CRISES DE FOI DANS L'EGLISE

CRISES DE FOI DANS L'EGLISE

Quatre objections, quatre réponses et une conclusion

par le Cardinal Robert Sarah


1. Q. – D’après l'un de mes contradicteurs, l’Église catholique "n’est pas que la hiérarchie des évêques, y compris celui de Rome, mais l’ensemble des baptisés. Pour dire quelle est la 'position de l’Église', il serait légitime de prendre l’avis de cette majorité".

R. – La première phrase est exacte. En revanche, la pensée des fidèles ne représente la "position de l’Église" que si elle-même est d’accord avec le corps des évêques. Concile Vatican II, Constitution dogmatique "Dei Verbum", n° 10: "La charge d’interpréter de façon authentique la parole de Dieu, écrite ou transmise, a été confiée au seul magistère vivant de l’Église, dont l’autorité s’exerce au nom de Jésus-Christ".

En outre, il ne s’agit pas de majorité, mais d’unanimité. Concile Vatican II, Constitution dogmatique "Lumen gentium", n° 12 : "La collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (cf. 1 Jn 2, 20, 27), ne peut se tromper dans la foi ; ce don particulier qu’elle possède, elle le manifeste moyennant le sens surnaturel de foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque, des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs, elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel. Grâce en effet à ce sens de la foi qui est éveillé et soutenu par l’Esprit de vérité, et sous la conduite du magistère sacré, pourvu qu’il lui obéisse fidèlement, le Peuple de Dieu reçoit non plus une parole humaine, mais véritablement la Parole de Dieu (cf. 1 Th 2, 13), il s’attache indéfectiblement à la foi transmise aux saints une fois pour toutes (cf. Jude 3), il y pénètre plus profondément par un jugement droit et la met plus parfaitement en œuvre dans sa vie".

Enfin, cette unanimité est une condition suffisante pour déclarer qu’une assertion est dans le dépôt révélé de Dieu (c’était le cas de l’Assomption), mais ce n’est pas une condition nécessaire : il arrive que le magistère définisse une question solennellement avant que l’unanimité soit atteinte (cas de l’infaillibilité pontificale, au concile Vatican I).

2. Q. – Selon un contradicteur dont je salue la fidélité dans le sacerdoce, des milliers de prêtres n’hésitent pas à donner la communion à tous.

R. – Signalons d’abord l’absence d’autorité doctrinale d’une telle collection de ministres sacrés, sûrement respectables par ailleurs. Ensuite, quoi qu’il en soit de l’authenticité de cette "statistique", cette position mélange, parmi les personnes qui vivent dans un état notoire et habituel de péché (par exemple adultère ou infidélité permanente à son conjoint, vols fréquents et graves dans les affaires) :
a) un fidèle qui finalement se repent avec le ferme propos d’éviter de tomber à l’avenir, reçoit alors la sainte absolution, et par conséquent peut s’approcher de la sainte Eucharistie, et
b) le fidèle qui ne veut pas cesser à l’avenir des actes d’une culpabilité objective grave, contredisant la Parole de Dieu et l’alliance signifiée précisément par l’Eucharistie.

Ce dernier cas exclut le "ferme propos", défini par le concile de Trente comme nécessaire pour être pardonné de Dieu. Précisons que ce ferme propos ne consiste pas à savoir qu’on ne péchera plus, mais à prendre dans sa volonté la résolution d’employer les moyens aptes à éviter le péché. Sans ferme propos (et sauf ignorance totale non coupable), un tel chrétien resterait dans un état de péché mortel, et commettrait un péché grave en communiant. Comme dans l’hypothèse son état est publiquement connu, les ministres de l’Église, de leur côté, n’ont pas non plus le droit de lui donner la communion. S’ils le font, leur péché serait plus grave devant le Seigneur. Ce serait résolument une complicité et une profanation préméditée du Très Saint Sacrement du Corps et du Sang de Jésus.

3. Q. – Une correspondante dont l’âge inspire le plus grand respect évoque le cas d’une catholique, divorcée suite à des violences conjugales, vivant comme "remariée", mais participant intensément à la vie de sa paroisse. Cela ne doit-il pas nous inciter à donner la sainte communion à cette personne ?

