Première intuition : vivre l’humiliation personnelle et l’épreuve avec un esprit de foi, un esprit d’abandon en Dieu et un esprit de réparation pour nos péchés. C’est une grâce qu’il faut la demander tous les jours. Au printemps de 1878, le P. Chevrier connait une grande épreuve. Le Père Jaricot, son compagnon depuis neuf ans, abandonne le Prado pour se retirer à la Trappe d’Aiguebelle. Les quatre jeunes prêtres ordonnés à Rome l’année précédente prennent peur et songent à leur tour à quitter le Prado. Quant au P. Chrevrier, déjà bien malade, il sent que ses jours sont désormais comptés. Le 5 avril 1878, il écrit au P. Jaricot la lettre suivante.
« Votre exemple produit des effets admirables ! L’abbé Duret, depuis plusieurs jours, me dit qu’il n’est pas capable de faire le catéchisme, qu’il faut faire son salut avant tout, qu’un homme n’est pas nécessaire à une ouvre aussi belle, que Dieu saura bien le remplacer, que Dieu ne m’abandonnera pas, qu’il sent le besoin de retraite et de travailler, qu’il faut qu’il aille à la Grande-Chartreuse ; qu’il aurait mieux fait de rester frère et de se dévouer à l’œuvre sans prendre la responsabilité du prêtre, que cette responsabilité lui fait peur et qu’il a peur du jugement de Dieu ; que, quand il aura passé quelques années à la Grande-Chartreuse, il reviendra plus fort et plus sûr de sa vocation ; que pourtant la vocation du Prado est bien belle, qu’il n’en choisira pas d’autre, mais qu’il faut qu’il s’en aille… L’abbé Farissier a toujours l’envie d’être missionnaire et laisse, de temps en temps, percer son envie d’aller en Chine. L’abbé Broche préfère bien Limonest au Prado et restera, je pense, avec M. Jaillet. L’abbé Delorme n’a pas de santé et ne pourra faire seul, malgré son courage ; il aurait besoin de passer quelques mois à la campagne et le départ de ses compagnons ne l’encouragera guère. Si la chose réussit ainsi, je prierai messieurs les latinistes d’aller au séminaire et je ne pourrai reprendre des enfants pour la première communion. Je ne me sens ni la santé ni le courage de faire maintenant comme autrefois. Le bon Dieu m’avait donné des aides, de bons coadjuteurs, il me les reprend : que son saint nom soit bénit ! Le bon Dieu me prouve d’une manière évidente qu’il n’a besoin de personne pour faire son œuvre. Vous dites tous que le bon Dieu n’a besoin de personne, qu’il fera bien sans nous, c’est évident ; je pense qu’après nous le bon Dieu en enverra d’autres qui feront mieux que nous ; c’est ma seule consolation et ma seule espérance, car j’éprouverais tout de même une certaine peine de voir le Prado désert et sans enfants, lorsque, pendant dix-huit ans, il a été le lieu de tant de sueurs et de travaux et de conversions. Allez-vous-en tous prier et faire pénitence dans le cloitre. Je regrette de ne pouvoir y aller moi-même, car j’en ai bien plus besoin que vous, étant plus âgé et par conséquent ayant beaucoup plus de péchés que vous. Mais, si je n’y vais pas, j’irai peut-être à Saint-Fons, et j’aurai la consolation d’avoir fait des trappistes et des chartreux et des missionnaires, si je n’ai pas réussi à faire des catéchistes, quoique, ce me semble, ce doive être aujourd’hui le besoin de l’époque et de l’Eglise. A Dieu, mon cher ami, priez pour nous et pour moi surtout qui pensais avoir fait quelque chose, une œuvre, et je vois que ne j’ai rien fait. Puisse cette humiliation m’instruire et expier tous mes péchés d’orgueil et autres péchés de ma vie. Votre frère en Jésus-Christ délaissé sur sa croix. Antoine Chevrier ».
Deuxième intuition : Dans les moments d’épreuve surtout, le P. Chevrier savait conduire ceux et celles qui se confiait à lui, sur le chemin du dépouillement complet pour une appartenance totale à Christ. Il insistait à se laisser tailler par le Christ. Le P. Chevrier écrit :
« Chère enfant, vous êtes mille fois plus agréable à Jésus dans ces jours de tribulation et d’épreuve que vous ne l’avez été autrefois dans tous vos moments de joie et de bonheur. Consolez-vous, Jésus accomplit vos désirs, vous avez désiré être toute à lui ; il se charge lui-même d’effectuer vos désirs. La pauvre nature se révolte, il est vrai ; il est si dur de se quitter tout entier, mais il le fait et vous ne serez jamais à lui tant qu’il ne vous aura pas détachée de tout sur la terre. Vous avez combien le naturel agit chez vous ; eh bien ! pour le détruire, il faut du temps, il faut bien des coups de marteau ; laissez-les donner à Jésus, il se charge de tout. Voyez comme il a bien commencé et comme c’est un bon ouvrier ! Allez, laissez-le faire, il taillera bien et enlèvera tout ce qu’il y a de trop en vous. Acceptez tout avec soumission ; vos souffrances me font peine, mais je ne puis pas m’empêcher de remercier le bon Dieu de si bien faire son ouvrage et je demande pour vous qu’il vous accorde la grâce de le comprendre et de ne pas vous opposer à l’œuvre de Dieu en vous ». (Lettre à Mme Franchet, 1866).
C’est en quelque sorte ce que le Seigneur disait à Sainte Catherine, lorsque elle se plaignait un jour à Jésus de la croix pesante qu’il lui faisait porter : « Que j’aime à te voir sous le poids de la croix, tu me glorifies plus dans un moment de souffrance avec moi que par plusieurs années de joie et de consolation ».
P. Silvio Moreno, IVE