LA DOCTRINE DES INDULGENCES (II)

LA DOCTRINE DES INDULGENCES (II)

Deux questions peuvent encore nous aider à mieux comprendre comme appliquer les indulgences aux défunts :

— Peut-on appliquer l'indulgence à toutes sortes de morts?

1° L'indulgence ne pouvant servir qu'aux âmes justes, il est certain qu'on ne doit pas essayer de la gagner pour ceux qui sont manifestement morts dans un état de réprobation, par exemple, dans l'acte même du péché, dans l'impiété avec obstination, dans le libertinage sans vouloir se repentir. On ne pourrait pas davantage chercher à l'appliquer à ceux qui sont morts dans l'infidélité, dans l'apostasie, dans le schisme ou dans l'hérésie formelle ; les personnes dans cet état n'étant point membres de l'Eglise ou ayant cessé d'être en communion avec elle, ne peuvent participer à ses biens spirituels.

2° Quant à ceux qui, sans appartenir au corps de l'Église, lui sont néanmoins unis par leurs dispositions intérieures, comme seraient de fervents catéchumènes qui meurent dans la foi et la charité, le sentiment commun est qu'on peut leur appliquer les indulgences. En effet, on offre pour eux le saint sacrifice de la Messe; on l'offrirait même pour des infidèles qu'on présumerait être morts dans des dispositions saintes.

— Lorsque l'application de l'indulgence est -libre, comme cela arrive souvent, est-il plus avantageux de la gagner pour les morts que pour soi-même ?

Au premier abord, il paraît y avoir des raisons d'en douter, ou même de le nier : car, un principe reçu en morale, est que la charité bien ordonnée commence par soi-même, et Jésus-Christ loue les vierges sages qui avaient refusé de partager leur huile avec les vierges folles, dans la crainte d'en manquer elles-mêmes. Toutefois le sentiment contraire est le plus commun, et semble le mieux appuyé. Voici les principales raisons que l'on apporte en sa faveur.

1° On ne peut, il est vrai, sacrifier son salut pour, sauver les autres ; en cela la charité bien entendue commence par soi-même : mais, hors ce cas d'extrême nécessité, il y a de la générosité à préférer les intérêts du prochain aux siens propres. On n'y est pas toujours tenu : dans l'égalité ou à peu près dans l'égalité de part et d'autre, il est permis de songer à soi d'abord et la charité ainsi réglée n'a rien de désordonné. Mais celui qui, dans de pareilles conjonctures, s'oublie soi-même pour secourir son frère, fait un acte héroïque devant Dieu et devant les hommes.

2° Les âmes dont nous aurons accéléré la délivrance ne nous oublieront pas dans le ciel; peut-être nous rendront-elles au centuple ce que nous leur aurons prêté. Tout nous invite donc à avoir de la piété pour les morts, et à leur appliquer autant d'indulgences que nous le pourrons.

Il ne serait pas juste néanmoins de nous oublier totalement nous-mêmes pour ne penser qu'aux morts. L'aumône, quand elle est faite sans discrétion, devient prodigalité. Nous pourrions, partageant entre les morts et nous, gagner tantôt à leur intention, et tantôt à la nôtre.

Histoire des indulgences[1]

Tertullien, devenu montaniste, blâma la facilité avec laquelle on adoucissait la peine canonique et ou réconciliait à l'Eglise ceux qui étaient tombés dans la persécution.

Les disciples de Valdo, connus sous le nom de Vaudois et de Pauvres de Lyon, secte qui commença dans le XIIème siècle, regardaient les indulgences comme une fiction inventée par les prêtres pour séduire les peuples.

Wiclef, fameux hérétique, mort en 1384, s'éleva contre l'abus des indulgences, selon les uns, et plus probablement contre le pouvoir même de les accorder, comme il paraît par sa 42ème proposition condamnée au concile de Constance.

Tout le monde sait que Luther, fâché qu'on eût confié aux Dominicains la commission de prêcher les indulgences accordées par Léon X, plutôt que de la donner aux Augustins, dont il faisait partie, cria d'abord contre l'abus des indulgences, puis contre les indulgences elles-mêmes, contre le pouvoir du Pape et des évêques, et contre une foule d'autres articles; qu'il souleva toutes les passions, donna les plus grands scandales, et fut le chef de la reforme protestante. Voilà quels ont été, dans les siècles passés, les adversaires des indulgences.

Par ce qui concerne l’histoire des indulgences, on a toujours cru que l'Eglise avait le pouvoir d'accorder des indulgences : nous la voyons dans tous les temps, dès les premiers siècles, faire usage de ce pouvoir, et imiter, envers les coupables bien disposés, ce que saint Paul avait fait à l'égard de l'incestueux de Corinthe.

