Nous proposons pour notre éducation chrétienne quelques éléments essentiels :
La vertu n’est pas un luxe pour quelques âmes pieuses. Elle est la façon habituelle avec laquelle l’homme agit vraiment librement. « Les vertus, dit le catéchisme de l’Eglise Catholique, sont des attitudes fermes, des dispositions stables, des perfections habituelles de l’intelligence et de la volonté qui règlent nos actes, ordonnent nos passions et guident notre conduite selon la raison et la foi. Elles procurent facilité, maîtrise et joie pour mener une vie moralement bonne. L’homme vertueux, c’est celui qui librement pratique le bien ». Donc c’est une « habitus », une qualité qui perfectionne les facultés humaines (intelligence et volonté) en leur permettant d’agir de la meilleure façon possible selon leur propre nature.
Ce sont des vertus acquises par la répétition des actes. Les actes nécessaires pour obtenir une vertu seront quantitativement plus ou moins nombreux, selon leur intensité. Il y a des vertus intellectuelles et des vertus morales.
Les vertus morales ne sont pas nécessaires pour faire une bonne action. Une personne peut agir correctement sans avoir une vertu déterminée. Mais il y a une différence importante entre celui qui possède la vertu et celui qui ne la possède pas :
1. Tout d’abord celui qui ne possède pas la vertu ne trouve pas, dans la réalisation de l’acte bon, ni la facilité, ni le plaisir (par exemple un moment d’adoration eucharistique, la visite des malades, la façon de gérer l’argent, etc.).
2. Deuxièmement, celui qui n’a pas la vertu a besoin de plus d’énergie et de décision pour réaliser l’acte bon.
3. Troisièmement, lorsque la personne qui n’a pas la vertu et se trouve dans une situation difficile, par exemple une tentation contre la chasteté, elle ne pourra la vaincre que si celle-ci a été plus ou moins prévue et pas tout-à-fait violente (par contre celui qui possède la vertu peut se maintenir ferme même si la tentation arrive à l’imprévue et de façon violente).
Une doctrine classique et fondamentale dans la morale catholique tire son origine de tout cela : pour faire « toujours » le bien il nous faut les vertus positives ; il ne suffit pas de ne pas avoir de vices. Quand une personne ne possède pas de vices, mais n’a pas non plus la vertu que l’incline positivement à un bien déterminé, elle pourra faire le bien seulement lorsqu’elle sera dans une ambiance protégée (les bonnes familles, les bonnes écoles, les séminaires, etc.). Mais, une fois qu’elle ne sera ni contenue, ni protégée par cette ambiance et qu’elle commencera à affronter par exemple les assauts de ce monde sexuellement sauvage (par exemple par l’addiction à internet et à la pornographie sur internet) c’est seulement si elle a la vertu de chasteté qu’elle pourra vaincre et continuer à choisir librement la chasteté comme mode de vie.
Pour acquérir une vertu il faut faire positivement des actes libres. Il faut choisir et vouloir la vertu. On ne peut pas se limiter à choisir une vertu parce qu’elle nous empêche de faire le mal, on doit la choisir librement parce qu’elle est belle en soi-même, parce qu’elle nous enseigne le bien et parce que c’est beau de vivre ainsi. Pour être vraiment vertueux il faut choisir en pleine liberté la façon de vivre chaste, ou humble, ou pauvre, etc.
Voilà pourquoi, nous pouvons comprendre facilement ce principe : « on ne peut pas se libérer d’un péché ou d’une mauvaise inclinaison, s’il n’y a pas une éducation à la vertu ». Et pour cela il faut savoir travailler dans l’acquisition des vertus harmonieusement : au niveau intellectuel (il faut enseigner la vérité et le bien), dans l’affectivité (il faut savoir dominer les passions) et dans la volonté (il faut apprendre à aimer le bien). Pour l’acquisition des vertus l’examen de conscience personnel et quotidien est très important ainsi que la direction spirituelle, la lecture sérieuse et profonde des bons livres catholiques.
Ecrivait saint Raphaël Arnàiz de Baron (1911-1938) : « …très souvent, si nous ne pratiquons pas la vertu, c’est dû à notre manière d’être compliquée, qui rejette la simplicité. …La vertu, Dieu, la vie intérieur ; comme il me semblait difficile de vivre cela ! Maintenant, ce n’est pas que j’aie la vertu, ou que mes connaissances sur Dieu et la vie de l’esprit soient complètement claires, mais j’ai vu qu’on arrive à cela précisément par tout le contraire, par la simplicité du cœur et par la pureté de l’esprit. Oui, effectivement ; pour avoir la vertu il n’est pas nécessaire de faire un plan de carrière, ni de se consacrer à de longues études ; il suffit de l’acte simple de vouloir ; il suffit souvent de la simple volonté. Pourquoi donc n’avons-nous pas plus souvent la vertu ? Parce que nous ne sommes pas simples ; parce que nous compliquons nos désirs ; parce que, tout ce que nous voulons, notre peu de volonté nous le rend difficile. Elle se laisse entrainer par ce qui lui plait, par ce qui est commode, par ce qui n’est pas nécessaire, et très souvent par les désirs déréglés. Si nous voulions, nous serions saints, et c’est beaucoup plus difficile d’être ingénieur que d’être saint »[2].
