Présentation de l’encyclique « Casti Connubi » de Pie XI.
Je voudrais commencer avec un très beau texte de Tertullien, écrit en l’an 200 à son épouse, qu’il appelle « compagne bien-aimée dans le service de notre Seigneur » dont il décrit la beauté du mariage : «Où trouver des paroles pour exprimer toute l'excellence et la félicité d'un mariage chrétien? L'Eglise en dresse le contrat, l'oblation divine le confirme, la bénédiction pastorale y met le sceau, les anges qui en sont témoins l'enregistrent, et le Père céleste le ratifie. Douce et sainte alliance que celle de deux fidèles portant le même joug, réunis dans une même espérance, dans un même vœu, dans une même discipline, dans une même dépendance! Tous deux, ils sont frères, tous deux serviteurs du même maître, tous deux confondus dans une même chair, ne forment qu'une seule chair, qu'un seul esprit. Ils prient ensemble, ils se prosternent ensemble, ils jeûnent ensemble, s'enseignant l'un l'autre, s'encourageant l'un l'autre, se supportant l'un l'autre. Vous les rencontrez de compagnie à l'église, de compagnie au banquet divin. Ils partagent également la pauvreté et l'abondance, la fureur des persécutions ou les rafraîchissements de la paix. Nuls secrets à se dérober, ni à se surprendre mutuellement; confiance inviolable, empressements réciproques; jamais d'ennui, jamais de dégoûts. Ils n'ont pas à se cacher l'un de l'autre pour visiter les malades, pour assister les indigents; leur aumône est sans disputes, leurs sacrifices sans scrupules, leurs saintes pratiques de tous les jours sans entraves. Chez eux point de signes de croix furtifs, point de timides félicitations, point de muettes actions de grâces. De leurs bouches, libres comme leurs cœurs, s'élancent les hymnes pieux et les saints cantiques. Leur unique rivalité, c'est à qui célébrera le mieux les louanges du Seigneur. Voilà les alliances qui réjouissent les yeux et les oreilles de Jésus-Christ, celles auxquelles il envoie sa paix. « Là où il se trouve deux Chrétiens, il se trouve lui-même; » là où il se trouve lui-même, l'ennemi de notre salut est absent »[1].
C’est cette idée de la beauté du mariage et de la famille et de sa protection qui anime le pape Pie XI pour écrire cette extraordinaire encyclique « Casti connubii ».
Présentation générale
Sa publication qui porte la date officielle du 31 décembre 1930, fut annoncée par Pie XI le 24 décembre lors d’un discours aux cardinaux et publiée dans la presse internationale les 8 et 9 janvier 1931.
A différence de celle de Paul VI, dans les années postérieurs, elle a rencontré un vaste écho et sa réception dans la presse, si l’on en juge par les impressions des contemporains, fut globalement positive. Par exemple, Mgr Alfred Baudrillart, recteur de l’Institut catholique de Paris, note dans ses carnets en date du 9 janvier : « (L’encyclique) est admirable et dénote une parfaite connaissance de toutes les erreurs modernes qu’elle réfute avec vigueur. Tous les journaux en parlent et la mentionnent avec faveur»[2]. Et le grand écrivain catholique anglais Gilbert K. Chesterton, alors en tournée littéraire aux Etats-Unis, déclare: «l’encyclique nous oblige carrément à affronter la question de savoir si le monde sera réellement plus heureux sous le règne de l’anarchie sexuelle préconisé par une minorité bruyante ou en vivant en conformité avec les lois prescrites par l’Eglise»[3].
Cette encyclique inaugurait à ce titre une série marquée par le discours aux sages-femmes de Pie XII du 29 octobre 1951, l’encyclique Humanae vitae du 25 juillet 1968 de Paul VI que nous allons présenter dans le chapitre dédié au mal de la contraception et l’encyclique Evangelium vitae du 25 mars 1995 de Jean-Paul II dont nous parlerons dans le chapitre sur l’avortement.
Cette doctrine a été importante pour motivations concrètes :
1. Le premier intérêt de l’encyclique tient au contexte de l’Eglise à cette époque : les rapports entre l’Eglise romaine et l’Eglise anglicane et leur façon différente d’affronter les problèmes de société. La raison immédiate de sa publication résidait en effet dans la récente prise de position de l’Eglise anglicane en faveur d’une autorisation limitée de la contraception.
2. Deuxième intérêt : l’encyclique a contribué à bien comprendre la pensée de l’Eglise catholique sur la contraception. En effet, on sait que la valeur de Casti connubii a été d’un grand poids dans la décision de Paul VI de maintenir les positions antérieures au lendemain du concile Vatican II (1962-1965), tant en raison de la clarté et de la fermeté de la doctrine exposée par Pie XI, tant pour sa valeur magistérielle.
3. Troisième intérêt, même si la chose est moins connue: le rôle de l’encyclique dans la naissance et le développement, principalement dans les années d’après-guerre, du courant dit de la «spiritualité conjugale et familiale». On oublie parfois en effet que Casti connubii n’avait pas pour seul objectif de condamner la contraception. L’encyclique exposait de manière approfondie la doctrine du mariage chrétien avec certains éléments importants comme par exemple l’idée que l’amour était la cause première du mariage[4].
