L'APOCALYPSE, LA MARQUE DE L'AGNEAU ET LES JEUNES CHRETIENS

https://i1.wp.com/zaherkammoun.com/wp-content/uploads/2016/12/Mus%C3%A9e-Bardo-4-4.jpgPour les chrétiens des premiers siècles (avant, pendant et après les persécutions) le culte des morts dans la foi, est fondateur d’une très forte spiritualité chrétienne : ce sont les marqués par le sceau de l’Agneau. La conviction était claire : les fidèles qui sont morts « dans le Seigneur » sont auprès de Dieu ; on reste en communion avec eux ; leurs corps sont embaumés et confiés à la sépulture. On garde leur souvenir, leurs noms sont écrits auprès de Dieu. On emploie l’encens à leur sépulture. On prie pour les morts. On offre la Messe à l’anniversaire de leur mort. «Ceux qui sont indignes sont privés de ces prières et leur nom même n’est pas prononcé dans la prière du prêtre à l’autel»[1]. La tradition de cette époque disait qu’il ne faut pas pleurer les morts qui meurent dans le Seigneur, ni prendre des vêtements noirs, car dans le ciel ils sont revêtus des ornements blancs, «ils vivent auprès de Dieu» dira Saint Cyprien. Mais ce qui est le plus étonnant c’est que sur leurs tombes (enfants, jeunes ou adultes) on voit presque toujours (au moins ceux d’Afrique du Nord que je connais bien) au niveau de la tête de l’épitaphe une sorte d’indentification personnelle, un timbre qui les identifient comme chrétiens : le monogramme du Christ, l’Agneau immolé, entouré de la couronne de gloire. Ainsi donc en voyant ces épitaphes et ces marques on reconnaissait tout de suite un chrétien parce que marqué sur son front (la tête) par le « sceau de l’Agneau ».

Cela me fait penser au fait que cette tradition, peut-être, est-elle inspirée d’un très beau texte de l’apôtre saint Jean dans son Apocalypse et que nous allons commenter et méditer maintenant :    

Alors j’ai vu : et voici que l’Agneau se tenait debout sur la montagne de Sion, et avec lui les cent quarante-quatre mille qui portent, inscrits sur leur front, le nom de l’Agneau et celui de son Père. […] Ils chantent un cantique nouveau devant le Trône, et devant les quatre Vivants et les Anciens. Personne ne pouvait apprendre ce cantique sinon les cent quarante-quatre mille, ceux qui ont été rachetés et retirés de la terre. Ceux-là ne se sont pas souillés avec des femmes ; ils sont vierges, en effet. Ceux-là suivent l’Agneau partout où il va ; ils ont été pris d’entre les hommes, achetés comme prémices pour Dieu et pour l’Agneau. Dans leur bouche, on n’a pas trouvé de mensonge ; ils sont sans tache (Ap. 14, 1-5) [2].

La montagne de Sion : il s’agit d’une vision de la Jérusalem- Sion comme cité de Dieu, de paix, trône de l’agneau et ville des serviteurs de l’Agneau. La méditation des deux étendards de saint Ignace peut être est-elle aussi inspirée de ce passage : « Méditation de deux étendards, l’un de Jésus-Christ, notre chef souverain et notre Seigneur ; l’autre de Lucifer, ennemi mortel de la nature humaine ».

Dans l’Apocalypse le numéro 144.000 indique seulement perfection et nullement délimitation, c’est-à-dire qu’il n’y a pas que 144.000 qui suivront l’Agneau de Dieu, mais il peut y en avoir beaucoup plus. Mais la caractéristique de ce passage principalement c’est la marque de l’Agneau et celui de son Père sur leur front. C’est la marque de ceux qui ont combattu le bon combat de la foi et reçu la couronne de gloire qui ne se flétrit pas. Barclay signale que le fait de porter une marque dans l’antiquité signifie 5 possibles choses : propriété privée (esclaves) ; loyauté (les soldats vers leur général) ; sécurité ; dépendance ; immunité (une protection particulière et personne pouvait les toucher). Toutes ces caractéristiques se présentent dans la marque de l’Agneau que les chrétiens portent sur leur front.

Il faut bien remarquer qu’il ne s’agit pas des saints qui sont déjà au ciel, au contraire, ce sont les fidèles, marqués par le sceau indélébile du baptême, qui jour après jour se maintient ferme à la suite de Jésus-Christ, leur agneau, en traversant les persécutions de ce monde, les désolations, les discriminations, les tentations, les calomnies, les séductions, la corruption, la violation de la conscience et de la pureté.