R. – Je reconnais la générosité de cœur sous-jacente à l’objection. Mais celle-ci mélange ou néglige divers aspects, que voici.
1. Si on subit des violences conjugales, on a le droit de quitter son conjoint (Code de droit canonique, canon 1153).
2. L’Église permet de demander par le divorce les effets civils d’une séparation légitime (Jean-Paul II, 21 janvier 2002, discours à la Rote romaine). Le simple divorce n’exclut pas des sacrements.
3. Un conjoint qui se livre de façon habituelle à des violences conjugales souffre probablement d’une maladie psychique, peut-être cause de nullité du susdit mariage dès le début (Code de droit canonique, canon 1095 § 3).
4. Si l’Église déclarait la nullité du premier mariage, la victime pourrait en contracter un autre, étant réunies les autres conditions de ce sacrement.
5. Il peut arriver qu’un divorcé, pour des raisons importantes, par exemple l’éducation d’enfants, ne puisse pas quitter son second conjoint. Dans ce cas, pour pouvoir être absous et accéder à la sainte communion, la personne doit s’engager à ne pas poser avec ce deuxième conjoint les actes qui, selon la loi divine, sont réservés aux véritables époux ("Familiaris consortio", n° 84). Or, l’expérience de nombreux couples montre que si c’est souvent très difficile, c’est néanmoins possible avec l’aide de la grâce de Dieu, un suivi spirituel, et la pratique très fréquente du sacrement de la Réconciliation. En effet, ce dernier permet, en cas de chutes, de repartir plus fermement dans le bon chemin, en progressant graduellement vers la chasteté.
6. La participation à la vie paroissiale d’un divorcé remarié non encore prêt à promettre la chasteté dispose précisément à ouvrir son cœur à la grâce d’émettre cette promesse nécessaire ("Familiaris consortio", n° 84).

4. Q. – Selon un autre prêtre qui s’appuie sur son expérience de missionnaire "Fidei donum" en Afrique, la famille africaine ne correspondrait pas à la description que j’en ai donnée.

R. – Je ne sais pas de quel pays et diocèse africain parle ce prêtre. Mais en Afrique de l’Ouest, malgré la présence massive de l’islam, dans la pure tradition de nos ancêtres, le mariage est monogamique et indissoluble. J’en parle dans mon livre "Dieu ou rien". Ainsi j’ai affirmé que, "pour l’instant, la famille en Afrique reste stable, solide, traditionnelle".

Je n’entendais nullement que la famille africaine non chrétienne serait un modèle, car elle souffre bien évidemment de la marque du péché et connaît aussi ses difficultés. Je prétendais seulement que dans la culture africaine en général :
1. la famille reste fondée sur une union hétérosexuelle ;
2. le mariage est envisagé sans le divorce, malgré le paradigme de la polygamie simultanée ;
3. il y est ouvert à la procréation ;
4. les liens familiaux sont envisagés comme sacrés.

 

N’est-ce pas finalement ce qu’a voulu souligner mon correspondant missionnaire ? (Je souligne ici la générosité du "Fidei donum", c’est-à-dire un prêtre diocésain occidental évangélisateur volontaire en pays de mission). Par ailleurs, la question qu’il soulève est autre : c’est celle de l’éventuelle progressivité graduelle de la pastorale d’évangélisation des familles non chrétiennes, encore imbibées de déviations provoquées par le péché, mais dont certaines traditions peuvent être évangélisées, et servir de point de départ pour l’annonce du Christ. En tout cas, si mon correspondant semble implicitement m’accuser d’avoir réduit "la famille africaine" à celle qui vit l’idéal chrétien, on ne peut la limiter en sens inverse au type polygame, de religion soit "traditionnelle", soit musulmane.

CONCLUSION. LE MAGISTÈRE DE L’ÉGLISE, CET INCONNU

Pour conclure, je me sens blessé dans mon cœur d’évêque, de constater une telle incompréhension de l’enseignement définitif de l’Église de la part de confrères prêtres. Je ne puis me permettre d’imaginer comme cause d’une telle confusion que l’insuffisance de la formation de mes confrères. Et en tant que responsable pour toute l’Église latine de la discipline des sacrements, je suis tenu en conscience de rappeler que le Christ a rétabli le dessein originel du Créateur d’un mariage monogame, indissoluble, ordonné au bien des époux, ainsi qu’à la génération et à l’éducation d’enfants. Il a en outre élevé celui-ci entre baptisés au rang de sacrement, signifiant l’alliance de Dieu avec son peuple, tout comme l’Eucharistie. Néanmoins, il existe aussi un mariage que l’Église appelle "légitime". La dimension sacrée de ce mariage "naturel" en fait une pierre d’attente du sacrement, à condition qu’il respecte l’hétérosexualité et l’égalité des deux époux quant à leurs droits et devoirs spécifiques, et que le consentement n’exclue pas la monogamie, l’indissolubilité, la perpétuité et l’ouverture à la vie.

A contrario, l’Église stigmatise les déformations introduites dans l’amour humain : l’homosexualité, la polygamie, le machisme, l’union libre, le divorce, la contraception, etc. Néanmoins, elle ne condamne jamais les personnes. Mais elle ne les laisse pas dans leurs péchés. Comme son Maître, elle a le courage et la charité de leur dire : va et désormais ne pèche plus.

L’Église n’accueille pas seulement avec miséricorde, respect et délicatesse. Elle invite fermement à la conversion. À sa suite, je promeus la miséricorde envers les pécheurs – nous le sommes tous – mais aussi la fermeté face aux péchés incompatibles avec l’amour envers Dieu, professé par la communion sacramentelle. N’est-ce pas imiter l’attitude du Fils de Dieu s’adressant à la femme adultère : "Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus" (Jn 8, 11) ?

 

*Article sur le journal l'Homme Nouveau

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