Doctrine catholique sur le mariage
Pour notre intérêt nous allons présenter ici seulement la partie positive de cette encyclique : la valeur du mariage chrétien.
1. Principe et fondement : - Avant tout le pape affirme la volonté divine dans le mariage : « le mariage n'a pas été institué ni restauré par les hommes, mais par Dieu ; ce n'est point par les hommes, mais par l'auteur même de la nature et par le restaurateur de la nature, le Christ Notre-Seigneur, que le mariage a été muni de ses lois, confirmé, élevé ; par suite, ces lois ne sauraient dépendre en rien des volontés humaines, ni d'aucune convention contraire des époux eux-mêmes ».
- En même temps il affirme aussi la volonté humaine : « la volonté humaine y a cependant sa part, qui est très noble : car chaque mariage particulier, en tant qu'il constitue l'union conjugale entre un homme et une femme déterminés, n'a d'autre origine que le libre consentement de chacun des deux époux ; cet acte libre de volonté, par lequel chacune des deux parties livre et reçoit le droit propre du mariage, est si nécessaire pour réaliser un mariage véritable ».
Il remarque les effets de l’union conjugale : «L'union conjugale rapproche donc tout dans un accord intime, les âmes plus étroitement que les corps ; ce n'est point un attrait sensible ni une inclination passagère des cœurs qui la détermine, mais une décision, délibérée et ferme des volontés : et cette conjonction des esprits, en vertu du décret divin, produit un lien sacré et inviolable ».
Le mariage réalité naturelle : «Aucune loi humaine ne saurait ôter à l'homme le droit naturel et primordial du mariage, ou limiter d'une façon quelconque ce qui est la fin principale de l'union conjugal établie dès le commencement par l'autorité de Dieu : Crescite et multiplicamini ».
2. Les biens du mariage. Le pape site le grand docteur Saint Augustin : « Voilà tous les biens qui font que le mariage est bon : les enfants, la foi conjugale, le sacrement ». Et puis il explique toujours en suivant la pensée du Saint docteur : « Par la foi conjugale, on a en vue cette obligation qu'ont les époux de s'abstenir de tout rapport sexuel en dehors du lien conjugal ; dans les enfants, on a en vue le devoir, pour les époux, de les accueillir avec amour, de les nourrir avec sollicitude, de les élever religieusement dans le sacrement, enfin, on a en vue le devoir, qui s'impose aux époux, de ne pas rompre la vie commune, et l'interdiction, pour celui ou celle qui se sépare, de s'engager dans une autre union, fût-ce à raison des enfants. Telle est la loi du mariage où la fécondité de la nature trouve sa gloire, et le dévergondage de l'incontinence, son frein».
Les enfants
La procréation : «…les enfants, nés par l'action toute-puissante de Dieu, avec la coopération des époux, sont tout ensemble un don de la divine bonté et un précieux fruit du mariage. Les parents chrétiens doivent comprendre en outre qu'ils ne sont pas seulement appelés à propager et à conserver le genre humain sur la terre, qu'ils ne sont même pas destinés à former des adorateurs quelconques du vrai Dieu, mais à donner des fils à l'Église, à procréer des concitoyens des saints et des familiers de Dieu, afin que le peuple attaché au culte de Dieu et de notre Sauveur grandisse de jour en jour.
L’éducation : « Le bien de l'enfant ne se termine pas, à coup sûr, au bienfait de la procréation ; il faut qu'il s'y en adjoigne un autre, contenu dans la bonne éducation de l'enfant.... à la vie naturelle… à la vie surnaturelle…(et) conformément aux exigences de la nature et à l'ordre divin, ce droit et cette tâche reviennent tout d'abord à ceux qui ont commencé par la génération l'œuvre de la nature et auxquels il est absolument interdit de laisser inachevée l'œuvre entreprise et d'exposer ainsi l'enfant à une perte certaine ».
La foi conjugale : cette foi conjugale, qui se traduit par fidélité conjugale, indique le pape Pie XI doit consister en une absolue unité conjugale et charité conjugale : « Car la fidélité conjugale requiert que l'homme et la femme soient unis par un amour particulier, par un saint et pur amour ; ils ne doivent pas s'aimer à la façon des adultères, mais comme le Christ a aimé l'Eglise: c'est cette règle que l'apôtre a prescrite quand il a dit : « Epoux, aimez vos épouses comme le Christ a aimé son Eglise »; et le Christ a assurément enveloppé son Eglise d'une immense charité, non pour son avantage personnel, mais en se proposant uniquement l’utilité de son épouse ». Et conclu ce point en disant : « Le bien de la fidélité conjugale comprend donc : l'unité, la chasteté, une digne et noble obéissance ; autant de vocables qui formulent les bienfaits de l'union conjugale, qui ont pour effet de garantir et de promouvoir la paix, la dignité et le bonheur du mariage. Aussi n'est-il pas étonnant que cette fidélité ait toujours été rangée parmi les biens excellents et propres du mariage ».
