LA DEDICACE DE LA CATHEDRALE DE LATRAN

LA DEDICACE DE LA CATHEDRALE DE LATRAN
  1. LA DEDICACE D’UNE EGLISE

La «dédicace» des églises peut se définir comme «une action sainte ou plutôt un ensemble d'actions saintes et solennelles, déterminées par l'Eglise et dont l'effet est de rendre un édifice, sacré de profane qu'il était, dédié pour toujours à Dieu et à son culte, par un ministre légitime, afin que dans cet édifice on puisse accomplir les fonctions divines et ecclésiastiques»[1]. Primitivement, dans l'antique liturgie romaine, il semble bien que toute la cérémonie consistait dans la consécration d'un autel dressé sur le tombeau d'un martyr et dans la célébration solennelle de la messe sur cet autel. Dédier un temple (dedicare en latin) était l'inaugurer en l'appliquant pour la première fois à l'usage auquel il était destiné. C'est ce que saint Augustin appelle l' «encœnia festivitas»[2], proprement, initier, placer un objet dans l'endroit qui lui est destiné. L’événement attirait souvent un concours considérable de fidèles, on faisait suivre la cérémonie d'un repas et sous prétexte d'honorer la mémoire des martyrs on tomba dans les excès et désordres des païens qui avaient leurs anniversaires «marqués» par des sacrifices: il fallut réprimer ces abus des dédicaces[3].

  1. ORIGINE DE L’EGLISE DE LETRAN

Le Latran apparaît pour la première fois dans l’histoire ecclésiastique en l’an 313, alors que, au dire d’Optat de Milève, fut célébré dans son enceinte, sous le pape Melchiade, un concile contre les Donatistes. Convenerunt in domum Faustae, in Lateranis[4]. C’est en effet vers cette époque que Constantin avait donné à l’Église romaine l’antique palais des Laterani, venu probablement en sa possession comme partie de la dot de sa femme Fausta, sœur de Maxence.

A partir de cette époque, le Latran devint la résidence habituelle des Papes, et, à ce titre, nous pouvons le considérer comme un monument vivant, une pieuse relique de cette longue série de saints Pontifes qui y résidèrent durant près de dix siècles. Que d’histoire, de poésie et d’art enferment ces murailles presque deux fois millénaires, et qui virent une dynastie pontificale encore plus longue que la plus longue dynastie de souverains?

C’est là, au Latran, que, à la demande du pape Sylvestre, Constantin transforma, ou érigea la première basilique dédiée, à Rome, au Sauveur. C’est ainsi que les salles de bains du vieux palais de Plaute Latran, mort victime de la cruauté de Néron, furent transformées en baptistère chrétien, où triompha cette même Croix que Néron avait voulu arracher de la Ville aux sept collines. Le butin de Néron devint, après trois siècles, l’héritage pacifique des successeurs de saint Pierre.

Voici la traduction de la célèbre inscription gravés sur l’épistyle du portique du Latran:

DOGMATE • PAPALI • DATVR • AC • SIMVL • IMPERIALI
QVOD • SIM • CVNCTARVM • MATER • ECCLESIARVM
HIC • SALVATORIS • CAELESTIA • REGNA • DATORIS
NOMINE • SANXERVNT • CVM • CVNCTA • PERACTA • FVERVNT
QVAESVMVS • EX • TOTO • CONVERSI • SVPPLICE • VOTO
NOSTRA • QVOD • HAEC• AEDES• TIBI • CHRISTE • SIT• INCLYTA • SEDES
De droit papal et impérial, il est établi
que je sois la Mère de toutes les Églises.
Lorsque cet édifice fut entièrement terminé,
on voulut me dédier au Divin Sauveur, qui donne le royaume céleste.
A notre tour, par d’humbles vœux et tournés vers vous nous vous prions,
ô Christ, afin que de cet illustre temple vous fassiez votre siège glorieux.

  1. LA DEDICACE DE LETRAN[5]

Elle est la première église à être publiquement consacrée — le 9 novembre 324 par le pape Sylvestre I — elle prit progressivement (à partir du XIIème siècle) le nom de basilique Saint-Jean-l'Évangéliste par association à son baptistère voisin, le plus ancien de Rome.

