JESUS ADMET-IL LE DIVORCE?

EN RÉPONSE AU PÈRE GUIDO INNOCENZO GARGANO

 

    Par le PERE GONZALO RUIZ FREITES DE L'INSTITUT DU VERBE INCARNE


(Extrait de: "L'uomo non separi ciò che Dio ha unito [Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni]". Chapitre final: "Conclusion")

En ce qui concerne le divorce et le remariage [des divorcés], l’enseignement de Jésus, que l’on trouve à la fois dans les Évangiles synoptiques et dans les écrits de Paul, est univoque et définitif. Il constitue une partie de la révélation contenue dans le Nouveau Testament, reçue et conservée fidèlement par l’Église. Il s’agit d’un enseignement d’origine à la fois divine et apostolique, qui est absolu et universel. Il interdit le divorce et, dans le cas d’un remariage de la personne divorcée, il considère que cette seconde union est un adultère.


L’hypothèse qui est présentée par le père Guido Innocenzo Gargano  ne reçoit aucun soutien d’une exégèse sérieuse des textes qu’il a étudiés, que ce soit dans leur sens littéral, ou bien dans leur contexte immédiat, ou encore dans l’ensemble de la révélation qui est contenue dans le Nouveau Testament. Par ailleurs sa tentative aboutit à un échec parce que c’est à partir d’idées préconçues qu’il a sélectionné les textes qu’il a voulu traiter et non pas à partir de la compréhension antérieure de l’ensemble du Nouveau Testament par la foi. D’autre part, il a étudié ces textes de manière excessivement partiale, sans procéder à la moindre analyse exégétique des textes et des contextes. Enfin, il les a forcés afin de pouvoir en tirer des conclusions qui soient en accord avec les idées préconçues constituant son point de départ.

Cela fait penser à ce que dit saint Jérôme, lorsqu’il enseigne que ceux qui étudient le texte sacré doivent s’attacher avant tout “à l’interprétation exacte” et que “le devoir du commentateur est d’exposer non pas ses idées personnelles mais bien celles de l’auteur qui fait l’objet du commentaire”. Sans quoi, ajoute-t-il, “un jour ou l’autre, l’orateur sacré est exposé, du fait d’une interprétation erronée, au grave danger de faire de l’Évangile de Dieu l’Évangile de l’homme”.

D’après Gargano, Jésus approuvait la lettre de répudiation en tant que concession miséricordieuse. Par conséquent il approuvait l’adultère qui en était le résultat. Les conséquences d’un tel raisonnement sont désastreuses, même si Gargano ne les déduit pas de manière explicite. Jésus ne serait pas venu pour abolir quoi que ce soit, mais pour tenir compte de la situation concrète du pécheur. Il ne serait donc pas venu pour appeler tous les pécheurs à sortir de leur situation de péché en les invitant à la conversion (cf. Lc 5, 32). Pour certains d’entre eux, il y aurait une autre voie, celle de la loi mosaïque. De cette manière, Jésus ne soignerait pas la nature blessée par le péché. Il accepterait, au contraire, que les malades continuent à être malades. Lui-même devra se résigner à ne pas pouvoir atteindre le "skopòs" visé.

Gargano manifeste une grande confusion et sa conception du salut semble plutôt protestante que catholique : il lui manque une juste théologie de la grâce. Si on veut être en cohérence avec son raisonnement, on doit conclure que, au moins dans certains cas, la nature humaine est irrémédiablement corrompue par le péché et qu’elle n’a pas la possibilité d’être guérie par la grâce. Dans une telle situation, il n’y a pas de place pour la grâce répandue dans le cœur de l’homme, qui fait de celui-ci une créature nouvelle en guérissant de l’intérieur ses blessures et en l’élevant jusqu’à l’ordre surnaturel pour la participation formelle à la vie divine. C’est de cette manière que l’on atteint le "skopòs" de l’œuvre salvifique du Christ !

D’autre part, le fait d’affirmer de nouveau que la loi mosaïque est un moyen valide d’obtenir le salut – même si c’est en étant "le plus petit" que l’on entre ainsi dans le royaume des cieux - est gravement contraire à la révélation contenue dans le Nouveau Testament et, par conséquent, à la foi chrétienne. Si la loi mosaïque est encore aujourd’hui une voie de salut, alors le Christ serait mort en vain.

