LA BATAILLE DE LEPANTE ET LE ROSAIRE

LA BATAILLE DE LEPANTE ET LE ROSAIRE

La bataille de Lépante est l'une des plus grandes batailles navales de l'histoire[1]. Elle s'est déroulée le 7 octobre 1571 dans le golfe de Patras en Grèce appelée alors Lépante. La puissante marine ottomane y affrontait une flotte chrétienne comprenant des escadres vénitiennes et espagnoles renforcées de galères génoises, pontificales, maltaises et savoyardes, le tout réuni sous le nom de Sainte Ligue à l'initiative du pape Pie V. La bataille se conclut par un désastre pour les Turcs qui y perdirent la plus grande partie de leurs vaisseaux et près de 30 000 hommes. L'événement eut un retentissement considérable en Europe car, il sonnait comme un coup d'arrêt porté à l'expansionnisme ottoman.

Le contexte

Le XVIème siècle est marqué par l’expansion de l’Empire Ottoman. En effet les Turcs, après avoir occupé presque tout le bassin de la Méditerranée, l’Afrique du Nord, le Moyen Orient, la péninsule baltique, menacent l’Europe occidentale. Ils s’emparent de Belgrade en 1521, enlèvent Rhodes l’année suivante, puis envahissent la Hongrie et mettent le siège devant Vienne en 1529. ­Après avoir été repoussés de justesse et avoir échoué devant Malte, ils se rabattent sur Chypre, colonie vénitienne.

Face à la menace turque, l’Europe a du mal à s’unir. La France entretient même des relations amicales avec Constantinople. Dans ce contexte peu favorable, le pape St Pie V s’efforce avec patience et ténacité de coaliser les différents royaumes européens contre les Turcs. Finalement, il réussit à établir une alliance avec l’Espagne, Venise et Malte. En mai 1571, St Pie V proclame solennellement en la Basilique Saint-Pierre la constitution de la Sainte-Ligue. Une flotte imposante est réunie, qui est confiée à don Juan d’Autriche, frère de Philippe II d’Espagne, fils naturel de Charles Quint. Afin d’implorer la protection céleste sur la flotte, St Pie V ordonne un jubilé solennel, un jeûne et la prière publique du Rosaire[2].

La flotte chrétienne est composée de soldats chrétiens à bord : 8000 Espagnols, 5000 Vénitiens, 1500 Pontificaux, 5000 Allemands, 5000 Italiens, 4000 nobles aventuriers[3].

La flotte ottomane est commandée par le kapudan pacha Ali Pacha Moezzin, qui se place au centre. Il est assisté d'Uludj Ali (régent d'Alger) qui dirige l’aile gauche et de Mohammed Sirocco (gouverneur d'Égypte) qui dirige l’aile droite. Les galères ottomanes sont occupées par 13 000 marins expérimentés et 34 000 soldats.

La Sainte Ligue a mobilisé au total 202 galères et 6 galéasses et pour la flotte ottomane, un total de 210 galères et 63 fustes et galiotes[4]

La Bataille 

Au matin du 7 octobre 1571, la flotte chrétienne en provenance de Messine rencontre la flotte turque en provenance de Lépante dans le golfe de Patras, au large de la Grèce.

Cette bataille est restée dans les traités d’histoire militaire comme un tournant dans la stratégie navale. En effet, c’est la première fois que les galères se voient opposées (à grande échelle) à une flotte plus manœuvrante et armée de canons. Cette combinaison technique, une stratégie qui a consisté à enfermer les Turcs dans le golfe de Lépante, une tactique consistant à faire prendre à l’abordage les galères par l’infanterie espagnole (les tercios), alliées à des défections rapides dans la flotte turque contribua grandement à la réputation de cet affrontement.

