Les commentaires scripturaires de saint Thomas d'Aquin constituent une part importante de son enseignement. La fonction éminemment contemplative du théologien consistait à méditer et à prier la parole de Dieu pour ensuite l'interpréter et tâcher d'en faire saisir tous ses sens. La seule œuvre académique de Thomas qui puisse être attribuée avec certitude à sa période napolitaine (1272-1273) est sa série de leçons sur les psaumes 1 à 54.
Ainsi dans le prologue au commentaire des Psaumes, saint Thomas nous explique :
A. La matière est universelle. En effet, tandis que chaque livre de la bible contient des matières particulières, le psautier renferme la matière générale de toute la théologie ; c'est-à-dire un cantique des toutes les opérations divines et sacrées. Une hymne à l’œuvre divine.
Or l'œuvre de Dieu est quadruple : - L'œuvre de la création. - L'œuvre du gouvernement. - L'œuvre de la rédemption. En effet, selon saint Thomas, les finalités de l'Incarnation sont clairement exposé dans ce recueil, de telle sorte qu'il semble être presqu'un évangile, et non une prophétie. - L'œuvre de la glorification (de la création et des hommes).
Or, traiter sur l'œuvre divine signifie parler de la divinité et pour cela ce livre se rapporte fondamentalement au Christ : « Car il a plu à Dieu de faire résider en lui toute la plénitude de la divinité». Voilà pourquoi la matière de ce livre est surtout le Christ ainsi que ses membres. Voilà pourquoi il est aussi le livre le plus utilisé dans l'Église.
En effet dès les tout premiers siècles du christianisme, le psautier fut intégré au culte chrétien comme le chant liturgique officiel de l'Église. Vers le IIème siècle l'ensemble des cent cinquante psaumes du psautier était récité une fois par semaine par les clercs astreints à la célébration du culte liturgique, et par les moines, qui par leur profession étaient tenus à l'office divin au chœur. Au temps de saint Benoît, la coutume existait depuis longtemps de chanter le psautier en son entier chaque semaine. Dans sa Règle, saint Benoît prévoyait que chaque semaine les cent cinquante psaumes soient chantés (RB 18, 23). Au temps de Charlemagne, l'ensemble du psautier fut divisé en deux parties : les psaumes 1 à 108, avec quelques exceptions, formaient l'office nocturne des matines (office de Lectures), et les psaumes 109 à 150, à l'exception du psaume 118, formaient l'office de vêpres. Au XIIème siècle, les ordres religieux, les Dominicains y compris, ont adopté cette répartition fondamentale.
B. Sous quelle forme a été conçu le livre des psaumes ? Sous forme de déprécation ou de louange : « Je te louerai Seigneur de tout mon cœur ; je raconterai toutes tes merveilles». Et ces mots justifient le titre : « Soliloques du prophète David au sujet du Christ ». Une hymne est une louange divine accompagnée du chant. Il convient donc de louer Dieu avec exultation. Le soliloque est la conversation de l'homme avec Dieu seul à seul, ou avec soi uniquement, car cela convient à celui qui qui prie. Cela explique la raison pour laquelle nous chantons les psaumes dans l’Eglise spécialement dans la liturgie des heures.
C. La finalité du livre des Psaumes est la prière qui est une élévation de l'esprit vers Dieu. On lit en effet dans un psaume : « Que ma prière soit dirigée comme l'encens en ta présence : que l'élévation de mes mains soit un sacrifice du soir». Or, les psaumes élèvent l'âme vers Dieu de quatre manières. - D'abord pour admirer la puissance de Dieu (foi). - Ensuite l'âme s'élève pour tendre à la béatitude éternelle (espérance). - Puis l'âme s'élève afin d'adhérer à la bonté divine et à la sainteté (charité). - Enfin l'âme s'élève pour imiter la justice divine dans son action (justice).
Donc la finalité du livre des Psaumes, c'est que l'âme soit unie à Dieu.