Vouloir s’éduquer chrétiennement signifie certainement changer de vie. Signifie souvent sortir d’un style de vie désordonné pour rentrer dans un autre guidé par les vertus.
Quelle que soit la façon dont la personne est arrivée une mauvaise conduite, elle maintien souvent une relation ambiguë : elle veut enlever ce poids qui la rend esclave, mais elle veut aussi le conserver. Pour cela il faut qu’elle se convertisse ; c’est-à-dire qu’elle abandonne le péché et qu’elle choisisse le chemin de la vertu et de la vie de la grâce.
Pour cette raison il est très important de parler du « renoncement ». L’un des obstacles dans l’éducation de la vie chrétienne est le fait de ne vouloir renoncer à rien. On ne peut pas entamer un chemin d’éducation chrétienne sans savoir renoncer à beaucoup de choses, en définitif sans savoir renoncer à soi-même. Personne ne peut chercher sérieusement Dieu tant qu’il se cherche lui-même. Donc pour que l’éducation chrétienne produise du fruit il faut, entre autres choses, que la personne apprenne à s’oublier, qu’elle sache se transcender. L’éducation chrétienne est une question de véritable amour, mais aimer signifie savoir renoncer à soi-même pour se donner entièrement à l’autre. La personne « immature » dans la vie spirituelle ne sait pas aimer, parce qu’il ne sait pas renoncer.
Notre Seigneur l’avait déjà dit : Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive (Mt 16, 24). Nous le répétons, sans le renoncement on ne peut pas avoir une croissance spirituelle, humaine et psychologique harmonieuse. Jésus insiste encore sur cette vérité : Celui qui conservera sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera (Mt 10, 39). Donc qui cherche sa vie dans l’égoïsme et l’isolement se retrouvera finalement complètement perdu, par contre qui sera capable de renoncer par amour de Jésus, celui-là trouvera la vraie félicité.
Mais lorsqu’on parle de renoncement à quoi fait-on référence concrètement ?
- savoir renoncer à tout posséder,
- renoncer aux goûts personnels, à toujours chercher à « se sentir bien » (le grand problème des états animiques),
- renoncer à l’orgueil, à être le centre d’attention,
- renoncer à l’esprit d’indépendance (pour une bonne éducation chrétienne nous avons besoin d’aide, que nous dépendons de quelqu’un pour guérir, que nous ne pouvons pas être seuls dans le chemin de la conversion),
- renoncer à l’esprit de mensonge et de double vie, à vouloir toujours excuser ses propres défauts et péchés.
- renoncer à ses propres points de vue et savoir obéir et se laisser guider sur le chemin de la conversion.
- renoncer au plaisir facile, immédiat et instantané.
- renoncer souvent au bien physique en faisant des pénitences afin de mortifier les gouts et sensualités corporelles.
Le Docteur Victor Frankl a exprimé extraordinairement cette vérité en disant : « …l’existence humaine se caractérise, en définitif par le fait de l’auto-transcendance. C’est-à-dire que le fait d’être un homme au-dessus de soi-même nous oriente vers quelque chose qui n’est pas nous même, vers quelque chose ou quelqu’un : vers un sentiment que nous pouvons atteindre ou bien vers un autre être humain que nous aimons. Et seulement dans la mesure où l’homme sort de lui-même, se réalise soi-même : dans le service à quelque chose ou dans l’amour d’une autre personne. Plus il se donne à son travail, et à son partenaire, plus il devient personne et plus il devient soi-même »[3].
C. Eduquer au silence[4]
Je pense aussi qu’un aspect nécessaire pour toute éducation chrétienne est bien l’éducation au silence intérieur et extérieur surtout chez les enfants et les jeunes. Malheureusement, comme le disait Bernanos dans une phrase devenue célèbre : « Le monde moderne est une conspiration contre toute espèce de vie intérieure »[5].