Pendant le cours de la bataille, le navire du commandant ottoman est envahi par les hommes de la galère de Juan d'Autriche ainsi que par celle de l’amiral de la flotte savoyarde André Provana de Leyni entre autres, et l’amiral turc est décapité et sa tête placée au bout du mât du navire principal espagnol, ce qui contribue à saper le moral turc.

La bataille dure une grande partie de la journée et est particulièrement violente.

La démesure de l’affrontement en fait un événement majeur: on dénombre au moins 7000 morts et 20000 blessés chez les Chrétiens, 30000 morts ou blessés et 3500 prisonniers chez les Turcs (sans compter ceux qui sont massacrés à terre par les Grecs révoltés), 15 000 forçats chrétiens libérés de leurs fers. Les Ottomans subissent une lourde défaite: 117 galères et 13 galiotes sont capturées, et 62 galères coulées, alors que les Chrétiens ne perdent qu'une douzaine de galères. 450 canons et 39 étendards sont pris aux Ottomans[5].

L’un des participants les plus connus est l’écrivain espagnol Miguel de Cervantes, qui y perdit l’usage de sa main gauche, gagnant le surnom de « manchot de Lépante » mais il fut capturé à son retour par l'amiral algérois Mami Arnaute au large de Barcelone. De là, il fut emmené à Alger.

Gilles Veinstein, selon une lettre de la Sainte-Ligue publiée à Paris en 1572, mentionne que « Le désastre de Lépante aurait semé la panique à Istambul. Sélim II aurait fait passer son trésor à Bursa, de même que les femmes et les jeunes enfants mâles du sérail. Lui-même et ses janissaires se seraient réfugiés à Edirne, tandis que les défenses d'Istambul étaient renforcées. La population musulmane aurait également fui la capitale ne la laissant peuplée que de Grecs et de chrétiens francs»[6].

Une victoire chretienne et la devotion à Marie 

La victoire de la flotte chrétienne à dominante vénitienne, confirme l’hégémonie espagnole sur l'ouest de la Méditerranée et met un coup d’arrêt, par la Providence Divine, à la progression ottomane vers l'Europe. Psychologiquement, la victoire a un retentissement considérable en Europe, car c'était la première fois qu'une flotte chrétienne réussissait à vaincre la très puissante marine ottomane. Un miracle.

Mais le véritable miracle de Lépante est avant tout celui de ce réveil profond de la Chrétienté qui a su dépasser ses querelles internes (comme par exemple la réforme protestante) pour reconnaître et défendre ce qui précisément en faisait son unité, une civilisation fondée sur l’Evangile. Sans commune mesure avec les croisades qui voulaient libérer le tombeau du Christ et permettre aux fidèles de s’y rendre en sécurité, cette nouvelle unité chrétienne entendait réaffirmer haut et fort son attachement au Christ et à son message, inscrit dans une civilisation plus que millénaire. Comment expliquer un tel miracle ? Car l’unité est toujours un miracle instable.  

Dominicain avant tout, le pape Pie V est pétri d’une profonde dévotion à Marie et au rosaire que son père fondateur, Saint Dominique de Guzman, a donné à l’Eglise. Confiant en la puissance de cette prière des pauvres, il demande à toute la Chrétienté de prier quotidiennement le chapelet pour le salut de la civilisation fondée sur le Christ et portée par sa mère. Par obéissance au souverain pontife, la prière mariale s’est répandue et a recouvert la vieille Europe de son manteau étoilé, si bien que telle la Vierge de l’Apocalypse, Marie semble avoir écrasé l’ennemi sous son pied. C’est en tout cas vers elle que le pape se tourne ce 7 octobre 1571 après 17h, alors que de la fenêtre de son bureau il contemple en vision l’issue heureuse du combat de Lépante. Puis il se retourne et dit aux prélats qui l’entourent: « Allons rendre grâce à Dieu : notre armée est victorieuse ». Au même temps don Juan, victorieux, s’agenouillait sur le pont de son navire pour remercier Dieu de sa protection.