Mais quand et comment apparut cet anniversaire de la dédicace du Latran, ignorée d’abord de la tradition liturgique classique de Rome, nous l’ignorons encore répond le Cardinal Schuster. Comment arriva-t-on, à Rome, à fixer au 9 novembre l’anniversaire de la dédicace de la basilique du Sauveur? Les documents nous manquent, et nous ne pouvons faire que des hypothèses.

« Il fut un temps où la tradition liturgique à Rome voulait qu’on célébrât le 9 novembre simultanément la dédicace des diverses églises dédiées au Sauveur. Avec le temps, la dedicatio Sancti Salvatoris aurait été étendue à toutes les églises dédiées au Sauveur à Rome, à commencer par la basilique du Latran.

Il y a plus; en ce même jour, les Orientaux fêtent la commémoration d’une image miraculeuse du Sauveur, profanée par les Juifs à Beyrouth, et de laquelle aurait jailli du sang. Il est possible que cette fête orientale du Sauveur, devenue populaire même chez les Latins et inscrite dès lors dans les martyrologes, ait été le point de départ de la solennité romaine de la basilique du Sauveu    r au Latran ». (Cardinal Schuster)

  1. EST-ELLE LA CATHEDRALE DE ROME ?

 Continue le Cardinal de Milan: « La dispute élevée pour savoir si le Latran est la cathédrale de Rome, ou si ce n’est pas plutôt la Basilique vaticane, n’a de sens que pour les siècles passés auxquels nous nous reportons. Ce serait un anachronisme que de parler de cathédrale à Rome durant le haut moyen âge, alors que, grâce à la liturgie stationnale, le Pape officiait, non pas dans une église déterminée mais dans toutes les basiliques et les titres de la Ville et de sa banlieue. Durant le haut moyen âge il résidait bien dans le vieux palais de Fausta, mais quand il devait célébrer quelque solennité, l’Épiphanie, le baptême pascal, l’Ascension, la Pentecôte, les ordinations, le couronnement des rois, c’était toujours à Saint-Pierre que la station avait lieu, parce que c’est là que, dans le baptistère, on conservait la chaire de saint Pierre. C’était donc là aussi que le Pape devait inaugurer son pontificat; c’est là qu’il devait le clore un jour par sa sépulture. Plus tard seulement, alors que l’usage de la liturgie stationnale déclinait, et que se développait la puissance extérieure de la papauté, sous l’influence d’une situation de fait on en vint à considérer le Latran, résidence du Pontife, comme étant aussi sa cathédrale, par rapport aux autres églises titulaires de Rome ».

Cette idée se développa peu à peu, et s’affirma dans toute sa puissante splendeur vers le VIIIème siècle, alors que l’episcopium devint aussi le siège du gouvernement, et que le successeur de Silvestre recueillit sans contestation entre ses mains le double héritage de Pierre et de Constantin. En face des diverses juridictions monastiques, capitulaires ou épiscopales qui se disputaient les différents sanctuaires de la Ville, la basilique du Sauveur s’éleva à la hauteur de symbole de l’universelle autorité pontificale ».

  1. LE SENS SPIRITUEL DE CETTE FETE

Un triple sens de cette fête:

«La dédicace que nous commémorons aujourd'hui concerne, en réalité, trois maisons. La première, à savoir le sanctuaire matériel, est établie soit dans une maison réservée jadis à des usages profanes et convertie en église soit dans une construction neuve destinée au culte divin et à la dispensation des biens nécessaires à notre salut (...) C'est une chose pourtant très convenable que d'avoir consacré à Dieu un lieu particulier où nous tous, chrétiens qui formons cette communauté puissions nous réunir, louer et prier Dieu ensemble, et obtenir ainsi plus facilement ce que nous demandons, grâce à cette prière commune, selon la parole : « Si deux ou trois d’entre vous sur la terre se mettent d'accord pour demander quelque chose, ils l'obtiendront de mon Père».

