Que sait-on au juste sur les reliques de Saint Augustin ?[1]
Elles se trouvent à Pavie en Italie. Le corps du saint y arriva entre 712 et 725 sur ordre de Liutprand (né après 680 et mort en 744), rois des Lombards. Il fut immédiatement transporté dans l’église dédiée à saint Pierre qui avait à l’époque un plafond doré « San Pietro in Ciel d’Oro » (Saint Pierre au Ciel d'Or). À la fin du XIVème siècle, les Visconti (Gian Galeazzo Visconti 1351-1402, premier duc de Milan) firent construire un grand tombeau de marbre qui raconte merveilleusement la vie et les miracles d’Augustin. En dessous de l’autel se trouve les dépouilles mortelles de saint Augustin.
Pourquoi saint Augustin repose-t-il à Pavie ?
La réponse nous vienne de saint Bede le Vénérable (né vers 672/673 et mort en 735) qui dans sa Chronica de sex aetatibus mundi nous raconte : «Liutprand, venant à savoir que les Sarrasins, après avoir pillé la Sardaigne, s’apprêtaient à profaner les lieux où les ossements du saint évêque Augustin avaient été déposés – ils avaient déjà été transportés en ce lieu à cause des dévastations des barbares – envoya ses émissaires pour les racheter à grand prix, les prit et les transporta à Pavie où il les recomposa avec les honneurs dus à un si grand Père».
La translation de Saint Augustin en Sardaigne
En effet, l’histoire nous raconte que les Vandales, ayant débarqué sur les côtes africaines en 429, étaient aux portes de la ville de Hippone (Algérie) et son évêque Augustin, qui avait désormais soixante-quinze ans, était en fin de vie. Voici ce que raconte son biographe, Possidius :
«Un jour, pendant que nous prenions notre repas ensemble en parlant de ces questions, il nous dit : “Sachez ce qu’en ces jours de disgrâce j’ai demandé à Dieu : qu’Il daigne libérer notre ville de l’assaut des ennemis ; ou bien, si Sa volonté est autre, qu’Il donne à ses serviteurs la force de la supporter, ou qu’Il me fasse quitter le monde et m’accueille près de Lui”». Lorsque la maladie l’eut obligé à s’aliter, «il fit transcrire les rares psaumes de David qui traitent de la pénitence et les fit afficher sur la paroi pour pouvoir les voir et les lire depuis le lit où la maladie le retenait couché ; et il pleurait sans trêve»[2].
Au troisième mois du siège des Vandales, Augustin se coucha avec la fièvre : ce fut sa dernière maladie. Le saint vieillard profita de ce temps finalement libre pour s’adonner plus intensément à la prière. Il avait l’habitude d’affirmer que personne, évêque, religieux ou laïc, tout irréprochable que puisse sembler sa vie, ne peut affronter la mort sans une pénitence adéquate. C’est pour cela qu’il répétait sans cesse en pleurant les psaumes de la pénitence qu’il avait si souvent récités avec le peuple. Plus le mal s’aggravait, plus Augustin ressentait le besoin de solitude et de prière. Affirme encore Possidius : « Pour n’être pas dérangé par quiconque dans son recueillement, environ dix jours avant de quitter cette vie, il nous pria, nous, les personnes présentes, de ne laisser entrer personne dans sa chambre en dehors des heures où les médecins venaient le voir ou auxquelles on lui apportait ses repas. Sa volonté fut scrupuleusement respectée et pendant tout ce temps il se livra à l’oraison».
Saint Augustin cessa de vivre le 28 août 430 : finalement son grand cœur se reposait en Dieu. « Pour la déposition du corps, conclu Possidius, on offrit à Dieu le Saint Sacrifice, auquel nous assistâmes, avant qu’il ne soit enseveli ». Par la suite il a été enseveli dans son église, la Basilique de la Paix, à Hippone.
Or, le tombeau de saint Augustin à Hippone ne parut pas aux fidèles un asile assez sûr quand les Vandales furent maîtres de cette ville en 431. L’île de Sardaigne voisine de l’Afrique était remplie de confesseurs de la foi chassés par les Vandales qui venaient de l’Algérie et de la Tunisie. Ce fut ainsi qu’au règne de Huneric et Trasamonde, Eugène de Carthage et Fulgence de Ruspe (évêques en Tunisie), qui fut en Afrique en quelque sorte le dernier disciple d’Augustin, prirent le chemin de l’exil. Une tradition[3] retient donc que ces saints pontifes en quittant l’Afrique dévastée par la barbarie et en accord avec le clergé de Hippone, emportèrent avec eux les ossements vénérés de saint Augustin. En effet, le corps de saint Augustin fut déposé dans la crypte d’une petite église en dehors de murs de la ville de Cagliari, dans le quartier de la marina[4]. Sous l’autel de cette crypte nous pouvons lire un texte épigraphique très intéressant : « Locum hune ici sacros Divi Augustini ab Cineres Afrique beatum Fulgentium episcopum Ruspensem traslatos même jusqu'à barbarorum devastationem diu exceperat année MDCXXXVIII (1638) Do.na Elena Brondo et Gualpes, Marchionissa Villacidro de Sant Doctoris memoriam et Ecclesiae suae et omnes Divos patriam testumonium erexit ».
