LA NASSAINCE DE JESUS - COMMENTAIRE BIBLIQUE (Lc 1 et 2)

LA NASSAINCE DE JESUS - COMMENTAIRE BIBLIQUE (Lc 1 et 2)

La narration de noël chez saint Luc est bien marquée par 4 étapes différentes :

- le recensement, où Joseph est le seul sujet du transfert de Nazareth à Bethléem.

- La naissance de Jésus où Marie devient le seul sujet pour l’enfantement.

- L’annonce aux Bergers : nouveaux sujets, seuls bénéficiaires de la triple manifestation céleste : l‘ange du Seigneur, la gloire du Seigneur, et l’armée céleste.

- La visite des bergers à la crèche et le triple retentissement de leur union avec le Christ : diffusion de la bonne nouvelle, méditation de Marie, action de grâces des bergers.

1. Le recensement 2, 1-5.

Cette séquence commence par un programme terrestre, qui va déboucher sur l’interruption inattendue d’un programme céleste, où Dieu se manifeste. Ici, le programme terrestre est celui du pouvoir suprême : César Auguste, auquel on doit l’établissement de l’ordre romain. Il entend recenser la totalité du monde habité. L’empereur, destinateur universel, va donc englober le Messie et ses parents. De cet échelon suprême et universel on passe au cas individuel de Joseph. Ce personnage jusqu’ici passif et sans emploi, trouve ici, pour la première fois, un rôle actif : il réalise ce voyage forcé.

Tout le récit est centré sur la topographie. Luc oppose avec une exceptionnelle précision les deux régions : Galilée et Judée, et les deux villes, qui sont le point de départ et le point d’arrivée : Nazareth et Bethléem. Cette dernière ville est tout d’abord désignée comme la ville de David. Cette expression est étrange, car cette locution, utilisée une 50 de fois dans la bible désigne plutôt Jérusalem : la capitale, conquise par David. Joseph est donc situé dans son rôle de fils de David, de la maison de David.

Un élément s’ajoute : il est conjoint à Marie. Le recensement va donc concerner 2 personnes et bientôt 3, car l’enfant va naitre à Bethléem. Nous voyons ainsi s’accomplir le programme qui avait été posé dans l’annonce de l’Ange à Marie : « Le Seigneur lui donnera le trône de David son père ». Cet oracle était un écho de la prophétie de messianique de Natan en 2 Samuel 7, 12-17 : « Quand tes jours seront accomplis et que tu reposeras auprès de tes pères, je te susciterai dans ta descendance un successeur, qui naîtra de toi, et je rendrai stable sa royauté. C’est lui qui bâtira une maison pour mon nom, et je rendrai stable pour toujours son trône royal. Moi, je serai pour lui un père ; et lui sera pour moi un fils. ...Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi, ton trône sera stable pour toujours» ; et de Michée 5, 1-5 : « et toi, Bethléem Ephrata, le moindre des clans de Judée, c’est de toi que naitra celui qui doit régner sur Israël au temps où enfantera celle qui doit enfanter ». Luc fonde ainsi cette qualification royale sur la seule conjonction topographique. Il manifeste aussi que Marie fait ce voyage, non au titre de fille de David, mais avec Joseph, chef de famille, héritier de cette lignée royale, soumis au décret de César Auguste.

Toute cette partie du récit biblique nous aide à mieux contempler la figure de saint Joseph.

La grandeur de saint Joseph consiste dans le fait qu’il a été l’époux de Marie et le père adoptif de Jésus. Saint Paul VI observe que sa paternité s’est exprimée concrètement dans le fait « d’avoir fait de sa vie un service, un sacrifice au mystère de l’incarnation et à la mission rédemptrice qui y est jointe ; d’avoir usé de l’autorité légale qui lui revenait sur la sainte Famille pour lui faire un don total de soi, de sa vie, de son travail… ».

Mais le rôle de Joseph ne peut certainement pas se réduire à cet aspect juridique. Il est le modèle de l’homme « juste » (Mt 1, 19), qui, en parfaite harmonie avec son épouse, accueille le Fils de Dieu et veille sur sa croissance humaine.