(...) La deuxième maison de Dieu, c'est le peuple, qui trouve son unité dans cette église, c'est-à-dire vous qui êtes guidés, instruits et nourris par un seul pasteur ou évêque. Cette demeure est formée des élus de Dieu passés, présents et futurs, rassemblés par l'unité de la foi et de la charité, en cette Eglise une, fille de l’Eglise universelle, et qui ne fait d'ailleurs qu'un avec l’Eglise universelle. Si donc on la compare avec l'Eglise tout entière, cette Eglise-ci, notre communauté, est une partie ou une fille de toute l'Église et, en tant que sa fille, elle lui est soumise, puisqu'elle est sanctifiée et conduite par le même Esprit. En célébrant la dédicace de notre église, nous ne faisons rien d'autre que de nous souvenir de la bonté que Dieu a manifestée en appelant ce petit peuple à le connaître. Nous nous rappelons qu'il nous a aussi accordé la grâce non seulement de croire en lui, mais encore de l’aimer, lui, Dieu, de devenir son peuple, de garder ses commandements, de travailler et de souffrir par amour pour lui.

(...) La troisième maison de Dieu est toute âme sainte vouée à Dieu, consacrée à lui par le baptême, devenue le temple de l'Esprit Saint et la demeure de Dieu. (...) Lorsque tu célèbres la dédicace de cette troisième maison, tu te souviens simplement de la faveur que tu as reçue de Dieu quand il t’a choisi pour venir habiter en toi par sa grâce»[6].

Et je conclu avec le grand Saint Augustin qui prêché: « Cependant, on ne fait la maison de Dieu que lorsque la charité vient tout assembler. Si ce bois et cette pierre n'étaient pas réunis selon un certain plan, s'ils ne s'entrelaçaient pas de façon pacifique, s'ils ne s'aimaient pas, en quelque sorte, par cet assemblage, personne ne pourrait entrer ici. Enfin, quand tu vois dans un édifice les pierres et le bois bien assemblés, tu entres sans crainte, tu ne redoutes pas qu'il s'écroule. Le Christ Seigneur, parce qu'il voulait entrer et habiter en nous, disait, comme pour former son édifice: « Je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres. C'est un commandement, dit-il, que je vous donne »[7].

 

 

 

 

 

 


[1] Cf. Jules BAUDOT, « La dédicace des Eglises », Paris 1909, p. 3-4

[2] Le passage de Saint Augustin est au tract. 48 in Jean. P. L., t. XXXV, col. 174

[3] Voir dans Saint Grégoire le Grand, Homilie. XIV in evangile. P. L., t. LXXVJ, col. 1130, une allusion à ces concours de peuples, et dans ses lettres Epist. 76 du livre XI, t. LXXVII, col. 1215, une plainte au sujet de ces abus.

[4] De schism. Donat., I, 23, PL, XI. Col. 931.

[5] Cf. Pour les points 3 et 4 je suis les écrits du Bhx Cardinal Schuster, dans son Liber Sacramentorum.

[6] Cf. Lanspergius le Chartreux : Johannes-Justus Grecht est dit Lanspergius, du nom de sa ville natale, Landsberg (Lanspergius, en latin), qui est située sur le Lech, en haute Bavière. Né vers 1490, il étudia la philosophie à la faculté des arts de Cologne. Bachelier ès arts, il entra à la chartreuse Sainte-Barbe de Cologne où il fit profession en 1509. Après des études théologie, il fut ordonné prêtre. Selon ce qu’il écrivit dans une lettre de direction, il estimait beaucoup le silence cartusien et la curiosité excessive lui pesait ; « en dix ans, il ne rompit jamais le silence consciemment et de son propre mouvement. » Son confrère Bruno Loher, auteur de sa Vita, loue son ascèse rigoureuse, sa piété et ses vertus ; il mentionne notamment le témoignage de parfaite obéissance aux supérieurs exprimé peu avant sa mort. De 1523 à 1530, il fut vicaire et maître des novices. De 1530 à 1535, il fut prieur de la chartreuse de Vogelsang ; il était en même temps prédicateur à la cour de Jean III, duc de Juliers, Clèves et Berg, et confesseur de la duchesse Marie. Entre temps, il fut aussi co-visiteur de la province rhénane de son ordre. Malade, il revint comme vicaire à la chartreuse de Cologne. Il mourut le 11 août 1539, « après avoir mené pendant trente ans une vie sainte et digne de louanges dans le saint ordre des chartreux. » La chartreuse de Cologne étant un centre spirituel très actif, Lanspergius eut une grande influence jusqu’au XVIII° siècle où saint Alphonse-Marie de Ligori le tient pour un grand maître spirituel.

[7] Cf. Saint Augustin, (sermon pour une dédicace) Sermon CCCXXXVI

 

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