Il est également très grave d’imposer aux chrétiens la validité des préceptes de l’ancienne loi. À plusieurs reprises, pendant que j’écrivais ce texte, j’ai pensé au cri lancé par Paul, dans l’épître aux Galates, contre ceux qui cherchaient à “judaïser” en ce sens les chrétiens provenant du monde des Gentils. Après avoir affirmé : “Je n’annule pas le don de Dieu ; car si la justice vient de la loi, c’est donc que le Christ est mort pour rien” (Gal 2, 21), l’apôtre poursuit ainsi : “Galates stupides, qui donc vous a ensorcelés ? À vos yeux, pourtant, Jésus Christ a été présenté crucifié. Je n’ai qu’une question à vous poser : l’Esprit Saint, l’avez-vous reçu pour avoir pratiqué la Loi, ou pour avoir écouté le message de la foi ? Comment pouvez-vous être aussi fous ? Après avoir commencé par l’Esprit, allez-vous, maintenant, finir par la chair ?” (Gal 3, 1-3).

Il est clair que l’enseignement du Seigneur constitue une nouveauté dans le monde juif, où il était permis de divorcer et de se remarier à condition de rédiger une lettre de répudiation. C’est dans ce contexte que Jésus supprime la possibilité de divorcer et de se remarier en formulant son précepte absolu : que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni (Mc 10, 9 ; Mt 19, 6).

L’Église primitive, par conséquent, a dû traiter ce problème à la fois pour les juifs qui embrassaient sa foi et pour les païens, qui étaient habitués à la validité légale de la pratique du divorce. Dès les origines, cependant, l’Église a été fidèle à son Seigneur. Le texte de Paul en 1 Cor 7, 10-11, est la preuve que l’autorité du commandement du Seigneur l’a emporté face à toute la permissivité du monde antique, aussi bien juif que païen. Cette fermeté est due à la foi en ce commandement qui a été donné par Jésus lui-même : “Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni”. Cette conviction a soutenu, tout au long des siècles, les enseignements constants de l’Église à ce sujet.

La mission de Jésus est tout entière caractérisée par la miséricorde envers les pécheurs. Cependant c’est une miséricorde qui pousse à la conversion et à la transformation du cœur, comme Lui-même l’explique : “Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs au repentir” (Lc 5, 32). Jésus n’a pas condamné la femme adultère, mais il ne lui a pas non plus dit “Va et fais-toi donner la lettre de répudiation, cela te permettra de continuer à vivre comme tu le fais actuellement”. Au contraire, il lui a clairement commandé : “Va et ne pèche plus” (Jn 8, 11).

Jésus ne commande pas des choses impossibles. Pour que la nécessaire transformation du cœur puisse s’accomplir, il a apporté la loi nouvelle, la grâce du Saint-Esprit répandue dans les cœurs (cf. Rm 5, 5). Avec sa grâce, il est possible d’accomplir tous ses commandements, y compris le précepte qui ordonne de ne pas s’unir "more uxorio" à une personne avec laquelle on n’est pas marié, même si cela signifie que l’on va devoir porter sa croix tous les jours (cf. Lc 9, 23). Si l’on pense que les personnes dont le mariage est un échec ne peuvent pas vivre dans la chasteté, cela signifie que l’on ne croit pas, en réalité, à la grâce intérieure de Dieu, qui fait du vieil homme une créature nouvelle (cf. 2 Cor 5, 17 ; Gal 6, 15). Cela signifie aussi que l’on pense que le Seigneur nous commande d’accomplir des choses impossibles, annulant ainsi la grâce de Dieu avec laquelle tout est possible, en dépit de nos faiblesses.

Une clé herméneutique de lecture de la pensée du père Gargano se trouve dans la lettre qu’il a adressée à Sandro Magister, lorsqu’il distingue “vérité objective” et “vérité subjective” dans le domaine moral-existentiel. Cette distinction, dans le sens que propose l’auteur, est inacceptable et elle ouvre la porte à toutes les formes de relativisme moral, dans lesquelles la conscience de chacun devient la norme suprême de l’action, y compris lorsqu’elle ne correspond pas à la vérité objective ou à la loi de Dieu. La vérité est, par définition, objective. La réalité subjective peut ou bien correspondre à la vérité ou bien ne pas lui correspondre. Dans ce dernier cas, il ne s’agit pas de “vérité subjective”, mais d’erreur et l’on fait preuve de miséricorde lorsque l’on corrige celui qui se trompe. Aimer le pécheur, c’est aussi cela, d’après l’enseignement du Seigneur (Mt 18, 15-17 ; cf. Ep 6, 4 ; He 12, 5-11).