Saint Jean-Paul II, dans l’Exhortation apostolique Redemptoris Custos, "Le Gardien du Rédempteur", met en lumière le silence de saint Joseph. Son silence est un silence empreint de contemplation du mystère de Dieu, dans une attitude de disponibilité totale aux volontés divines. En d’autres termes, le silence de saint Joseph ne manifeste pas un vide intérieur, mais au contraire la plénitude de foi qu'il porte dans son coeur, et qui guide chacune de ses pensées et chacune de ses actions. Un silence tissé de prière constante, prière de bénédiction du Seigneur, d’adoration de sa sainte volonté et de confiance sans réserve à sa providence.

Laissons-nous « contaminer » par le silence de saint Joseph ! Nous en avons tant besoin, dans un monde souvent trop bruyant, qui ne favorise pas le recueillement et l’écoute de la voix de Dieu. En ce temps de Noël, cultivons le recueillement intérieur, pour accueillir et conserver Jésus dans notre vie.

Finalement voyons aussi la docilité de la sainte Famille pour accomplir la volonté de Dieu. Cela nous aide à mieux comprendre l’accomplissement de la volonté de Dieu dans notre vie, malgré notre révolte et souvent notre incompréhension. Il faut y voir la Providence divine qui dépasse notre compréhension : ce sont « les projets de son cœur »  qui subsistent d’âge en âge et dépassent infiniment la compréhension des hommes : « Mes pensées (dit Dieu) ne sont pas vos pensées, et mes voies ne sont pas vos voies – oracle de Yhwh – car autant le ciel est plus haut que la terre, autant mes voies sont plus hautes que vos voies, et mes pensées que vos pensées » (Is 55,8-9).

2. La naissance (2, 6-7)

« Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de la place pour eux dans la salle commune ».

Dans le récit de la naissance, Joseph disparait. La fonction de sujet passe à Marie seule. La naissance est décrite avec une sobriété frappante. Toute l’activité est attribuée à Marie seule. Elle enfante, elle lange et installe le bébé, sans rien qui suggère difficulté, douleur ou aide obstétrique. Marie emmaillote et couche elle-même l’enfant dans la crèche.

Luc répète deux fois le mot enfanter, comme sa source, la prophétie de Michée, mais il élimine toute la douleur. Il décrit Marie sereine et libre de ses mouvements : suggestion qui a exercé une influence sur la tradition chrétienne de l’enfantement sans douleur.

Joseph, qui était tout pour la localisation de la naissance, n’est plus rien pour la naissance même de Jésus.

Dans cet épisode la pauvreté de Jésus est manifeste, sans dramatisation, mais avec une sobriété forte. Il est emmailloté, lié, couché, dans une mangeoire : lieu spécifique des animaux. Jésus naissant n’est pas qualifié de bébé, mais d’abord de premier-né, mot rare, mais de grande valeur dans le Nouveau Testament. Il connote la nouvelle création. Le mot signifie parfois fils unique. La signification é importante : s’il convient à l’héritage royal, et au Fils de Dieu, il a surtout pour fonction de préparer la suite : la consécration des premiers-nés, c’est-à-dire les nouveaux chrétiens que nous sommes.

La pauvreté que signifié la mangeoire est expliquée par le fait qu’il n’y avait pas de place pour eux dans le Katalyma. Ce terme désigne un lieu hospitalier (mais non pas une auberge) ouvert aux voyageurs des caravanes de passage (caravansérail) ; mais il peut s’agir aussi d’un logis hospitalier où il n’y aurait pas de place dans la salle de séjour. La sainte Famille aurait alors été réduite à la salle annexe servant d’étable, pour l’accouchement. La nuance « pas de place pour eux » peut référer à la condition prégnante de Marie. Ainsi la raison qu’empêchait d’accueillir la Sainte Famille ne semble pas être l’affluence des gens par le recensement, mais l’état de Marie sur le point d’accoucher. Ainsi donc à défaut de la salle commune, qui constituait la maison même, la sainte Famille a trouvé un endroit discret pour l’accouchement dans une pièce attenante, servant d’étable, comme le suggère la mangeoire.