C’est fut ainsi que ses restes arrivèrent en Sardaigne. Cependant, comme affirme Benoit XVI dans ses catéchèses sur saint Augustin, la date de sa translation en Sardaigne est incertaine. Mais rien n’empêche de penser, avec les historiens plus anciens dont Bède, Paul Diacre et avec eux Baronius, dom Ruinart, etc, que cette translation fut effectivement sous Trasamonde au début du VIème siècle. Ce sentiment semble le plus probable.
La translation de Saint Augustin à Pavie
Malheureusement le tombeau de Cagliari ne put garder le corps de saint Augustin que durant l’espace à peu-près de deux cent vingt-trois ans. A cette époque la Sardaigne étant tombée aux mains des Sarrasins qui avaient conquis l’Afrique ceux-ci cédèrent le corps d’Augustin pour le prix de soixante mille écus d’or au roi Luitprand qui portait alors à Pavie la couronne de fer des rois lombards.
Pour cette translation à Pavie nous avons aussi la confirmation de nombreux historiens. Ainsi par exemple saint Bède qui vivait dans ce temps-là et qui raconte au long l’événement dans son livre De Sex œtatibus mundi cité ci-dessus, Paul Diacre qui la mentionne dans le sixième livre de son histoire De Gestis Longobardorum, le Martyrologe d’Adon qui est du IXème siècle et qui s’exprime ainsi : « Le vénérable corps d’Augustin transporté en premier lieu d Hippone en Sardaigne à cause des barbares a été récemment transporté à Pavie par le roi Luitprand qui en a donné un grand prix » (Hujus corpus venerabile primo de sua civitate pr opter Bar baros Sardiniam translatum nuper a Luitprando rege dato magno pretio Ticinis relalum).
La translation à Pavie eut donc lieu au début du VIIIème siècle. Mais sur la date il y a encore quelques légers dissentiments entre les historiens. Les uns la fixent à 712 les autres à 725 d autres enfin à des dates renfermées entre ces deux dates extrêmes.
Ainsi dans un premier moment les reliques de saint Augustin furent placées dans la crypte de la basilique de Saint Pierre du Ciel d’or et elles y furent l’objet d’un culte solennel qui n’a jamais été interrompu. Poujoulat affirme : « Des religieux de différents ordres les bénédictins d’abord puis des chanoines réguliers et des ermites de saint Augustin ont fait constamment la garde autour du tombeau. Nuit et jour près de la Confession un grand nombre de lampes brûlaient symbole de la prière qui veillait sans cesse. Les peuples y accouraient en foule et surtout à chaque anniversaire de la fête du saint des miracles éclatants signalaient sa puissance sur la terre et sa puissante intercession dans le ciel ».
La basilique San Pierre in ciel d’or et le tombeau de saint Augustin
Cette basilique San Pietro in Ciel d'Oro[5], fondée au début du VIème siècle, est reconstruite en 1132 abrite aussi les restes du roi Liutprand, et la tombe de Boèce. En 1362 les Visconti décident de construire à l’intérieur de la basilique un superbe monument funéraire pour accueillir les reliques de saint Augustin qui étaient dans la crypte. Il fut construit par des artistes de Campione et décoré de 145 statues et bas-reliefs.
Dans ce sens nous pouvons remarquer le panneau dont le sculpteur inconnu raconte avec grande vivacité la séquence finale du voyage de saint Augustin à Pavie (voir photo). Huit moines portent sur leurs épaules le corps du saint tandis que le roi Liutprand les suit en soutenant la tête d’Augustin coiffée de sa mitre. Le cortège est en train de passer la porte des murs de Pavie ; plus haut, on le voit arriver dans le même ordre à l’entrée de la basilique, c’est-à-dire à destination, là où le corps se trouve encore aujourd’hui.
En 1780, époque de la suppression des ordres religieux, les Pères augustins furent chassés et les nefs de l’église servirent de gymnase aux artilleurs. Avec Napoléon, vingt ans après, ce fut pire : la démolition du couvent provoqua l’écroulement de la nef et l’église devint un dépôt de bois et de foin. Dans ces sombres années, les reliques d’Augustin, conservées dans l’urne d’argent voulue par le roi Liutprand, avaient été transférées dans la cathédrale de la ville, tandis que le grand tombeau, avec ses 95 statues et ses 50 bas-reliefs, était abandonné dans la sacristie où il avait été construit.
