Aujourd’hui l’Eglise célèbre la mémoire de Jean Fischer et Thomas More. Tous les deux martyrs de la vérité.
Ce 22 Juin de 1535, après avoir été enfermé dans la Tour de Londres, John Fisher, professeur à l’Université de Cambridge et Évêque de Rochester, meurt décapité. Né en 1469, Fisher fut un humaniste et un théologien de grande envergure. Erasme disait à son sujet : « Il n’est pas d’homme plus cultivé ni de plus saint Évêque ». Pasteur dans l’un des plus petits et plus pauvres diocèses d’Angleterre ; Fisher aima et servit avec beaucoup d’attention le petit troupeau qui lui avait été confié.
Toujours à Londres, deux semaines après John Fisher, le 6 juillet 1535, sir Thomas More monte sur l’échafaud. Né dans la capitale anglaise le 6 Février 1478, après des études de droit et une période de discernement, quatre ans durant, passée dans une chartreuse, Thomas s’était orienté vers une carrière politique, jusqu’à devenir député en 1504. Grand ami d’Erasme, qui le définit comme un « modèle pour l’Europe chrétienne », Thomas, marié et père de 4 enfants, était monté, degré après degré, jusqu’à la charge de Grand Chancelier du Roi d’Angleterre : Henri VIII.
La fidélité de More et de Fisher envers le roi trouva pourtant un obstacle dans les démarches entreprises par ce dernier pour divorcer de Catherine d’Aragon et transmettre les droits de succession aux fils de sa seconde femme, Anne Boleyn. L’acte crucial, toutefois, auquel tous deux refusèrent de se soumettre et qu’ils payèrent du martyre, fut l’Acte de suprématie : puisque le pape s’opposa fermement à ce divorce, le roi décida d’être reconnu comme chef suprême sur terre de l’Église d’Angleterre et faire ainsi de sa propre volonté.
Saint Jean Paul II disait de Thomas More : « De la vie et du martyre de saint Thomas More se dégage un message qui traverse les siècles et qui parle aux hommes de tous temps de la dignité inaliénable de la conscience, dans laquelle, comme le rappelle le Concile Vatican II, réside «le centre le plus secret de l’homme et le sanctuaire où il est seul avec Dieu dont la voix se fait entendre dans ce lieu le plus intime» (Gaudium et spes, n. 16). Quand l’homme et la femme écoutent le rappel de la vérité, la conscience oriente avec sûreté leurs actes vers le bien. C’est précisément pour son témoignage de la primauté de la vérité sur le pouvoir, rendu jusqu’à l’effusion du sang, que saint Thomas More est vénéré comme exemple permanent de cohérence morale »[1].
Les écrits de prison des deux martyrs anglais, surtout les lettres de Thomas More, figurent parmi les plus remarquables témoignages de la spiritualité chrétienne. Mais parmi tous les ouvrages religieux de More en langue anglaise, le Dialogue du réconfort contre la tribulation occupe une place toute particulière. More l'a écrit à la Tour de Londres en 1534, pendant la longue et pénible captivité qui devait se terminer par son supplice. On pouvait difficilement imaginer une tribulation plus accablante et moins méritée. Nul doute qu'il n'ait souvent pensé à lui-même et demandé à Dieu la grâce de faire servir l'épreuve à son salut. Et cependant, nulle part n'affleure la moindre préoccupation personnelle, la moindre revendication, la moindre aigreur.
Il écrit ce Dialogue du réconfort en forme de dialogue entre oncle Antoine et son neveu Vincent. C’est vers la fin de son Dialogue qu’il va parler de l’esprit de flatterie, de l’adulation. Une critique sérieuse et profonde à ceux qui, hier comme aujourd'hui, vivent de louanges à cause de leurs actions, à ceux qui échappent la vérité sur leur propre vie, à ceux qui négocient avec leurs flatteurs le prix de la vérité, à ceux qui portent un double langage sur les actions des autres.
Voici un extrait de l’esprit de flatterie de saint Thomas More :
« ANTOINE : De tels flatteurs rendent les gens fous, comme le dit Térence. Leurs supérieurs ont bien des raisons de leur en vouloir.
VINCENT : Dieu leur en veut, mais non leurs supérieurs, puisque c’est pour entendre leurs flatteries qu’ils entretiennent ces flatteurs. Car ceux qui sont vaniteux, qu’ils soient nobles ou non, préfèrent les louanges aux conseils… Ils sont comme cet ami de Martial qui lui avait écrit pour lui demander son avis sur des vers qu’il avait faits, le priant de dire l’exacte vérité. Dans une épigramme, Martial répondit : « Tu me demandes la vérité ? Je vais te dire la vérité : Tu n’aimeras pas la vérité».
Le prélat dont je vous ai parlé avait écrit un traité qui devait servir à une alliance entre ce pays et celui d’un grand prince. Il pensait avoir composé son traité si sagement que le monde entier l’approuverait. Là-dessus, assoiffé de louanges, il demanda l’avis d’un de ses amis, expert en ces matières car il avait été à diverses reprises ambassadeur dans ce pays et avait lui-même composé des traités. Le prélat lui remit donc le texte du traité et lui demanda ce qu’il en pensait : « Mais, je vous en prie, dites-moi la vérité. » L’ami se fiant à ce désir parla d’une erreur qu’il voyait dans ce traité. Le prélat s’écria : « Par la messe, vous n’êtes qu’un idiot ! ».
ANTOINE : Cela se comprend, mon cher neveu, c’est ainsi que des gens en arrivent à ce que tout le monde se moque d’eux. S’ils veulent la vérité, qu’ils accordent leur estime à ceux qui disent la vérité, et n’écoutent pas les flatteurs ! Le roi Ladislas… agissait ainsi avec ses serviteurs. Quand l’un d’entre eux louait un de ses actes, une de ses qualités, il ne disait rien s’il voyait qu’il était sincère. Mais s’il s’apercevait qu’il y mêlait quelque esprit de flatterie, le roi répondait sèchement : « Ne me portez pas aux nues avec des mensonges, car je n’aime pas cela».
J’estime juste qu’on approuve chez les autres ce qu’on trouve digne de louanges, mais à condition de rester dans les limites de la vérité, cela encourage… Certes, mieux vaudrait agir bien sans en espérer nul éloge »[2].
Admirablement, cinq siècles plus tard, le Catéchisme de l’Eglise Catholique enseigne toujours la même vérité : « Est à proscrire toute parole ou attitude qui, par flatterie, adulation ou complaisance, encourage et confirme autrui dans la malice de ses actes et la perversité de sa conduite. L’adulation est une faute grave si elle se fait complice de vices ou de péchés graves. Le désir de rendre service ou l’amitié, ne justifient pas une duplicité du langage. L’adulation est un péché véniel quand elle désire seulement être agréable, éviter un mal, parer à une nécessité, obtenir des avantages légitimes » (n. 2480).
Préférons donc toujours dire la vérité aux autres, dure et réaliste soit-elle, que de les aduler ou de les flatter afin d’être considéré ou d’obtenir un service. Préférons également vivre de la vérité sur nous-mêmes et du respect de notre conscience que de nous faire aduler ou flatter par les autres. « Ne me portez pas aux nues avec des mensonges, car je n’aime pas cela».
P. Silvio Moreno, IVE
[1] Cf. Saint Jean Paul II, lettre apostolique en forme de motu proprio pour la proclamation de saint thomas more comme patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques, le 31 octobre 2000.
[2] More, Th, Dialogue sur le réconfort, in http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Thomas_More/table.htm