Le concile Vatican II, dans la déclaration "Dignitatis humanæ", a indiqué que l’homme doit se gouverner selon sa conscience, mais il a également enseigné que “tous les hommes, d’autre part, sont tenus de chercher la vérité, surtout en ce qui concerne Dieu et son Église ; et, quand ils l’ont connue, de l’embrasser et de lui être fidèles”. Et cela en raison de la dignité de l’être humain, qui fait que les hommes “sont, par leur nature même et par obligation morale, tenus de chercher la vérité, et tout d’abord celle qui concerne la religion. Ils sont également tenus d’adhérer à la vérité dès qu’ils la connaissent et de régler toute leur vie selon les exigences de cette vérité”. Et plus loin : “Tout cela est encore plus clairement manifeste si l’on considère que la norme suprême de la vie humaine est la loi divine elle-même, éternelle, objective et universelle, par laquelle Dieu, dans son dessein de sagesse et d’amour, règle, dirige et gouverne le monde entier et les voies de la communauté humaine. De cette loi qui est sienne, Dieu rend l’homme participant de telle sorte que, par une heureuse disposition de la Providence divine, celui-ci puisse accéder toujours davantage à l’immuable vérité. C’est pourquoi chacun a le devoir et, par conséquent le droit, de chercher la vérité en matière religieuse, afin de se former prudemment un jugement de conscience droit et vrai, en employant les moyens appropriés”.

Cependant les chrétiens doivent également prendre en considération, dans la formation de leur conscience, la doctrine de l’Église, qui est orientée vers le salut de tous les êtres humains selon l’intention du Dieu sauveur, “lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et qu’ils parviennent à la connaissance de la vérité” (1 Tm 2, 4). C’est par la volonté du Christ que l’Église catholique est maîtresse de vérité. Elle a pour mission d’annoncer et d’enseigner de manière authentique la vérité qu’est le Christ et, dans le même temps, de proclamer et de confirmer avec autorité les principes de l’ordre moral qui résultent de la nature même de l’homme. Par conséquent, lorsqu’elle enseigne toute la vérité qui est contenue dans les Évangiles, l’Église ne fait rien d’autre que d’obéir au commandement donné par le Seigneur ressuscité : “Allez donc et de toutes les nations faites des disciples, en les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit et en leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit” (Mt 28, 19-20). Dans ce “tout” est inclus l’enseignement relatif au divorce et au remariage.

L’Église, se conformant en cela au modèle et à l’enseignement de son Seigneur, a toujours enseigné que les personnes qui se trouvent dans des situations irrégulières en ce qui concerne le mariage doivent être traitées avec une délicate miséricorde. Cependant une miséricorde qui ne tiendrait pas compte de tous les enseignements du Seigneur dans ce domaine serait une fausse miséricorde, parce qu’elle serait privée, en partie ou en totalité, de la vérité. Elle serait, en réalité, cause et source de beaucoup de maux, comme l’enseigne saint Thomas dans le commentaire qu’il consacré aux béatitudes du Sermon sur la Montagne : “La justice sans la miséricorde est de la cruauté ; la miséricorde sans la justice est mère de la faiblesse”.

Il n’y a que la vérité qui rende l’homme complètement libre. Cette vérité qui est la personne de Jésus, "Verbum abbreviatum" qui résume toutes les Écritures, anciennes et nouvelles. Il est la vérité qui s’exprime dans toutes ses paroles, sans coupures et sans rabais. Il est la vérité qui est en même temps la voie vers la vie, vers le salut éternel, unique but de notre existence chrétienne (Jn 14, 6). C’est ce qu’a reconnu saint Pierre, le premier pape, alors que beaucoup de disciples abandonnaient le Seigneur parce qu’ils trouvaient que ses paroles étaient “dures” : “Seigneur, à qui irons-nous ? Toi seul as les paroles de la vie éternelle” (Jn 6, 68).

 

Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
 

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