Par la suite Sebastian Venier envoie immédiatement le capitaine d’une de ses galères, Onfrè Giustinian, avertir le doge de la victoire. Ce capitaine était vraisemblablement prédestiné à devenir un heureux messager puisque son navire était baptisé L’ange Gabriel. La bonne nouvelle parvient à Venise le 19 octobre et le 26 octobre arrive à Rome confirmant ainsi la révélation faite au souverain pontife. Dans toutes les villes de la Chrétienté, la nouvelle de la victoire entraîne des manifestations festives et joyeuses. Même la France —qui n’a pas participé— manifeste sa liesse ; par exemple, la bonne ville de Lyon casse les cloches pour célébrer l’événement, comme l’a raconté un auteur resté anonyme : « que mesmes en ceste ville de Lyon vous avez entendu les grosses cloches qui vous ont donné ample et certain temoisgnage de telle victoire »[7].

En commémoration de la bataille de Lépante, Pie V ajouta aux Litanies de la très Sainte Vierge, une invocation supplémentaire: « Secours des chrétiens, priez pour nous », et il ordonna l’institution de la fête de Notre-Dame des Victoires que Grégoire XIII fera ensuite célébrer, sous le nom de fête du Rosaire, chaque premier dimanche d’octobre dans toutes les églises.

Au sein du peuple catholique la victoire de Lépante contribua ainsi au rapide essor de la dévotion du Rosaire et suscita la fondation d’un grand nombre de confréries. Elle est une date importante de l’histoire du culte marial[8].

Son successeur Grégoire XIII changea en 1573 le nom de cette fête locale en fête du Saint-Rosaire, fixée le premier dimanche d’octobre. Elle a donc été instituée pour méditer les mystères mariaux et s’unir à la vie de la Vierge, ainsi que pour se souvenir secondairement de la libération de l’Occident devant la menace ottomane.

Clément XII étend la fête du Saint-Rosaire à l’ensemble de l’Église catholique de rite latin en 1716 et saint Pie X en fixe la fête le 7 octobre en 1913. Saint Jean XXIII change une nouvelle fois son nom en Notre-Dame du Rosaire en 1960.

Désormais symbole de la victoire de la Chrétienté sur toute autre civilisation qui voudrait la détruire, la bataille de Lépante reste d’une vibrante actualité tant les tensions qui ont précédé cette bataille semblent se retrouver aujourd’hui. Autre temps, autres mœurs, certes, mais l’arme reste la même et c’est bien ce qui inquiète ceux que ce symbole dérange.

 

[1] Cf. Paul K. Davis, 100 decisive battles: from ancient times to the present: The World’s Major Battles and How They Shaped History, New York, Oxford University Press,‎ 2001.

[2] Olivier, Jacques, en histoire de l’Eglise, article publié en 2003 http://www.salve-regina.com/salve/La_bataille_de_Lepante

[3] William Ledyard Rodgers, Naval Warfare Under Oars, 4th to 16th Centuries : A Study of Strategy, Tactics and Ship Design, United States Naval Institute,‎ 1940

[4]  Edmond Jurien de la Gravière, La guerre de Chypre et la bataille de Lépante, 1ère édition 1951, réédition 2011, Éditions Laville, collection Batailles essentielles : mémoire des peuples, p 210-218

[5] Daniel Panzac, La marine ottomane : de l'apogée à la chute de l'empire, 1572-1923, Paris, CNRS,‎ p. 15 - 19

[6] Gilles Veinstein, L'Europe et l'Islam, p. 221, fait référence d’une lettre dans The Turk in french history, Clarence Dana Rouillard, Parsi Boivin 1942, p. 72

[7] Carlo Campana, Marie Viallon. Les célébrations de la victoire de Lépante. Marie Viallon. La fête au XVIe siècle, Sep 2002, Le Puy-en-Velay, France. PUSE, pp.55-78, Colloques du Puy-en-Velay.

[8] Olivier, Jacques, ibidem

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