Le retour des reliques eut solennellement lieu le 7 octobre 1900. Entre temps, l’église avait été restaurée et le tombeau transporté là où nous le voyons aujourd’hui, au cœur du presbyterium.
Loin d’être funèbre, ce tombeau a quelque chose de festif. Ses dimensions imposantes ne sont en effet pas dictées par le goût de l’hyperbole et des grandes célébrations mais manifestent tout simplement le désir de faire place à tous ceux qui voulaient participer à la fête du saint évêque. Visages et corps d’un catholicisme lombard, d’un catholicisme heureux d’avoir eu un père comme Augustin.
Le bras de Saint Augustin de Pavie à Hippone
Dans ses lettres à M. Poujoulat sur la translation de la relique de saint Augustin de Pavie à Hippone en 1842, l’abbé Sibour affirme : « C’est alors que je pus contempler et vénérer pour la première fois la relique insigne que l’église de Pavie avait cédée à celle d’Hippone. C’était le bras droit d’Augustin ce bras qui avait porté si haut et avec tant de fermeté le sceptre de l’intelligence et de l’orthodoxie dans un des plus grands siècles de l’Église ce bras qui était encore aujourd’hui et qui serait toujours un des plus fermes soutiens de l’Église ce bras qui avait terrassé les manichéens les donatistes les ariens Pelage, Celestius, Julien et qui tout mort qu’il était menaçait encore et saurait atteindre tous les ennemis du christianisme, ce bras enfin qui avait répandu sur la terre d’Afrique tant de bénédictions… » (p. 368).
Conclusion
Le pape émérite Benoit XVI en visitant Pavie en 2007 désirait venir vénérer la dépouille mortelle de saint Augustin, « pour exprimer aussi bien l’hommage de toute l’Eglise catholique à l’un de ses "pères" les plus grands, que ma dévotion personnelle et ma reconnaissance à l’égard de celui qui a eu une aussi grande place dans ma vie de théologien, de pasteur, mais avant encore, d’homme et de prêtre ».
Lors de la célébration de vêpres dans la basilique, il disait :
« La Providence a voulu que mon voyage acquière le caractère d'une véritable visite pastorale, et c'est pourquoi, en cette halte de prière, je voudrais recueillir ici, auprès du sépulcre du Doctor gratiae, un message significatif pour le chemin de l'Eglise. Ce message nous vient de la rencontre entre la Parole de Dieu et l'expérience personnelle du grand Evêque d'Hippone. […]Voilà alors le message qu'aujourd'hui encore, saint Augustin répète à toute l'Eglise… l'Amour est l'âme de la vie de l'Eglise et de son action pastorale. […] Seul celui qui vit l'expérience personnelle de l'amour du Seigneur est en mesure d'exercer la tâche de guider et d'accompagner les autres sur le chemin de la "sequela" du Christ.
[…] Servir le Christ est tout d'abord une question d'amour. Chers frères et sœurs, que votre appartenance à l'Eglise et votre apostolat resplendissent toujours pour le détachement de tout intérêt individuel et pour l'adhésion sans réserve à l'amour du Christ. Les jeunes, en particulier, ont besoin de recevoir l'annonce de la liberté et de la joie, dont le secret se trouve dans le Christ. C'est Lui la réponse la plus vraie à l'attente de leurs cœurs inquiets en raison des nombreuses questions qu'ils portent en eux. En Lui seulement, Parole prononcée par le Père pour nous, réside l'union de la vérité et de l'amour dans laquelle se trouve la plénitude de la vie. Augustin a vécu en première personne et a exploré jusqu'au bout les interrogations que l'homme porte dans son cœur et il a sondé les capacités qu'il a de s'ouvrir à l'infini de Dieu »[6].
Bonne fête à tous de Saint Augustin!
P. SILVIO MORENO, IVE
[1] Cf. Giuseppe Frangi in http://www.30giorni.it/articoli_id_10339_l4.htm ; M. Poujoulat, Histoire de Saint Augustin, 5ème édition, Tours, 1876 ; http://cisseron.canalblog.com/archives/2010/09/15/19074603.html ; Benoit XVI, Saint Augustin au seuil de sa mort, catéchèse du 16 janvier 2008 ; Possidius de Calama, Vie de Saint Augustin.
[2] Possidius, Vie de Saint Augustin, ch. XXIX.
[5] L'église est mentionnée par Dante Alighieri dans sa Divine Comédie (Paradis, X, 128).
[6] Cf. Benoit XVI, Homélie des vêpres à Basilique de "San Pietro in Ciel d'Oro", Pavie, Dimanche 22 avril 2007.