu’on n’accomplisse jamais les gestes de l’amour sans que les conditions d’une prise en charge totale et définitive de l’autre soient assurées, et que l’engagement en soit pris publiquement dans le mariage.
Prions le bon Dieu pour que les jeunes gardent ou retrouvent une saine vision des valeurs corporelles! Il faut contempler davantage le Christ, Rédempteur de l’homme! Il est le Verbe fait chair que tant d’artistes ont peint avec réalisme pour nous signifier clairement qu’il a tout assumé de la nature humaine, y compris la sexualité, en la sublimant dans la chasteté.
2) Mais l’homme et la femme ne se limite pas au corps. La donnée originale qui distingue fondamentalement l’être humain du monde animal et qui lui donne un pouvoir de maîtrise sur l’univers est l’esprit. Je ne résiste pas à citer l’incomparable écrivain français Pascal:
“L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ...; mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt; et de l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée ...; travaillons donc à bien penser”[1].
En parlant ainsi de l’esprit, on entend l’esprit comme la capacité de comprendre, de vouloir et d’aimer. C’est proprement par-là que l’homme est homme. Sauvegardons à tout prix en nous et autour de nous le domaine sacré de l’esprit! Vous savez que dans le monde contemporain, il existe encore, hélas, des systèmes totalitaires qui paralysent l’esprit, portent gravement atteinte à l’intégrité, à l’identité de l’homme, en le réduisant à l’état d’objet, de machine, en le privant de sa force de réaction intérieur, de ses élans de liberté et d’amour. Vous savez aussi qu’il existe des systèmes économiques qui, tout en se flattant de leur formidable expansion industrielle, accentuent en même temps la dégradation et la décomposition de l’homme.
Même les mass-média, qui devraient contribuer au développement intégral des hommes et à leur enrichissement réciproque dans une fraternité croissante, ne sont pas sans provoquer non plus un martèlement et même l’envoûtement des intelligences et des imaginations qui nuisent à la santé de l’esprit, du jugement et du cœur, qui déforment chez l’homme la capacité de discerner ce qui est sain de ce qui est malsain. Oui, à quoi bon des réformes sociales et politiques même très généreuses, si l’esprit, qui est aussi conscience, perd sa lucidité et sa vigueur? Pratiquement, dans ce monde tel qu’il est et que nous ne devons pas fuir, apprenons de plus en plus à réfléchir, à penser!
Chers jeunes, les études que vous faites doivent être un moment privilégié d’apprentissage à la vie de l’esprit. Il faut démasquer les slogans, les fausses valeurs, les mirages, les chemins sans issue! Je vous souhaite l’esprit d’intériorité. Chacun et chacune de vous, à son niveau, doit favoriser le primat de l’esprit et même contribuer` à remettre en honneur ce qui a valeur d’éternité plus encore que d’avenir. En vivant ainsi, croyants ou non-croyants, ils seront tout proches de Dieu, parce que Dieu est Esprit!
3) Mais l’être humain vaut aussi ce que vaut son cœur. Toute l’histoire de l’humanité est l’histoire du besoin d’aimer et d’être aimé. L’époque que nous vivons rend plus difficile l’épanouissement d’une saine affectivité. C’est sans doute pourquoi beaucoup de jeunes et de moins jeunes recherchent l’ambiance de petits groupes, afin d’échapper à l’anonymat et parfois à l’angoisse, afin de retrouver leur vocation profonde aux relations interpersonnelles.
Il importe en ce domaine, comme dans les précédents, de voir clair. Quel que soit l’usage qu’en font les humains, le cœur -symbole de l’amitié et de l’amour- a aussi ses normes, son éthique. Faire place au cœur dans la construction harmonieuse de la personnalité d’un jeune, n’a rien à voir avec la sensiblerie ni même la sentimentalité. Le cœur, c’est l’ouverture de tout l’être à l’existence des autres, la capacité de les deviner, de les comprendre. Une telle sensibilité, varie et profonde, rend vulnérable. C’est pourquoi certains sont tentés de s’en défaire en se durcissant.
Aimer, c’est donc essentiellement se donner aux autres. Loin d’être une inclination instinctive, l’amour est une décision consciente de la volonté d’aller vers les autres. Pour pouvoir aimer en vérité, il faut se détacher de bien des choses et surtout de soi, donner gratuitement, aimer jusqu’au bout. Cette dépossession de soi -œuvre de longue haleine- est épuisante et exaltante. Elle est source d’équilibre. Elle est le secret du bonheur.