D. Finalement parlons sur l’auteur du livre des Psaumes : il a été écrit par l'impulsion de l'inspiration divine. En effet affirme l’apôtre : « Ce n'est pas par vouloir humain que la prophétie a jamais été apportée ; mais c'est inspirés par l'Esprit-Saint qu'ont parlé les saints hommes de Dieu». On peut dire donc que la langue humaine se comporte à l'égard de l'Écriture sainte comme la langue d'un enfant qui répète des paroles données par un autre. Ainsi ce livre peut être dit parole de Dieu parce que :
a. il est une doctrine qui émane de la parole glorieuse de Dieu.
b. dans ce livre est contenue la gloire de Dieu annoncé par le psalmiste.
c. la gloire de Dieu est la même chose que la clarté ; et la révélation de cette prophétie fut glorieuse parce que claire. En effet David prophétisa par la manifestation de la vérité elle-même sous l'inspiration du Saint-Esprit sans aucune aide extérieure. Car les autres prophètes, comme le dit saint Augustin, prophétisèrent des faits et des paroles par des images de ces réalités et sous un langage voilé, c'est-à-dire par des songes et des visions ; tandis que David, lui, fut simplement instruit de la vérité.
d. finalement il nous invite à la gloire à la glorification de Dieu.
Résumé : La matière de ce recueil est donc manifeste, car il s'agit de toute l'œuvre du Seigneur ; il se présente sous forme de prières et de louanges ; afin que nous soyons élevés et unis au Très-Haut et au Saint ; l'auteur, c'est l'Esprit-Saint lui-même qui le révèle.
Trois questions complémentaires évoquées par saint Thomas
a. Il y a 3 différentes traductions des psaumes : La première remonte à l'Église du temps des Apôtres, et celle-ci avait été altérée au temps de saint Jérôme (IVème siècles) à cause des écrivains. Et c'est pourquoi sur la demande instante du pape Damase, saint Jérôme entreprit la correction du psautier, et telle est la version qu'on lit en Italie.
Cependant parce que cette traduction différait du texte grec, saint Jérôme traduisit de nouveau le psautier, sur la demande instante de Paula, du grec en latin, et c'est cette version que le pape Damase fit chanter en France ; et elle concorde mot à mot avec le grec (Psautier gallican). Par la suite, un certain Sophronius entrant un jour en discussion avec les Juifs - puisque les Juifs soutenaient que certaines choses ne figuraient pas dans l'hébreu telles qu'il les avait introduites dans sa deuxième traduction du psautier - demanda à saint Jérôme de traduire le psautier de l'hébreu en latin. Saint Jérôme consentit à sa demande, et sa traduction concorde en tout point avec l'hébreu ; mais cette version n'est chantée dans aucune église, cependant beaucoup la possèdent.
Saint Thomas n'a pas précisé sur quelle version il s'est fondé pour ses leçons. Cependant la comparaison entre le Psautier romain et gallican (PL 29, 119-398) montre clairement que son texte de base fut le Psautier gallican, tandis que le Psautier romain est mentionné comme l'alia littera.
b. Quant à la manière de commenter les psaumes (et cela nous aide pour toute la bible) c’est saint Jérôme qui nous donne, dans son commentaire sur Osée, une règle que nous devons observer pour les psaumes : à savoir que les faits doivent être exposés comme une figure du Christ ou de l'Église. Car les prophéties sont parfois dites à propos de choses qui étaient alors contemporaines, cependant elles ne se rapportent pas principalement à elles, mais en tant qu'elles sont une figure des événements à venir. Par exemple dans le livre de Daniel, beaucoup de choses sont dites au sujet d'Antiochus comme figure de l'Antéchrist. C'est pourquoi on y dit certaines choses qui ne se sont pas accomplies en celui-ci, mais qui trouveront leur achèvement dans l'Antéchrist ; il en est de même de certaines choses lues à propos du règne de David et de Salomon, qui ne devaient pas s'accomplir au cours du règne de ces hommes, mais qui le seront lors du règne du Christ, et qui ont été dites pour le préfigurer. Par exemple dans le psaume 71 : « Dieu donne ton équité au roi, et ta justice au fils du roi », psaume qui selon le titre parle du règne de David et de Salomon : et il expose dans son contenu quelque chose qui dépasse leur pouvoir : « En ces jours la justice fleurira, et une abondance de paix : jusqu'à ce que la lune disparaisse entièrement ». Et encore : « Et il dominera depuis une mer jusqu'à une autre mer, et depuis un fleuve jusqu'aux limites de la terre. » Ainsi ce psaume est-il exposé à propos du règne de Salomon en tant qu'il est une figure du règne du Christ, en qui toutes les choses qui ont été dites trouveront leur achèvement.