Selon cette vision de saint Jean, ces chrétiens rachetés par le sceau et par le sang de l’Agneau et qui chantent un cantique nouveau, ont cinq caractéristiques et puisque nous aussi nous sommes marqués par l’Agneau grâce à notre baptême et à notre fidélité, ces caractéristiques doivent faire forcement partie de notre vie :  

1. Première : « ne se sont pas souillés avec des femmes ; ils sont vierges ». Cette expression ne signifie pas exclusivement chasteté virginale (le type de chasteté propre aux religieux, ou consacrées) mais plutôt manque de souillure idolâtrique : ils sont vierges parce qu’ils n’ont pas adoré la Bête de l’apocalypse (le démon), ils ne sont pas tombés dans l’impureté physique d’une part et d’autre part dans l’impureté du cœur en servant en quelque sorte Dieu et le démon au même temps. Ils ne sont pas corrompus religieusement parlant : leur fois n’est pas impure.

2. Deuxièmement : « Ceux-là suivent l’Agneau partout où il va ». C’est-à-dire ils ne refusent pas de suivre toujours l’Agneau par le chemin douloureux de la croix. Suivre le Agneau signifie prendre sa croix sur nos épaules et l’accompagner courageusement dans le chemin de la souffrance et du témoignage chrétien y compris le témoignage martyrial s’il le faut. Une lettre des églises de Lyon et Vienne en France, aux années 177, citée par saint Eusèbe, dit d’un martyr : « Il est et fut un véritable disciple du Christ, qui suivit l’Agneau partout où il va ».

3. Troisième : « ils ont été pris d’entre les hommes, achetés comme prémices pour Dieu et pour l’Agneau ». Tout d’abord pris d’entre les hommes. Ils ne sont pas des « supermen » ou faite d’une nature différente des autres. Ce sont des hommes de chair et os, de nature fragile et qui n’ont rien d’extraordinaire. Ils ont rachetés par le sang de l’Agneau : notons la valeur du sang du Christ. C’est le sang du Christ qui lave, qui donne la pureté et la fidélité dans les épreuves et la persécution. En effet ces chrétiens se sont laissé conquérir par Dieu à travers le sang de l’Agneau.

4. Quatrième : « Dans leur bouche, on n’a pas trouvé de mensonge ». Dans la bible le mensonge est un péché très grave. Affirme le Psaume 32, 2 : Heureux l’homme à qui l’Éternel n’impute pas d’iniquité, et dans l’esprit duquel il n’y a point de fraude !  Et le Prophète Isaïe disait du serviteur du Seigneur : on ne trouvait pas de tromperie dans sa bouche (Is 53, 9). Saint Pierre donne cette caractéristique à Jésus : Lui n’a pas commis de péché ; dans sa bouche, on n’a pas trouvé de mensonge (1 P. 2, 22). Les caricatures de la personne, le masque, le manque de transparence, la tromperie sont complètement contraire à la transparence du cœur du Christ et de ceux qui lui appartient. C’est une belle caractéristique et compliment de la part de Dieu contre ceux qui croient que dire toujours la vérité est impossible ou bien qu’il faut utiliser un langage politiquement correct (langage menteur). Etre prudent ou bien diplomatique lorsqu’il faut dire certaines choses ne veut pas dire qu’il faut « adultérer » la vérité, « mentir », la « diminuer » ou la « cacher ». L’esprit des soldats du Christ est marqué par l’amour de la vérité à n’importe quel prix, pour eux il n’y a pas de langage politiquement correct.

5. Finalement : « ils sont sans tache ». La parole grec « amomos » appartient au langage des sacrifices et décrit l’animal qui n’a pas de défauts ou de tache et qui peut donc être sacrifié dignement à Dieu. Le N.T. l’utilise très fréquemment pour l’appliquer aux chrétiens : Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour (Eph 1, 4). Le fait que cette parole fasse partie du langage sacrificiel probablement indique la façon dont les partisans de l’Agneau participeront à sa conquête : par leur propre sacrifice et immolation.

 

P. Silvio Moreno, IVE

 

 

[1] Saint Cyprien, lettre LXVI.

[2] Nous suivons l’idée développée dans le Commentaire de l’Apocalypse du P. Miguel Fuentes, IVE, San Rafael, 2016, p. 235-240.

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