Le silence est tout d’abord indispensable pour prendre conscience de soi-même, il est indispensable à l’élaboration d’une pensée intérieure qui va aider à construire notre propre personnalité, en permettant une intériorisation, un retour sur soi, une paix intérieure. Nécessaire à la construction personnelle, le silence est donc aussi nécessaire à la construction de l’être relationnel : l’écoute réelle de l’autre. Le silence n’exclut pas complétement la parole, il exclut le bavardage, et aussi le désir obstiné de l’information extérieure. Le vrai silence ne s’obtient donc pas par un « taisez-vous !» mais par un « Pensez ! Rentrez en vous-même pour découvrir autre chose ».
Le silence est le moyen pour écouter notre créateur. Tout croyant qui fait l’expérience de la prière le sait bien : le silence est indispensable au recueillement, il est nécessaire pour goûter la présence de Dieu en soi et se rendre attentif à sa voix. Car le silence est un vide nécessaire que Dieu va pouvoir remplir de sa présence. C’est là le but du silence : faire une place à Dieu, se taire pour se mettre à son écoute, se faire petit pour qu’il grandisse en nous, oublier le monde pour s’oublier en Lui. Le silence permet la maîtrise de soi, de son corps, de ses pensées, il permet d’écarter toute idée étrangère pour se fixer en Dieu.
Notre mode de vie moderne, urbain et agité, laisse très peu de place au silence. La plupart de nos contemporains sont effrayés par le silence, ils ont peur de se retrouver face à eux-mêmes et ainsi n’ont aucune espèce de vie intérieure, vivant à la surface d’eux-mêmes et ne recherchant jour après jour que les plaisirs d’une vie hédoniste et superficielle. Combien d’adolescents avouent qu’ils ne supportent pas le silence, qu’ils ont besoin de musique, d’internet, du téléphone afin de pouvoir communiquer à tout instant.
Une disciple de Maria Montessori parlait du silence ainsi : « Dehors, il y a le monde. Dehors, il y a le bruit. Il y a la hâte, la convoitise, la vanité. Mais la maison n'est pas dehors : c'est dedans. Ce n'est pas le monde, c'est nous. Il ne tient qu'à nous de remplir la maison de silence. Le silence repose, apaise, guérit, console. Il répare les forces, protège la vie, favorise la pensée. Le silence rend meilleur… Le silence est une conquête sur soi et un triomphe sur le monde… »[6].
Il faut tout d’abord que les parents aient eux-mêmes une vie intérieure féconde et aiment le silence pour vouloir l’apprendre à leurs enfants, qu’ils réalisent que le foyer familial doit laisser place à des espaces de silence et de dialogue qui permettent de préserver l’équilibre nerveux, psychique et spirituel de tous. Ne jamais remplacer le dialogue vrai et réel en famille par le dialogue cybernétique !
Mais après le « silence des oreilles », il faut également apprendre le « silence des yeux ». Nous l’avons déjà dit, nous vivons dans un monde où « l’audio-visuel » règne en maître : non seulement il y a du bruit partout, mais d’innombrables images sur internet nous sollicitent en permanence : magazines, affiches, panneaux publicitaires, films, etc. Désormais cela est arrivé au point d’une véritable agression. Est-il possible d’absorber tant d’images sans se retrouver complètement dispersés, énervés, « éclatés » ? Pour éviter ce danger il faut éduquer aussi au réel.
D. Eduquer au réel[7]
Le vaste champ virtuel est particulièrement dangereux pour les jeunes et pour leur conscience. Le monde virtuel risque de déformer la conscience personnelle et de bloquer une bonne éducation chrétienne. Dans un monde irréel, l’intelligence des personnes ne peut pas se construire, elle ne parvient jamais à atteindre le vrai qui est pourtant son but et stérilise ainsi l’intelligence et toute la vie intérieure. Dans l’irréel, aucun contrôle de l’erreur n’est possible, rien ne peut y unir la pensée, et la volonté n’y a aucune part, le virtuel conduit à l’éclatement de la personne. Bien au contraire c’est la parole qui construit, qui permet la connaissance, qui éduque. C’est donc dans une relation concrète, riche et constante que l’on pourra éduquer car c’est la relation qui permet l’échange, la discussion, l’écoute de la parole de l’autre. Pour former la conscience donc il ne suffit pas de connaitre de bonnes méthodes, il faut avant tout être, ce qui est beaucoup plus difficile et exigeant.