L’accouchement était donc une gêne pour les autres. C’est le thème repris et renforcé par le Prologue de saint Jean (1, 11), basé pas à pas sur Lc 1-2 : « Il vint chez lui - dans sa ville – et les siens ne le reçurent pas ». Le Messie nait dans l’u-topie, au sens propre du terme que signifié non-lieu. Certes, il nait dans une ville davidique et royale qui convient, mais dans ce lieu-là, il n’y a pas de place pour lui. La pauvreté, l’humiliation, le rejet et en définitive la croix, qui sera en plein relief dans l’Evangile de Luc, commence dès sa naissance.

Contempler : Jésus poussé par l’amour de la pauvreté et des hommes jusqu’à vouloir naître dans une étable, n’ayant pour berceau qu’une misérable crèche et qu’un peu de paille pour couchette. Nous pouvons nous examiner sur notre amour de la véritable pauvreté, celle intérieure qui nous invite à mépriser tous les biens de la terre pour ne plus m’attacher qu’aux biens impérissables du ciel. Dieu se fait homme pour ceux qui ressentent le besoin de son amour et de son pardon. Jésus est né pauvre, il a mené une vie simple pour nous apprendre à saisir l’essentiel et à en vivre. De la crèche émerge le message que nous ne pouvons pas nous laisser tromper par les richesses mondaines et par les plaisir de ce monde. Etre disciple d’un enfant pauvre d’une crèche veut dire renoncement aux plaisirs de la chair.  

A Marie, la plus pauvre des servantes du Seigneur, nous devons demander par son intercession la grâce de son fils, afin que notre cœur se détache des biens de la terre, pour qu’il puisse s’enrichir des trésors de la grâce de Dieu.

Imaginez-vous d’être à genoux au pied de la crèche pour y adorer l’Enfant Jésus. Contemplez ce petit Enfant, ce Jésus des petits et des pauvres, ce Pain délicieux des misérables qui sentent leur indigence, ce Pasteur des brebis perdues par le péché et par l’indifférence, qui vient leur ouvrir le bercail de sa miséricorde. En voyant cette image nous devons donc préparer notre cœur qui est destiné à être la demeure du divin Enfant. Est-il, notre cœur, vraiment digne de le recevoir ?

3. L’annonce aux bergers : 2, 8-14.

La séquence commence par la présence des nouveaux personnages : les bergers se trouvent dans les « chora » les champs et la campagne, par opposition à Jésus situé dans la ville de David. Les bergers sont dans la nuit par opposition à la lumière qui va éclater : « L’ange du Seigneur leur apparut et la Gloire du Seigneur les enveloppa de sa clarté ». Ce contraste nuit et lumière a contribué à inspirer la fixation de la fête de  Noel dans le solstice d’hiver, et la célébration, par veillée nocturne avec la messe de minuit.

Mais l’important c’est de considérer la figure de Dieu. Le voici qui parait visiblement : la Gloire. C’est une nouvelle théophanie. Ce mot « Gloire » apparait pour la première fois en Luc. Il désigne, en termes de lumière, la manifestation directe de Dieu sur la terre. A Noel, la présence de Dieu n’est plus englobée dans le sein de Marie, mais englobante : elle enveloppe les bergers. Cette théophanie annonciatrice de Noel est analogue à la transfiguration par son éclat visible.

Le constat le plus significatif, c’est que la gloire de Dieu ne vient pas transfigurer le Christ-enfant, ce sont les bergers qu’elle enveloppe. Ce signe éclatant a pour fonction de les introduire à l’humilité et l’ombre de la crèche. Plusieurs crèches d’aujourd’hui font de la mangeoire de Jésus une source de lumière. Saint Luc est étranger à cette idée.

A cette théophanie visible, unique, succède le message aux bergers : « ils furent saisis d’une grande crainte. Mais l’ange leur dit : - ne craignez pas, car voici que je vous évangélise (evaggelizomai) une grande joie, qui sera celle de tout le peuple. Aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est Christ Seigneur dans la ville de David ». C’est une autre annonciation. Elle se développe selon un schéma analogue aux 2 premiers (Zacharie et Marie).

- Manifestation de l’ange.

- Crainte et paroles rassurantes.

- Annonce de l’enfant merveilleux au présent « aujourd’hui » avec les titres qui le qualifient.

- Signe donné

- Louange analogue à celle de la Visitation.

- Séparation avec départ des anges dans les 2 dernières annonces.