Chers jeunes, levons plus souvent les yeux vers Jésus-Christ! Il est l’Homme qui a le plus aimé, et le plus consciemment, le plus volontairement, le plus gratuitement! Méditons le testament du Christ: “Il n’y a pas de plus grande preuve d’amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime”. Contemplons l’Homme-Dieu, l’homme au cœur transpercé! N’ayons pas peur! Jésus n’est pas venu condamner l’amour mais libérer l’amour de ses équivoques et de ses contrefaçons. C’est bien Lui qui a retourné le cœur de Zachée, de la Samaritaine, et qui opère aujourd’hui encore, par le monde entier, de semblables conversions. Il me semble que, ce jour, le Christ murmure à chacun et à chacune d’entre vous: “Donne-moi ton cœur! ... Je le purifierai, je le fortifierai, je l’orienterai vers tous ceux qui en ont besoin: vers ta propre famille, vers ta communauté scolaire ou universitaire, vers ton milieu social, vers les malaimés, vers les étrangers qui vivent sur le sol de la Tunisie, vers les habitants du monde entier qui n’ont pas de quoi vivre et se développer, vers les plus petits d’entre les hommes. L’amour exige le partage!”.
Cher jeunes, c’est l’heure plus que jamais de travailler la main dans la main à la civilisation de l’amour, selon l’expression chère au Bienheureux Paul VI. Une tâche vraiment enthousiasmante!
4) On a parlé des valeurs du corps, de l’esprit et du cœur. Mais en même temps on a laissé entrevoir une dimension essentielle sans laquelle l’homme retombe prisonnier de lui-même ou des autres: c’est l’ouverture à Dieu. Oui, sans Dieu, l’homme perd la clef lui-même, il perd la clef de son histoire. Car, depuis la création, il porte en lui la ressemblance de Dieu. Celle-ci, reste en lui à l’état de vœu implicite et de besoin inconscient, malgré le péché. Et l’homme est destiné à vivre avec Dieu. Là encore, le Christ va se révéler notre chemin. Mais ce mystère nous demande peut-être une attention plus grande.
Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, a vécu tout ce qui fait la valeur de notre nature humaine, corps, esprit et cœur, dans une relation aux autres pleinement libre, marquée du sceau de la vérité et remplie d’amour. Toute sa vie, autant que ses paroles, a manifesté cette liberté, cette vérité, cet amour, et spécialement le don volontaire de sa vie pour les hommes. Il a pu proclamer ainsi la charte d’un monde bienheureux, oui bienheureux, sur le chemin de la pauvreté, de la douceur, de la justice, de l’espérance, de la miséricorde, de la pureté, de la paix, de la fidélité jusque dans la persécution, et deux mille ans après, cette charte est inscrite au cœur de notre nature. Mais le Christ n’a pas seulement donné l’exemple et enseigné. Il a effectivement libéré des hommes et des femmes de ce qui tenait captif leur corps, leur esprit et leur cœur. Et depuis qu’Il est mort et ressuscité pour nous, Il continue à le faire, pour les hommes et les femmes de toute condition et de tout pays, du moment qu’ils lui donnent leur foi. Il est le Sauveur de l’homme. Il est le Rédempteur de l’homme. “Ecce homo”, disait Pilate, sans bien comprendre la portée de ses paroles: “Voilà l’homme”.
La vie terrestre du Christ a été brève, plus brève encore son activité publique. Mais sa vie est unique, sa personnalité est unique au monde. Il n’est pas seulement un frère pour nous, un ami ou un homme de Dieu. Nous reconnaissons en Lui le Fils unique de Dieu, Celui qui ne fait qu’un avec Dieu le Père et que le Père a donné au monde. Avec l’Apôtre Pierre, nous devons professer: “Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant”. Et c’est bien parce que le Christ partage à la fois la nature divine et notre nature humaine que l’offrande de sa vie nous atteint, nous les hommes d’aujourd’hui, pour nous sauver, nous purifier, et nous libérer et nous élever.
Au nom de l’amour que Christ porte pour tout homme et pout tout femme, je n’hésite pas, chers jeunes, à vous inviter: “Ouvrez toutes grandes vos portes au Christ!”. N’ayez pas peur! Faites-lui confiance. Risquez de le suivre. Cela demande évidemment que vous sortiez de vous-mêmes, de vos raisonnements, de votre “sagesse”, de votre indifférence, de votre suffisance, des habitudes non chrétiennes que vous avez prises peut-être. Oui, cela demande des renoncements, une conversion, qu’il vous faut d’abord oser désirer, demander dans la prière, et commencer à pratiquer.
Laissez le Christ être pour vous le Chemin, la Vérité et la Vie. Laissez-le être votre salut et votre bonheur. Laissez-le saisir votre vie tout entière pour qu’elle atteigne avec Lui toutes ses dimensions, pour que toutes vos relations, activités, sentiments, pensées soient intégrés en Lui, on pourrait dire christifiés. Je souhaite qu’avec le Christ vous reconnaissiez Dieu comme la source et la fin de votre existence.
Voilà les hommes et les femmes dont le monde a besoin. Vous aurez personnellement le bonheur promis dans les Béatitudes et vous serez, en toute humilité et respect des autres, et au milieu d’eux, le ferment dont parle l’Evangile. Vous bâtirez un monde nouveau; vous préparerez un avenir chrétien. C’est un chemin de croix, oui, mais c’est aussi un chemin de joie, car c’est un chemin d’espérance.
[1] Pascal, Pensées, n. 347.