Toutes les béatitudes qui sont la clé d’interprétation du christianisme et de la vie d’un bon chrétien, ont un arrière-fond qui leur donne du sens. Pour comprendre cet arrière-fond des béatitudes nous allons méditer la dernière d’entre elles parce qu’elle est la plus exigeante et en quelque sorte la conclusion de toutes les béatitudes : « Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi », c’est-à-dire parce que l’on est des chrétiens et dans notre cas des chrétiens catholiques.
C’est seulement en méditant l’application de cette béatitude aux premiers siècles, c’est-à-dire la souffrance des premiers chrétiens, que nous comprendrons, je l’espère, cet arrière-fond dont on a parlé tout-à-l ’heure. Je vais vous raconter l’histoire.
Pour les premiers chrétiens, leur foi rentrait en conflit avec leur travail. Imaginez un menuiser chrétien de l’époque qui devait travailler pour construire un temple romain à une fausse divinité, ou bien une couturière chrétienne qui devait coudre des habits pour les prêtres païens qui sacrifient aux faux dieux. Que devaient-ils faire ? Un homme, afin de justifier sa conduite, avait dit à Tertullien, qui était prêtre à Carthage : Que faire ? Il faut que je travaille pour vivre ! Et Tertullien lui répondit : A quoi bon de gagner la vie du corps et perdre celle de l’âme? A cette époque si un chrétien devait choisir entre la fidélité à Jésus-Christ et le travail malhonnête ou qui conduisait au péché, il choisissait sans hésitations le Christ.
Pour les premiers chrétiens leur foi rentrait aussi en conflit avec la société et leurs amitiés. Par exemple lorsque les chrétiens recevaient des invitations aux fêtes païennes qui étaient presque toujours célébrées dans un temple païen. Ou bien à des repas amicaux mais qui exigeaient souvent de célébrer des libations et de sacrifices païens. La réponse était claire et nette : refus total. Un chrétien à cette époque savait qu’il risquait de rester seul à cause de Jésus-Christ. Souvent le choix se présentait entre les amis et le Christ.
Pour les premiers chrétiens, leur foi rentrait en conflit avec leurs familles. Toutes les familles étaient païennes et se convertir au christianisme voulait dire souvent être chassé de la maison familiale. Le christianisme était donc une épée qui divisait les familles païennes et les chrétiens acceptaient cela par amour du Christ.
Enfin, pour les premiers chrétiens la foi impliquait aussi d’énormes souffrances morales et physiques : nous connaissons bien les martyrs jetés aux bêtes dans l’amphithéâtre, mais cela n’était rien. L’empereur Néron à Rome, par exemple, brulait vif les chrétiens et les utilisait comme torches dans son jardin. C’est l’histoire. D’autres étaient grillés sur une planche brulante. D’autres subissaient la mutilation de leurs membres. Ce n’est pas agréable d’y penser, je le sais, mais c’est juste pour vous montrer qu’un chrétien de cette époque devait être disposé à renoncer à beaucoup de choses et à subir ces souffrances à cause du Christ. C’était l’accomplissement parfait de la dernière béatitude ! Où en sommes-nous maintenant, aujourd’hui ? Pourquoi n’avons-nous pas un tel courage ?
Réfléchissons : Pourquoi sont-ils allés jusqu’au bout à la suite du Christ ? Pourquoi n’ont-ils pas renoncé à certaines exigences de la foi chrétienne ? Pourquoi se sont-ils laissés massacrer d’une telle façon ? Peut-être aimaient-ils perdre leur travail ? Peut-être aimaient-ils perdre leur propre famille ? Peut-être aimaient-ils être exclu de la société ? Non, bien sûr que non ! Mais ils ont accepté tout cela en raison d’une seule chose : la cohérence de vie chrétienne ! C’est ça justement l’arrière-fond des béatitudes : la cohérence de vie chrétienne entre ce qu’ils pensaient et croyaient et ce qu’ils vivaient. Il fallait une étroite union entre la vie et la foi. C’est pour cela que les premiers chrétiens restés fidèles au Christ sont tous des saints et ce sont les hommes des béatitudes.
Vivre l’esprit des béatitudes dans la cohérence de la vie signifie donc vivre chaque jour et chaque moment de la conviction que Dieu est vivant et que son amour est le moteur de toute vie humaine authentique. Vivre les béatitudes signifie croire que les vérités contenues dans le credo catholique méritent que l’on souffre et que l’on meurt pour elles. Vivre les béatitudes signifie aussi dire la vérité et ne pas avoir une double vie. Cela signifie aussi dénoncer les mensonges en fonction desquels certains hommes essaient d’en obliger d’autres à vivre… comme l’esclavage de la prostitution ou de la traite de personnes. Vivre les béatitudes, surtout la dernière, signifie aussi ne pas tomber dans l’illusion, en écoutant la voix du relativisme régnant, que nous pourrions d’une façon quelconque adoucir ou changer les exigences de l’Evangile. Nous devons être des apôtres de Jésus-Christ et de la Vérité qu’il incarne. Point final.
Certainement l’exemple des martyrs, nous encourage aujourd’hui à vivre les béatitudes. Et nous ne prions pas seulement, si telle est la volonté du Seigneur, qu’il nous accorde le privilège de mourir de la mort d’un martyr. Mais nous devons le prier à genoux, de nous faire tous vivre, la « vie de cohérence chrétienne » d’un martyr.
P. Silvio Moreno, IVE