Mais cette annonce n’est pas préfabriquée. Elle est différente. Elle se situe dans un cadre universaliste : recensement de toute la terre et manifestation de l’armée céleste en sa multitude. Ce qui est adressé aux bergers, c’est une Bonne Nouvelle, destiné à une diffusion. On trouve ici pour la première fois le verbe « évangéliser », cher à Luc, qui l’emploie 10 fois dans son évangile, contre 1 fois dans tous les autres, et 15 fois dans les Actes des Apôtres. La joie annoncée n’est pas seulement pour les bergers, elle est pour tout le peuple.

L’enfant est qualifié par 3 titres nouveaux, de titres fonctionnels qui le réfèrent précisément au peuple :

- Sauveur, explicite le sens du nom de Jésus. Il vient sauver son peuple de ses péchés.

- Christ (hébreux Messie), c’est-à-dire Oint de l’onction royale, apparait ici pour la première fois dans l’Evangile de Luc. Il n’est explicité que dans la « ville de David » pour qualifier le Messie.

- Seigneur, ici ce titre est proclamé de manière directe et forte, comme dans les professions de foi baptismales confessant que Jésus est Seigneur.

Ces titres contrastent de manière stupéfiante avec la pauvreté du signe donné aux bergers. Les 4 mots utilisés par l’ange accumulent les caractères d’humilité :

- bébé (impuissant, sans parole).

- emmailloté (lié),

- couché, déposé (comme il le sera au tombeau), selon la double valeur du verbe Keimenon. Luc emploie aussi ce verbe en 23, 53, pour parler de Jésus déposé ou coucher dans le tombeau. Cet usage est attesté dans la tradition iconographique lorsqu’elle stylise la crèche en cercueil, où l’enfant est lié de bandelettes, comme il le sera dans la tombe.

- dans une mangeoire, lieu animal, signe de marginalisation, en dehors du milieu humain où le Sauver Christ Seigneur n’a pas été accueilli.

En quel sens la crèche est-elle un signe ? Il s’agit d’une référence au prophète Isaïe 1, 3 : « Le bœuf connait sons possesseur et l’âne, la crèche de son maitre. Israël ne connait pas, mon peuple ne comprend pas ». La ferveur des bergers, qui sauront reconnaitre la crèche, serait opposée à l’éloignement d’Israël. Mais le signe se trouve plutôt dans le contraste même : la Gloire de Dieu se révèle dans la pauvreté terrestre. Le bébé passif, lié, couché, caché, c’est lui le Sauver. Cette crèche trouve aussi sa lumière dans la prophétie de Siméon, signe non plus d’humilité, mais de contradiction.

Ce signe est orchestré côté ciel, avec une ampleur qui fait pendant au recensement universel d’Auguste : « la multitude de l’armée céleste adresse à Dieu sa louange, qui fait songer au Magnificat.

Le cantique des anges exprime avec une brève densité, l’admirable échange ciel-terre, Dieu-homme.

Finalement évoquons la visite et l’évangélisation 2, 15-20. La séquence céleste qui se termine par le départ des anges nous ramène à la terre seule, et c’est dans la plus stricte humilité terrestre que les bergers vont reconnaitre le signe, toutes lumières éteintes. Les bergers noctambules n’ont pas reçu consigne de se rendre à la crèche. C’est d’eux même qu’ils décident d’y aller. Il ne s’agit pas d’un doute à éclaircir. Leur démarche est spontanée, rapide, comme celle de Marie à la Visitation.

C’est à travers Marie et Joseph que les bergers découvrent le bébé caché dans la mangeoire. Le Signe se fait évident et malgré l’humilité radicale de ce que découvrent les bergers, leur foi est sans déception. En plus ils la répandent et la partagent. Leur rôle, c’est la diffusion de la Bonne nouvelle, qu’ils ont reçue. Marie ne participe pas à cette fonction d’évangélisation. Sa part est toute intérieure et contemplative.

Le dernier verset revient aux bergers. Il exprime leur action de grâce par le même mot : « glorifiant » qui caractérisait celle des anges. Ces hommes prolongent les anges pour l’évangélisation comme pour la louange. « Les bergers s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu de tout ce qu’ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit ».

 

(Source: René Laurentin, Les évangiles de l'Enfance du Christ, Paris, 1982)

 

           

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