Le sacrement du mariage : Ici le pape fait deux considérations: l’indissolubilité du mariage et les graces du sacrement.
Le mariage est indissoluble. Le pape à partir de la phrase « Que l’homme ne sépare ce que Dieu a uni » prononcée par Jésus-Christ, explique que « si nous voulons scruter avec respect la raison intime de cette divine volonté, nous la trouverons facilement, dans la signification mystique du mariage chrétien, qui se vérifie pleinement et parfaitement dans le mariage consommé entre fidèles. Au témoignage, en effet, de l'Apôtre, dans son Epître aux Ephésiens… le mariage des chrétiens reproduit la très parfaite union qui règne entre le Christ et l'Eglise: « Ce sacrement est grand, je vous le dis, dans le Christ et dans l'Eglise». Cette union, aussi longtemps que le Christ vivra, et que l'Eglise vivra par lui, ne pourra jamais être dissoute par aucune séparation. Enseignement que saint Augustin nous donne formellement en ces termes : « C'est ce qui se passe dans l'union du Christ avec son Eglise: éternellement vivants l'un et l'autre, aucun divorce ne pourra jamais les séparer. La considération de ce sacrement est si grande dans la cité de notre Dieu, c'est-à-dire dans l'Eglise du Christ, que lorsque des fidèles ont contracté mariage, dans le but d'avoir des enfants, il n'est plus permis de laisser la femme, même stérile, pour en épouser une autre féconde. Que si quelqu'un le fait, il ne sera pas condamné sans doute par la loi de ce siècle… mais, suivant la loi de l'Evangile, celui qui se comporte de la sorte est coupable d'adultère, comme sa femme le sera aussi si elle en épouse un autre».
Fruits de l’indissolubilité :
Les grâces du sacrement. « En élevant le mariage de ses fidèles à la dignité d'un vrai et réel sacrement de la loi nouvelle, Notre-Seigneur, « qui a institué et parfait les sacrements », a fait très effectivement du mariage le signe et la source de cette grâce intérieure spéciale, destinée à « perfectionner l'amour naturel, à confirmer l'indissoluble unité, et à sanctifier les époux ».
- « ce sacrement, en ceux qui n'y opposent pas d'obstacle, n'augmente pas seulement la grâce sanctifiante, principe permanent de vie surnaturelle, mais il y ajoute encore des dons particuliers, de bons mouvements, des germes de grâces »
- « il élève ainsi et il perfectionne les forces naturelles, afin que les époux puissent non seulement comprendre par la raison, mais goûter intimement et tenir fermement, vouloir efficacement et accomplir en pratique ce qui se rapporte à l'état conjugal, à ses fins et à ses devoirs ».
- « il leur concède enfin le droit au secours actuel de la grâce, chaque fois qu'ils en ont besoin pour remplir les obligations de cet état ».
Conclusion à cette première partie. Le pape conclue cette première partie en disant : « Si l'on considère toutes ces choses, Vénérables Frères, avec un esprit attentif et une foi vive, si l'on met dans la lumière qui convient les biens précieux du mariage — les enfants, la foi conjugale, le sacrement, — personne ne pourra manquer d'admirer la sagesse et la sainteté, et la bonté divines, qui, dans la seule chaste et sainte union du pacte nuptial, a pourvu si abondamment, en même temps qu'à la dignité et au bonheur des époux, à la conservation et à la propagation du genre humain.
Conclusion générale sur l’encyclique : Casti connubii comme nous l’avons pu noter dans sa première partie, est une des grandes encycliques de Pie XI, même si elle est bien oubliée aujourd’hui. Pour cela cette présentation veut inciter chez les jeunes un désir de lecture et étude. Pourquoi ? D’abord parce que la réception publique du texte a été globalement positive, même s’il a aussi suscité des débats. Ensuite parce que l’encyclique ne se réduisait pas au problème de la contraception comme quelques-uns l’ont fait croire. Non seulement elle comportait un expose détaillé de la doctrine du mariage chrétien que nous avons présenté ici, mais Pie XI s’y prononçait aussi sur d’autres questions, pas moins décisives dans le contexte de l’époque et pour l’avenir de l’Eglise, comme l’avortement thérapeutique, la stérilisation des déficients mentaux et l’eugénisme, toutes choses qui ont été étudiés et approfondies postérieurement par les autres pontifes notamment Paul VI avec l’ « Humanae Vitae » et Jean Paul II avec l’ « Evangelium Vitae » et la « Familiaris consortio ».
[1] Cf. Tertullien, PL 1, 1273.
[2] Alfred Baudrillart, Les carnets du cardinal Alfred Baudrillart, 26 décembre
1928-12 février 1932, Paris, 2003, p. 720.
[3] Cité dans The Old Morality and the Modern, dans Literary digest (24 janvier
1931).
[4] Cf. Guillaume Cuchet, Quelques données concernant l’encyclique « Casti Connubi » in www.academie.edu