Dans les horribles persécutions que les Chrétiens souffrirent sous les empereurs païens pendant les trois premiers siècles, il s'en trouva un grand nombre que la peur ou la rigueur des tourments fit apostasier : les uns sacrifiaient aux idoles; d'autres, ne pouvant se résoudre à pousser jusque-là leur perfidie, tâchaient d'obtenir du magistrat civil un billet appelé « libelle », pour faire croire qu'ils avaient sacrifié, quoiqu'ils ne l'eussent pas fait. Quand la persécution était calmée, ces faibles chrétiens manifestaient souvent leur repentir; ils venaient en foule trouver les évêques et les prêtres, et demandaient à être admis de nouveau dans la communion des fidèles. On les soumettait auparavant à une longue pénitence publique dont il leur fallait parcourir les divers degrés. Affligés de se voir ainsi sous le poids d'une humiliante excommunication, et privés de la participation aux choses saintes, ils s'adressaient aux confesseurs qui étaient dans les prisons, obtenaient d'eux des lettres de recommandation auprès des évêques pour faire abréger leurs peines. Quand les évêques les voyaient très- repentants et les jugeaient assez éprouvés, ils leur appliquaient les satisfactions surabondantes des confesseurs et des martyrs, diminuant la pénitence qui leur avait été imposée, ou qu'ils méritaient de subir, et leur remettaient devant Dieu une partie de la peine due à leurs péchés.

Tertullien en parle dans son opuscule, « Ad martyres », chapitre premier, comme d'une pratique louable et très commune. Il est vrai que, dans le livre de Pudicitiâ, chapitre 22, il se moque de cet usage et le condamne; mais alors il était engagé dans les erreurs de Montan.

Ce qu'il dit ne laisse pas d'être précieux, car il nous montre clairement quelle était la pratique de l'Eglise dans ce temps reculé.

Saint Cyprien, qui a si souvent parlé de ces recommandations données par les martyrs, notamment dans sa dixième lettre, critique l'abus qu'on en faisait, en règle l'usage par de sages ordonnances, et ne le condamne nulle part: cette pratique n'avait donc rien que de bon, selon lui. Il est certain qu'elle supposait la persuasion où tout le monde était que l'Eglise a le pouvoir d'accorder des indulgences; car il s'agissait de remettre réellement la peine dont les fidèles étaient redevables à la justice de Dieu, et non pas seulement de remettre extérieurement la peine canonique ; pour remettre purement et simplement la peine canonique dans le for extérieur, il n'y avait pas lieu d'appliquer les satisfactions des martyrs. Ce n'aurait pas été d'ailleurs rendre un grand service aux pénitents, qui seraient restés plus coupables devant Dieu, en vertu de l'indulgence même dont on aurait prétendu les favoriser.

Tertullien, devenu hérétique, n'aurait pas eu raison, dans ce cas, de reprocher aux martyrs de vouloir en quelque sorte imiter Jésus-Christ, en remettant aussi les péchés.

Ce moyen d'obtenir l'indulgence cessa avec les persécutions. L'Église continua néanmoins d'accorder des faveurs aux pénitents qui s'en montraient dignes. Les conciles d'Ancyre, en 314, de Nicée, en 325, canon XIIème, et le IVème de Carthage, en 398, abandonnent à la discrétion des évêques l'usage de cette faculté.

Saint Basile, dans le IVème siècle, Innocent I, dans le Vème siècle, et saint Léon-le-Grand, dans le 6ème, font mention de ce pouvoir des évêques.

Dans le IXème siècle, la coutume s'établit de racheter les pénitences canoniques, surtout les jeûnes, qui étaient plus ordinairement imposés, par des psaumes récités un certain nombre de fois, par des aumônes, par des flagellations et par d'autres pratiques pieuses, moins rigoureuses que la pénitence même. L'autorité ecclésiastique réglait ces espèces de commutations. Relâchant ainsi quelque chose de la sévérité de ses lois, elle accordait devant Dieu, à ceux qui paraissaient le mieux mériter, un soulagement qu'on appelait indulgence.

En 1095, le pape Urbain II, présidant en personne le concile de Clermont, en Auvergne, accorda la rémission entière de la peine due aux péchés à tous ceux qui, par religion et non par des vues d'honneur ou d'intérêt, se croiseraient pour la délivrance des lieux saints, et mourraient chrétiennement dans l'expédition. Telle est la première indulgence plénière que nous trouvons dans l'histoire ecclésiastique.

Le concile de Trente s'est exprimé en ces termes: « La puissance de conférer des indulgences ayant été donnée à l'Église par Jésus-Christ, et la même Eglise ayant usé de cette puissance dès les premiers temps, le saint concile enseigne que l'usage des indulgences, très salutaire au peuple chrétien, et approuvé par l'autorité des saints conciles, doit être conservé ».

Le même concile frappe d'anathème tous ceux qui assurent, ou qu'elles sont inutiles, ou que la puissance de les accorder n'est pas dans l'Église.

L'Église catholique mettra, à la suite de la Réforme protestante, un frein aux abus des indulgences. Ainsi, Léon X, dans sa condamnation de Luther, rappelle la distinction entre rémission de la peine temporelle et rémission du péché à proprement parler. Néanmoins, la pratique perdure jusqu'à nos jours, encadrée d'abord par la Congrégation des indulgences, créée par Clément VIII (1592–1605) et intégrée à la Curie romaine par Clément IX en 1669 — ses compétences sont transférées en 1908 au Saint-Office puis en 1917 à la Pénitencerie apostolique, qui en a toujours la charge.

Ceux qui voudront étudier plus théologiquement cette question, auront recours à des ouvrages plus étendus, principalement au traité de Bellarmin; ils y trouveront des réponses détaillées, claires et solides, aux objections de Luther et de ses partisans.

 

[1] Cf. Jean Bautiste Bouvier, Traité dogmatique et pratique des indulgences, des confréries et du jubilé, Paris 1843, p. 10-15.

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