Pour cela une bonne éducation au réel commence par un travail préventif qui consiste à éviter par tous les moyens possibles l’exposition des personnes (surtout les enfants et les jeunes) aux pièges du cyberespace. Cela exige une vigilance déterminée de la part des parents et des éducateurs par rapport à ce que leurs enfants regardent sur internet ou par e-mail ou par téléphone. Il est absolument nécessaire de réduire la presque pathologie que chaque personne a aujourd’hui avec les instruments de communication digitale. Il existe, et c’est un constat quotidien, un abus d’internet, surtout de la téléphonie portable tellement exagéré qu’il est en train d’altérer la capacité de relation des personnes et leur captation de la réalité. Il faut l’avouer la première responsabilité (sur ce problème) est celle de parents qui, cédant à la pression de leurs enfants par manque d’autorité, laissent les enfants et les jeunes acquérir une vraie dépendance à ces instruments de communication sans pour autant en avoir un véritable besoin, mais tout simplement à cause de la mode ou de l’idée obstinée de rester en communication 24 heures sur 24 heures… sans avoir une vraie connaissance de l’autre. Tant que les parents et les éducateurs ne s’aperçoivent pas de ce danger le problème ne sera pas résolu.
E. Eduquer aux commandements
-Intérioriser : c’est-à-dire comprendre la valeur intrinsèque de chaque commandement. Nous devons savoir que chaque commandement inclut un aspect positif (les biens qu’il faut protéger) et un aspect négatif (interdit les actes qui peuvent détruire ces biens). Les commandements protègent, défendent, et encouragent les biens fondamentaux de la personne humaine, sans lesquels la personne ne peut ni mûrir, ni se perfectionner, ni être heureuse. Donc éduquer aux commandements signifie les présenter comme aimables par la personne en sachant qu’ils contiennent l’objet de notre félicité. Dieu nous demande de vivre les dix commandements parce qu’en eux se trouvent notre bien et notre félicité. Il s’agit d’une conviction profonde dans notre intelligence et notre volonté. L’immaturité psychologique ou affective, morale et spirituelle trouve généralement ses racines dans une mauvaise compréhension des commandements. Donc il faut apprendre à vivre les commandements.
-Intime connexion : pour cela nous devons comprendre cette unité et connexion des commandements. Nous devons observer les dix commandements dans l’ensemble. Nous ne pouvons pas dire, « je suis un homme de bien, parce que je n’ai jamais volé ou tué quelqu’un ». Courage, j’aimerais lui dire, il te manque encore 8 commandements pour être un homme de bien. « C’est donc l’ensemble de la Loi qui sauvegarde pleinement la vie de l’homme. Cela explique qu’il est difficile de rester fidèle au « tu ne tueras pas » quand on n’observe pas les autres paroles de vie (Ac 7, 38) auxquelles ce commandement est connexe. En dehors de cette perspective, le commandement finit par devenir une simple obligation extrinsèque, dont on voudra voir bien vite les limites et à laquelle on cherchera des atténuations ou des exceptions »[8].
Jésus-Christ et l’amour des commandements
La Loi nouvelle ou Loi évangélique est la perfection ici-bas de la loi divine, naturelle et révélée. Elle est l’œuvre du Christ et s’exprime particulièrement dans le Sermon sur la montagne (substantiellement le chapitre 5 au 7 de l’évangile de Saint Mattieu). La Loi nouvelle est la grâce du Saint-Esprit donnée aux fidèles par la foi au Christ. Elle use du Sermon du Seigneur pour nous enseigner ce qu’il faut faire, et des sacrements pour nous communiquer la grâce de le faire. La Loi évangélique accomplit donc parfaitement les commandements de Dieu.
u fond nous devons comprendre et faire comprendre une grande vérité cachée dans les paroles de notre Seigneur : Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui qui m’aime ; or celui qui m’aime sera aimé de mon Père et je l’aimerai et je me manifesterai à lui (Jn 14, 21-24). Vérité cachée parce que beaucoup comprennent cette phrase de façon incomplète. Notre Seigneur nous dit que le même amour que nous avons pour lui nous poussera à aimer également ses paroles et commandements. Il est toujours question d’amour. Pour celui qui aime vraiment, les commandements ne sont pas des obligations à accomplir, ou des conditions, mais de vrais chemins d’amour et de bonheur. Pour cela l’éducation aux dix commandements consiste aussi dans le fait de savoir « tomber amoureux » des vertus qu’ils nous proposent.
P. Silvio Moreno, IVE
[1] Cf. Fuentes, Miguel, La trampa rota, San Rafael, 2008.
[2] Cf. S. Raphaël A. de Baron, Ecrits spirituels, 25/01/1937 (trad. Cerf, 2008, p.306).
[3] Cf. Frankl, Viktor, La psicoterapia al alcance de todos, Barcelona, 1990, p. 79.
[4] Cf. Pierre, Albane, Eduquer la conscience, Tunis, 2016.
[5] Bernanos, Georges, La France contre les robots, Robert Laffont, 1947.