Saint Thomas n'a pas rédigé de traité sur l'Église, mais on peut dégager son ecclésiologie en recueillant dans l'ensemble de ses ouvrages les citations qui la concernent. Et son commentaire sur le psautier renferme à cet égard une richesse doctrinale qui mérite d'être mise en valeur. En voici deux passages remarquables : « Les choses qui concernent les membres, le Christ les dit de lui-même, pour cette raison que le Christ et l'Église forment un seul corps mystique ; conséquemment, ils parlent comme une seule personne : le Christ se transformant en Église et l'Église en Christ (Ps 21, 2). » - «Le Christ et l'Église sont une seule personne (Ps 30, 1)». Ce lien inséparable entre le Christ, l'Église et ses membres que saint Thomas souligne avec constance tout au long du Super Psalmos traduit bien son expérience vécue de la liturgie. Sa spiritualité ecclésiale nous invite à entrer dans une prière plus profonde des psaumes qu'il considérait « presque comme un évangile », et à faciliter l'actualisation de leur pratique.
c. La division du livre des psaumes : je m’arrête sur deux divisions proposées par saint Thomas
a. la première division des psaumes considère d'abord le fait qu'il y a 150 psaumes ; et ceci convient au mystère, car ce nombre se compose de 70 et de 80. Par le nombre 7, à partir duquel nous formons le nombre 70, est signifié l'évolution de ce temps qui se déroule en 7 jours. Par le nombre 8, à partir duquel nous formons celui de 80, est signifié l'état de la vie future. Car le huitième jour est celui des ressuscités, et signifie que dans ce livre il est question des choses qui regardent le cours de la vie présente et celles de la gloire future.
De même par le nombre 7 est signifié l'Ancien Testament. Car les Pères de l'Ancien Testament servaient Dieu en septénaire : en effet ils observaient le septième jour, la septième semaine, le septième mois, et la septième année de la septième décade qui est appelé « jubilé ». Par le nombre 8 est signifié le Nouveau Testament : car nous célébrons le huitième jour, c'est-à-dire le jour du dimanche en raison de la solennité du dimanche de la résurrection. Et dans ce livre sont contenus les mystères de l'Ancien et du Nouveau Testament.
b. la deuxième division se fait comme suit : les psaumes sont divisés en trois groupes de cinquante, et cette répartition comprend les trois états du peuple fidèle : - L'état de la pénitence auquel est ordonnée la première cinquantaine qui se termine par : « Miserere mei Deus (Aie pitié de moi, ô Dieu) », qui est un psaume de pénitence. - La seconde est ordonnée à la justice qui consiste dans le jugement, et elle se termine au psaume 100 : « Je te chanterai la miséricorde et le jugement, Seigneur.»
- La troisième se conclut sur la louange de la gloire éternelle, et c'est pourquoi elle se termine par : «Que tout ce qui respire loue le Seigneur. »
Par ailleurs en ce qui concerne l'ordre des psaumes, il faut savoir que certains d'entre eux sont historiques, mais n'ont pas été établis selon le déroulement de l'histoire. Donc la première cinquantaine se rapporte à l'état de la pénitence, et c'est pourquoi ils traitent de manière figurative des tribulations et des luttes de David, ainsi que de sa libération. Deux furent les grandes tribulations de David (2 persécutions) : En premier lieu face à la persécution qui sévit contre sa personne, puis face à celle qui sévit contre tout le peuple de Dieu. Et c'est pourquoi ce livre expose d'abord les psaumes qui concernent la première persécution de David, en tant que ceux-ci signifient la persécution contre le Christ et l'Église. Ensuite il expose ceux qui se rapportent à la seconde tribulation ».
Mais David a souffert des persécutions spécialement de la part de deux personnes : d'Absalom son fils et de Saül le roi d’Israël. Et cela préfigure la persécution que les saints endurent ou bien de la part de familiers, ou bien de la part d'étrangers : comme le Christ a souffert de la part de Judas, et de la part des Juifs.